Si l’activité économique tourne au ralenti en période d’épidémie de coronavirus, les services de Santé au travail poursuivent leur mission de prévention. Avec quels moyens ? Pour quelles problématiques ? Les réponses du docteur Pascal Ehrmann, médecin de Santé au travail dans un service inter-entreprises de la région de Lyon.
En pleine épidémie de coronavirus, les services de Santé au travail sont-ils toujours opérationnels ?
Oui, bien sûr. A la fois en présentiel quand ils disposent de protections individuelles en nombre suffisant (masques, gants,…), en télétravail et pour certains en téléconsultation. Nous avons juste été contraints d’adapter notre organisation aux impératifs de la pandémie de coronavirus
Ainsi, la plupart des sites de Santé au travail ont été fermés pour l’accueil physique. Concernant l’Agemetra, le siège et le cabinet médical d’Oullins assurent une permanence téléphonique et partiellement physique. Ils traitent les questions des adhérents, de leurs salariés et assurent les visites de reprise du travail. Pour éviter les risques d’engorgement, on donne la priorité aux fonctions nécessaires à la vie de la nation. Cela concerne notamment les professionnels de santé, les transports, l’énergie, la distribution alimentaire, la logistique et les aides à domicile.
Pour respecter les mesures de confinement, l’essentiel des consultations se fait par téléphone. Une permanence téléphonique est ainsi à la disposition des employeurs pour répondre à leurs interrogations dans ce contexte bien particulier.
Coronavirus, deux fois moins de visites par semaine
Concrètement, combien de professionnels de santé sont mobilisés pour assurer cette permanence ?
D’habitude, à l’Agemetra, nous avons une soixantaine de médecins et 38 infirmières. Actuellement, avec l’épidémie de coronavirus, nous tournons avec 6 médecins du travail, une infirmière en Santé au travail et deux assistantes mcales, tous volontaires, basés sur le site d’Oullins. Des psychologues assurent également une permanence depuis le 2 avril.
Toutes les fonctions support (RH, comptabilité, relation adhérents, informatique,…) et quelques préventeurs sont en télétravail.
Au niveau régional, les organisations sont très variables. Le télétravail a souvent été favorisé pour le plus grand nombre pour assurer la continuité du service en cette période.
Combien d’appels devez-vous traiter quotidiennement ?
A l’Agemetra, en moyenne, chacun d’entre nous répond à une cinquantaine d’appels téléphoniques par jour. Le plus compliqué, c’est la gestion des visites sur site en raison des mesures strictes d’accueil, de désinfection et des gestes barrières. Résultat, on tourne ainsi à une quarantaine de visites par semaine avec deux médecins, soit moitié moins que durant une période normale.
Le coronavirus augmente l’anxiété au travail
Quelles sont les principales questions auxquelles vous devez répondre ?
Elles sont d’ordre médical, liées aux conditions de reprise, aux salariés dits fragiles, asthmatiques légers ou diabétiques. Beaucoup d’employeurs nous interrogent aussi sur les plans de continuité d’activité en période d’épidémie de coronavirus. Par exemple, quelles sont les mesures à prendre si un salarié contracte le virus dans l’entreprise ?
Nous sommes également régulièrement sollicités par des professionnels de santé. Ils ont besoin d’un arrêt de travail en raison des risques de contamination ou d’une adaptation de leur poste de travail pour être moins exposés s’ils présentent certaines pathologies.
Enfin, de nombreux appels sont d’ordre psychologique, liés à l’anxiété générée par l’épidémie.
Vos missions risquent-elles d’évoluer dans la perspective d’un déconfinement ?
Sans doute. Pour l’instant, on ne traite pas des salariés qui reprennent le travail après avoir été contaminés. Cela risque d’évoluer avec la phase de déconfinement. Par ailleurs, à plus long terme, il est probable que le médecin du travail soit sollicité pour mettre en place des tests de dépistage du Covid-19 dans nos centres et des tests sérologiques rapides.
Un regain d’activité en période de déconfinement
La télé consultation est-elle en vigueur dans vos services ?
Certains SSTI de la région sont opérationnels. A l’Agemetra, on est en train de la mettre en place. C’est nouveau pour nous. Mais cela paraît indispensable pour s’adapter au contexte épidémique. Il faut juste s’assurer que le système est au point techniquement, avec l’installation d’un deuxième écran et une sécurité informatique optimum. Il faudra également s’assurer de l’aspect confidentiel de l’entretien avec les salariés chez eux, ou dans une salle mise à disposition par leur employeur.
Comment envisagez-vous les prochaines semaines ?
Avec une certaine inquiétude. On s’attend à devoir gérer un pic d’activité en sortie de confinement. Outre la réalisation probable de tests de dépistage, nous assurons la bonne diffusion des fiches de prévention par métier. Il faudra aussi vérifier la bonne application des gestes barrières, conseiller tous les chefs d’entreprise en phase de reprise…
Un stock de masques insuffisant
Quels enseignements allez-vous tirer de cette période de crise ?
Le premier enseignement, c’est que nous ne sommes pas suffisamment armés pour faire face à une telle pandémie. Les moyens de protection à notre disposition ne sont pas adaptés pour assurer en toute sécurité nos missions. Ainsi, nous souffrons d’une pénurie de masques car nous ne sommes pas considérés comme personnel de santé prioritaire. Une commande a été passée dès le mois de janvier. Nous n’avons toujours rien vu venir. Notre petit stock de masques risque vite d’être insuffisant compte tenu des multiples missions qui nous attendent…
Comment vivez-vous la période actuelle ?
Avec davantage de stress. D’habitude, le médecin détient le savoir. Or, avec le Covid-19, on découvre tous les jours de nouveaux effets du virus. Il reste aussi une grande part d’incertitude sur les conditions de contamination et sur l’immunité des personnes ayant développées des anticorps. Toutes ces questions auront une incidence sur les conditions de reprise de l’activité en entreprise. Il faudra bien faire comprendre aux employeurs, comme aux salariés, que la fin du confinement ne signifie pas la fin de l’épidémie de coronavirus.
A SAVOIR
Depuis le passage au stade 3 de l’épidémie de coronavirus, le télétravail est devenu la norme pour tous les postes qui le permettent. Les salariés dits à risques (la liste complète est mise à jour sur le site du ministère de la santé) doivent être placés en télétravail ou en arrêt de travail en se connectant sur declare.ameli.fr.