Tous les grands pratiquants de sport ne sont pas addicts. Certains gèrent sans difficulté cet excès de sport, qui fluctue en fonction des périodes et de leurs envies. Mais on parle de bigorexie lorsque l’excès de sport se transforme en véritable dépendance. Reconnue par l’Organisation Mondiale de la Santé depuis 2011, cette maladie est avant tout d’ordre psychologique. L’obsession du sport, liée au contrôle de ce que l’on mange et à la maîtrise de son corps, engendre alors des troubles du comportement aux répercussions parfois terribles pour le quotidien : manque, isolement (avec risque de divorce, licenciement, ruptures sociales…), perte d’intérêt pour les autres activités, dépense d’argent au service de la performance, irritabilité, recours au dopage, épuisement, risque de blessures graves, risques cardiovasculaires…
L’ancien footballeur international Bixente Lizarazu a révélé sa bigorexie en 2018, dans son livre Mes Prolongations. Mais le phénomène peut aussi toucher de simples sportifs amateurs. Arthur Dony, grand consommateur de sports d’endurance, est bien conscient des dangers d’une pratique intensive. Sa formation médicale de médecin hématologue au Centre Hospitalier Métropole Savoie (CHMS), l’a sensibilisé à cette addiction potentielle, à laquelle il s’intéresse de près et dont il s’est jusqu’ici toujours préservé.
Quel est votre rapport avec le sport ?
« J’ai toujours fait du sport, mais j’ai adopté une pratique régulière et de plus en plus intense depuis mes années de fac de médecine. Surtout des sports d’endurance, comme la course à pied, le vélo, souvent en montagne, le ski de randonnée, le triathlon… et avec un attrait prononcé pour le dénivelé. Je pratique avant tout par plaisir d’évoluer à l’extérieur, de voir de beaux paysages, et par goût de l’effort, qui augmente au fil de l’activité probablement sous l’effet des endorphines. »
“Ma pratique est rapidement devenue chronophage”
Quand risque-t-on de basculer dans l’excès ?
« Cela peut vite arriver, particulièrement dans ces sports d’endurance et d’extérieur. Sans jamais aller jusqu’à l’addiction, ma pratique est rapidement devenue chronophage. Le vélo de route, notamment, peut accaparer une journée entière. Il faut pouvoir s’organiser, le week-end ou très tôt le matin. En ce moment, je me lève régulièrement à 5 heures le vendredi pour un petit rituel : grimper au relais du Chat, au-dessus du lac du Bourget, avant d’aller travailler. Et sortir du lit à cette heure très matinale n’est pas un souci pour une telle dose de plaisir ! »
Avez-vous le sentiment d’être déjà allé trop loin ?
« Je suis conscient de la limite à ne pas dépasser. Je ne pense pas avoir déjà franchi la ligne rouge, mais j’ai parfois pointé des périodes où c’était trop. Il faut savoir observer et écouter les signes d’alerte, au premier rang desquels figure la blessure. J’ai connu plusieurs tendinites au genou, après de trop longues sorties en vélo. On met du temps à s’en remettre, et cette période de privation génère de la frustration. »
“Si le plaisir disparaît, c’est qu’il faut lever le pied”
Quelles sont les principaux dangers dans la vie quotidienne ?
« Il faut être attentif au retentissement sur la vie sociale, familiale et professionnelle. J’ai régulièrement refusé des sorties en soirée pour ne pas compromettre l’activité du lendemain. Mais je veille à ce que cela ne provoque pas de rupture. Le rendement professionnel peut aussi s’en ressentir, fatigues mentale et physique étant intimement reliées, et le côté individuel de la pratique peut faire souffrir la famille. Il faut savoir écouter les remarques. J’ai la chance d’avoir une compagne également sportive, qui comprend ces besoins, nous nous relayons le week-end pour que les enfants n’en pâtissent pas. »
Quels sont les autres signes qui doivent alerter ?
« L’un des signaux primordiaux réside dans le plaisir que l’on prend. Si cette notion disparaît au fil des sorties, c’est peut-être que l’on pratique trop et qu’il est temps de lever le pied. Il faut aussi veiller aux fluctuations d’humeur, en période de “manque’’ de sport ou, au contraire, en contrecoup d’une suractivité. Gare à la fatigue elle-même : si elle est bénéfique et souvent recherchée (ses vertus ne sont que trop rarement louées), elle ne doit pas empêcher d’être disponible pour les siens dans les heures ou les jours qui suivent l’effort. Et cette fatigue peut aussi conduire à des comportements à risque en cas de perte de lucidité, lors des sorties en montagne notamment où les chutes peuvent avoir des conséquences importantes. »
Dans le sport, tout est question d’équilibre
Un conseil à donner aux grands sportifs ?
« Au fil des années, on apprend à mieux se gérer, à éviter les surcharges, à prendre en compte ses douleurs, à éviter l’excès. Il faut arriver à trouver le sens de ce que l’on fait, un bon équilibre entre sa pratique et sa vie familiale et professionnelle. Et, surtout, conserver le plaisir simple de faire du sport. » “ Je courais pour me perdre. Pour me retrouver parce que j’étais perdu. Je courais éperdument pour être seul et pour être vivant. […] Pour être plus loin et ne plus m’arrêter jamais.”
À SAVOIR
La prise en charge de la bigorexie est la même que pour d’autres addictions (ALCOOL, TABAC, jeux…). Pluridisciplinaire, elle va regrouper les interventions, en fonction du degré d’addiction, de psychologues, médecins du sport, addictologues… Les quelques 200 CSAPA français (centres de soins, d’accompagnement et de prévention des addictions) sont spécialisés dans ce type de prise en charge.
Bonjour. Pour celles et ceux qui souhaiteraient aller plus loin, j’ai écrit un livre-témoignage sur le sujet aux Editions Amphora sorti le 25 mars : “Bigorexie, le sport, ma prison sans barreaux”. Le sport peut être vraiment destructeur. Avec mon livre, j’aimerais aider les sport-addicts à en rester (ou revenir) au sport passion…