L’épuisement professionnel, que tout le monde identifie sous le terme de burn-out, n’arrive pas qu’aux autres. L’histoire de Laetitia Dupont, contée dans l’ouvrage ‘’Sous une frêle apparence’’, en est la dramatique illustration. Enseignante à Rillieux-la-Pape (Rhône), cette dynamique mère de famille a vu sa vie trop remplie vaciller brusquement, pour des raisons qu’elle n’a pas su voir venir. Entre incompréhension, culpabilité et profond mal-être, la jeune femme a touché le fond avant de réussir à se reconstruire, peu à peu. Un voyage au bout d’elle-même qu’elle a choisi de partager pour tenter d’alerter sur les signes, les symptômes et les effets dévastateurs du burn out, un mal bien plus commun qu’on ne le pense.
Le burn-out, c’est pour les autres ? « Un jour d’avril, je suis allée marcher au pied d’une voie ferrée. Et je me suis dit que si je montais dessus, je n’aurai plus besoin d’aller travailler »… Laetitia Dupont, en ce printemps 2018, est passée tout près de la mort. Sans raisons particulières ? La « machine de guerre », comme la surnommait son compagnon, était à bout. « Je ne voyais plus d’issue »…
La jeune femme, maman de deux enfants, bien dans son couple, n’avait-elle pas tout pour être heureuse ? Jusqu’en 2017, cette enseignante de Rillieux-la-Pape, près de Lyon, partageait une vie très remplie entre « boulot, famille et sport ». Son métier ? Une vocation, nourrie depuis le plus jeune âge. « J’ai toujours voulu devenir professeur des écoles, et je voyais ce travail comme une mission de vie. J’enseignais à cinq minutes de chez moi, et avant de prendre ma casquette de maman, j’allais me vider la tête au sport, tous les jours ».
Trop, sans doute, comme dans toutes les sphères d’un quotidien débordant d’énergie. « J’étais ultra perfectionniste, je voulais que mes enfants mangent des légumes frais, que le ménage soit toujours parfait. J’avais oublié de lire ou de peindre, toutes ces choses que j’aimais faire avant ». L’exigence est souvent vertueuse, mais elle cache parfois un insidieux venin lorsqu’elle n’est pas canalisée…
« Je me sentais fatiguée »
Désireuse de mieux comprendre ses élèves en difficulté comportementale, Laetitia débute une formation pour devenir enseignante spécialisée. « Cela faisait deux ou trois ans que je me sentais fatiguée. Je m’étais même évanouie plusieurs fois en classe. Mais je me suis lancée avec beaucoup d’enthousiasme dans ce nouveau projet ».
La rentrée 2017 bouscule son organisation chirurgicale : trois semaines en formation, trois semaines en classe, à courir entre cinq écoles de la métropole lyonnaise, en plus d’un master en parallèle. « Avec tous ces trajets, j’ai commencé à rogner sur le sport, ma soupape. Je me couchais très tard et je mangeais beaucoup pour tenir. J’ai pris dix kilos en cinq mois ! »
Le ‘’petit robot’’, autre surnom affectueux, commence à vaciller. « Tout mon entourage le voyait et me disais d’arrêter. Je répondais que ce n’était qu’une année, que ça allait passer vite… Et puis un matin, je n’ai pas réussi à me lever ».
« Je n’ai pas compris tout de suite »
Par un froid matin de janvier 2018, l’institutrice reste clouée au lit. « J’étais comme attachée, j’ai pensé que j’étais malade… J’ai dormi toute la journée ». Elle refuse le médecin, « par honte », et retourne travailler quelques jours.
Son médecin du travail, prévenu, l’envoie sur le champ consulter son médecin traitant. Où le verdict du burn-out tombe, implacable : « je n’ai pas compris tout de suite pourquoi elle m’a dit que cela allait prendre longtemps. Ma première réaction a été de me demander comment j’allais gérer un arrêt de trois semaines, avec tout ce que j’avais à faire ! »
Une ordonnance pour un suivi psychologique et quelques médicaments en poche, elle passe les jours suivants à dormir. « Je ne me levais que pour mes enfants, mais j’avais l’impression d’avoir 90 ans. J’ai repris, mais en petite forme. Le seul endroit où je me sentais bien était la nature, où j’allais marcher ». Jusqu’au bord d’une voie ferrée…
« Je pensais que le burn out était réservé aux personnes à grosses responsabilités »
« En une fraction de seconde, la vie peut basculer et il a fallu que je touche le fond pour comprendre. Je savais que le burn-out existait, mais je pensais que c’était réservé aux personnes à grosses responsabilités. Cela a ajouté à ma honte et à ma culpabilité : comment les gens allaient-ils comprendre, avec mon rythme d’enseignante, les vacances scolaires… Mais cela n’a rien à voir : en fait, je ne m’arrêtais jamais, même pendant mes vacances ».
Son arrêt est prolongé. De nombreuses fois. Un an et demi, en tout, le temps de se réparer petit à petit à travers un long travail en psychothérapie(s). « J’ai mal vécu cette période. Je me sentais bonne à rien et payée à ne rien faire. J’oubliais tout : ma fille à la gym, une communion… Mon fils était persuadé que j’avais un Alzheimer précoce ».
« Il a fallu que je laisse partir ce qui n’étais plus pour moi »
Elle reprend l’enseignement à la rentrée 2020, dans des conditions très favorables. Trop vite. « Je ne me sentais plus du tout à ma place, et je culpabilisais de mes privilèges auprès de mes collègues ».
À l’automne 2020, les idées noires sont de retour. « J’avais l’impression de revenir en arrière… J’ai fini tant bien que mal l’année scolaire et j’ai voulu couper ». Après un essai comme secrétaire dans un lycée, elle saute le pas : « j’ai compris qu’il fallait quitter l’Éducation nationale ». Une décision salvatrice. Elle concrétise une formation entamée durant sa convalescence : « j’avais démarré un atelier de massage bien-être. J’ai monté mon auto-entreprise et j’ai ressenti comme une vague de soulagement. Il avait fallu que je laisse partir ce qui n’étais plus pour moi ».
Le mal était donc bien dans sa profession. Et le remède dans le changement. « J’ai pris conscience que j’avais d’autres capacités, et cela a tout changé pour moi. Aujourd’hui, j’ai remodelé ma vie, le ménage n’est plus aussi parfait, on mange des plats tout préparés, je refais du sport mais plus à outrance, je prends du temps avec mes enfants, je n’anticipe plus mes vacances, je ne regarde plus mes mails avant de me coucher, j’ose dire non… Et… je suis heureuse ! J’ai le sentiment d’avoir enfin retrouvé mon corps et mon esprit ».
À SAVOIR
Laetitia Dupont a livré son témoignage dans son livre ‘’Sous une frêle apparence’’, publié à compte d’auteur en janvier 2019. L’ouvrage retrace cette année scolaire fatale, entre septembre 2017 et juin 2018. « Ma sœur m’a convaincu que mon histoire, que j’ai rédigée au moment où j’étais dans le creux de la vague, pouvait servir à d’autres femmes ». Elle s’est depuis prise au jeu et rédigé deux autres ouvrages « sur des épreuves de femmes » : Quand la vie s’impose, consacré au carriérisme, et Le Destin n’a pas toujours tort, traitant du post-partum.