Simple passage à vide ou véritable dépression, le diagnostic peut être lourd de conséquences. Le Dr Patrick Lemoine, directeur médical international de la Division psychiatrique du groupe de cliniques ORPEA-Clinea et auteur de l’ouvrage “Soigner sa tête sans médicaments… ou presque” aide à déceler les signes cliniques de la dépression.
Quand on lui demande ce qui différencie la simple déprime de la dépression, le Dr Patrick Lemoine délivre une réponse claire : « la déprime est une création journalistique qui n’existe pas dans le creuset médical. La dépression est une maladie mortelle, du fait du risque de suicide et des différents agissements des patients ». Et d’ajouter : « on a parfois tendance à sur-diagnostiquer les dépressions, comme lorsque que quelqu’un se lève 15 jours de suite avec les larmes aux yeux ». La dépression est devenue un vrai fléau à l’échelle mondiale, puisque d’après l’OMS, elle sera dans quelques années la deuxième maladie la plus importante sur la planète. Elle touche 9,5% des femmes et 5,8% des hommes.
Les troubles du sommeil, un signe récurrent
Dans la dépression sévère, le premier point est que le malade ne s’avère « plus réactif à son environnement. Il perd toute notion de plaisir », affirme le psychiatre. C’est à dire qu’il peut bien se trouver au Club Med, cela ne lui fera aucun effet. Le second point est que son rythme de vie est ralenti. Le dépressif va faire beaucoup moins de choses qu’auparavant. Ensuite, qu’il s’agisse d’une dépression sévère ou légère, on retrouvera un signe vraiment constant qui est celui des troubles du sommeil. D’ailleurs, selon l’expert, il est possible de diagnostiquer une dépression simplement en faisant un enregistrement du sommeil. 80 à 90% des dépressifs sont généralement insomniaques, tandis que les 10 à 20% restants vont plutôt être hypersomniaques. « Ce qui revient également de manière récurrente est que les dépressifs ne vont pas être bien le matin, souvent angoissés, mais beaucoup mieux l’après-midi », poursuit le Dr Lemoine qui nous explique que dans la dépression, « les horloges du cerveau sont déréglées ».
Une douleur morale
Bien entendu, le dépressif ressentira une tristesse accompagnée d’une douleur morale, qui se différencie bien de celle ressentie pendant un deuil. Cette douleur morale est décrite par les malades comme la pire des douleurs, « même au delà de la douleur cancéreuse », rapporte le psychiatre qui a été au contact de patients qui ont également eu affaire au vilain crabe. A savoir que dans les formes de dépression légères ou moyennes, le patient peut sentir une tristesse exagérée, mais pas les signes de mélancolie.
Les risques suicidaires dans les cas les plus lourds
Dans les formes les plus sévères de dépression, le malade éprouvera des envies suicidaires. « Certains dépressifs souffrent d’une culpabilité délirante et pensent par exemple être à l’origine du chômage ou du tsunami, ils se disent qu’ils doivent débarrasser la planète de leur être abject », illustre le Dr Lemoine. Dans ces cas-là, l’hospitalisation doit être immédiate avec ou sans consentement, car le passage à l’acte peut être imminent si d’un coup il y a une levée d’inhibition. Le psychiatre met également en garde les proches lorsqu’un sujet dépressif se met subitement à sourire. Cela peut vouloir dire qu’il a pris sa décision. Il nous explique également que l’un des pics de suicide intervient au mois de juin, « cela s’explique par le fait qu’une forte stimulation lumineuse peut lever l’inhibition », avance le spécialiste, qui rappelle que les deux tiers des suicides sont liés à la dépression. Chaque année, en France, on compte 12 000 morts par suicide, et 10 fois plus de tentatives.
Les rythmes en cause
Selon le Dr Patrick Lemoine, nous avons tous en nous un certain nombre de gènes pathogènes, mais qui ne s’expriment que dans des conditions particulières. « Dans la dépression, les facteurs de stress pendant la grossesse jouent un rôle », affirme-t-il. Il ajoute que probablement, ce sont selon lui les gènes « clock » qui sont en cause, c’est-à-dire ceux qui nous donnent des rythmes. Cela serait également lié à la question de notre température centrale : en phase de sommeil profond, notre température baisse, tandis qu’au matin, elle augmente pour nous préparer à être actifs la journée. C’est surtout le cas des personnes du matin, qui sont plus aptes à commencer leur journée tôt, tandis que celles du soir peinent à émerger. Le psychiatre note aussi que les gens dits du soir sont souvent en retard. Tout cela n’est en rien anecdotique : « certains dépressifs dits du matin se comportent comme des sujets du soir. Cela conduit à des retards de phase très dommageables. Pour y remédier, je prescris par exemple des chiens à ces personnes qui sont ainsi forcées de se lever, et qui retrouvent le rythme qui leur correspond, plutôt que de rester à traîner dans le lit les yeux ouverts », poursuit le Dr Lemoine. Les rythmes circadiens en liaison avec notre température centrale joueraient donc un rôle primordial dans la dépression.
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A savoir
Le docteur Patrick Lemoine est psychiatre, docteur en neurosciences, ancien praticien hospitalier et directeur d’enseignement clinique à l’université Claude Bernard de Lyon. Il est actuellement le directeur médical international de la Division psychiatrique du groupe de cliniques ORPEA-Clinea. Spécialiste du sommeil, il a publié de nombreux ouvrages consacrés au sommeil et à ses troubles, à l’anxiété et au sevrage des médicaments.