Les gelures font chaque hiver de nombreuses victimes, les plus sévères nécessitant parfois l’amputation. Les conseils du docteur Magnan, médecin à l’école nationale des sports de montagne, pour prévenir les gelures et les traiter en fonction de leur degré de gravité.
Le Dr Marie-Anne Magnan est médecin de l’école nationale des sports de montagne et travaille à l’école nationale de ski et d’alpinisme. Médecin généraliste spécialisée en médecine du sport, médecin de montagne et médecine hyperbare, elle est aussi en charge de la gestion des patients dans le nouveau protocole SOS Gelures. Depuis décembre 2014, ce dernier traite les victimes de gelures, avec les Hôpitaux du Pays du Mont-Blanc, au caisson hyperbare de Genève.
Qu’est-ce qu’une gelure, quand intervient-elle?
Les gelures sont des lésion dues au froid, qui interviennent en cas de température négative. Ici en pays du Mont-Blanc, le recrutement des patients est surtout constitué de gelures liées à la montagne, l’alpinisme ou le ski, alors que dans les grandes villes, les gelures concernent surtout les SDF, les accidentés du travail ou des gens aux problèmes psychologiques qui marchent dans la neige pieds nus. Un phénomène croissant : l’éthylisme aigu, notamment en station. Les gens font de grosses bringues et s’endorment dans la neige, ou alors rentrent en tee-shirt à vélo l’hiver.
Quels sont les différents stades de gravité?
On différencie les stades 1,2, 3, et 4. Le stade est déterminé après réchauffement, comme avoir mis les mains dans l’eau chaude à température corporelle. Après une heure, la peau prend une coloration : si c’est un peu rouge au niveau de la dernière phalange, c’est le stade 1. Cela nécessite un traitement ambulatoire, et de l’aspirine pendant dix jours pour fluidifier le sang. La récupération est totale. Pour le stade 2, la coloration est plutôt violacée, grise. On regarde l’expansion centripète : si cela atteint la dernière phalange, c’est un stade 2, et à partir du moment où ce sont des phalanges intermédiaires, fonctionnelles, c’est du stade 3. Si la main, le pieds sont atteints, on est en stade 4. Au stade 2, il n’y a pas d’amputation, mais il peut y avoir de petites séquelles. Au 3, il y a 50% de risque d’amputation, 100% de risque en stade 4.
Comment éviter d’en arriver là?
Il faut se protéger du froid, cela paraît bête à dire, mais il faut éviter de se refroidir d’un point de vue général, à commencer par la tête : portez un bonnet et un équipement adapté. Pas de chaussures trop serrées, évitez la superposition de couches de chaussettes : une seule suffit. Pour les mains, préférez les moufles. Protégez-vous du vent et de l’humidité.
Quand faut-il s’alarmer?
Nomalement, c’est quelque chose de douloureux d’abord, puis on perd la sensation. Il faut donc s’inquiéter quand il y a des douleurs et quand on n’a plus mal ensuite. Un onglet fait mal, une gelure ne fait pas mal. Tant qu’on se plaint du froid, c’est bon !
Gelures : fluidifier le sang et dilater les vaisseaux
Les personnes souffrant du syndrôme de Raynaud (pertes de coloration et de sensations dans les extrémités, Ndlr) sont-elles plus sensibles?
On pourrait penser que oui, mais il n’y a aucune corrélation, on ne constate pas plus de gens gelés avec ce syndrome de Raynaud que parmi les autres. Peut-être aussi parce qu’ils sont plus vigilants. En aucun cas, ce syndrôme n’engendre la gelure.
Comment soigne-t-on les gelures?
Au stade 3, un traitement a montré son efficacité, celui par la molécule Iloprost, dont le nom de produit est l’Ilomédine. C’est un vasodilatateur puissant, ce qui permet de fluidier le sang et de dilater les vaisseaux pour faciliter le retour de l’oxygène dans les extrêmités et dilater les vaissaux. Cela permet une revascularisation de ce qui ne l’a pas été pendant plusieurs jours.
En stade 3, ce qui conditionne le pronostic, c’est la vitalité osseuse. Un os supporte 72 heures sans oxygène. La prise en charge doit donc être précoce. L’idéal est dans les 24 heures, et on le fait jusque dans les 3 jours. Dans ces conditions, en stade 3, il n’y a plus d’amputation, et en stade 4 on peut les diminuer de moitié, ou bien on procède à une amputation plus courte.
En quoi consiste le procotole de deux ans qui s’ouvre entre les hôpitaux du Mont-Blanc et les établissements de Genève, où des séances en caisson hyperbare sont désormais ajoutées au traitement?
C’est une médecine qui n’est pas encore reconnue par tous nos pairs, mais qui existe depuis 50 ans. On met quelqu’un à -15m de profondeur, soit 1,5 bare de pression. Et on lui fait respirer de l’oxygène pur, ce qui provoque un afflux massif d’oxygène dans le sang : les zones saines se ferment et se produit une redistribution du flux sanguin vers les zones malades.
Le corps produit aussi de nouveaux petits vaisseaux pour effectuer cettte répartition. C’est en tout cas la théorie. On s’en sert déjà pour les diabétiques, la cicatrisation, les ulcères. C’est aussi une technique bactéricide. La problématique du caisson, c’est qu’il est compliqué de faire une étude en double aveugle. On réalise donc plutôt l’opération en comparant avec d’autres cas précédents. Il nous faudra du temps pour atteindre des résultats significatifs.