Dès la première vague de l’épidémie de Covid-19, la collaboration privé-public a été l’une des clés qui a permis au système de soins de tenir le choc en Auvergne Rhône-Alpes. Cette coopération, renforcée cet automne, fait à nouveau ses preuves dans un contexte sanitaire encore plus tendu. Retour en détail sur cette alliance avec Éric Calderon, directeur du pôle Lyon Ramsay Santé, gestionnaire notamment du Medipôle Lyon Villeurbanne ou encore de l’hôpital Jean Mermoz.
Si la collaboration entre privé et public a pu mettre du temps à se mettre en place dans certaines régions, cela n’a pas été le cas en Auvergne Rhône-Alpes. Dès le mois de mars, l’Agence Régionale de Santé a favorisé un rapprochement indispensable pour soulager une système de soins sous tension. Cette coopération a notamment porté ses fruits à Lyon, où les six cliniques et trois hôpitaux privés du groupe Ramsay Santé ont accueilli très rapidement des patients Covid, soulageant ainsi les hôpitaux publics des Hospices Civils de Lyon. Éric Calderon, le directeur du pôle Lyon Ramsay Santé, revient sur cette alliance qu’il décrit comme « remarquable ».
“Il y a eu une très forte collaboration entre public et privé”
Sur la première vague de l’épidémie de Covid-19, comment s’est répartie la prise en charge des patients Covid dans le Rhône ?
Eric Calderon : Dès le début de cette première vague, l’ARS (Agence Nationale de Santé) avait délégué aux Hospices Civils de Lyon la gestion de la crise par territoire pour tout le Rhône. Sur ce territoire, il y avait trois hubs (zones, ndlr) : Nord, Centre et Sud. Chaque établissement de santé était, selon les hubs, en première, deuxième ou troisième ligne. Ceux qui étaient en troisième ligne mettaient à disposition du matériel ou du personnel.
Nos établissements Ramsay Santé étaient en première ou en seconde ligne. Sur la première vague, nous avons pris en charge 591 patients du Covid. Dans notre cas, nous n’avons pas au recours au transfert de matériels et de personnels puisque nous en avions besoin. Nous n’avons pas eu besoin d’autres personnels, d’ailleurs.
Selon vous, la polémique printanière du non recours aux établissements privés ne serait donc pas justifiée ?
Non, car dès le départ, dans le Rhône, il y a eu une très forte collaboration dans l’ensemble du public et du privé, et sur Lyon plus en particulier. Cette collaboration avec les Hospices Civils de Lyon a été très bien menée dès le 8 mars avant même que la vague arrive. Nous avons pu nous coordonner concernant les prises en charge des patients selon la lourdeur des cas.
Il est vrai que les établissements de troisième ligne qui n’avaient pas de patients Covid sont restés fermés. Ils n’avaient que des soins urgents à traiter et leurs capacités avaient fortement diminué… Mais leurs personnels et leurs médecins étaient d’accord pour aller renforcer les équipes d’autres établissements. Par exemple, il y a des médecins anesthésistes de la clinique du Parc qui se sont rendus au Médipole Lyon-Villeurbanne, qui dépend du groupe Ramsay Santé. Dès mars, et cela perdure aujourd’hui, on trouve une volonté et une participation de chacun, à différentes échelles.
“L’objectif est d’éviter clairement une saturation”
En pratique, comment se déroule cette alliance privé-public ?
Tous les jours, nous mettons à disposition – que ce soit le public ou le privé – nos lits Covid disponibles en réanimation, en surveillance continue ou en médecine. La régulation organise chaque hub en fonction des lits disponibles. Si dans le privé il y a de la place, le patient ira dans le privé. Et vice-versa. L’objectif est d’éviter clairement une saturation. Ce ne sont pas les Hospices Civils de Lyon ou les acteurs privés qui décident. C’est la régulation du SAMU qui effectue les choix en fonction de la situation de chaque service de réanimation.
La communication entre les cliniques et les hôpitaux publics est-elle fluide?
Oui, tout à fait. Depuis le départ il y a des réunions de direction toutes les semaine en fonction des hubs. Mais également des médecins de chaque établissement privé et public qui échangent entre eux chaque semaine. Sur le type de patients, sur les moyens à mettre en face, des lits de réanimation ou de médecine… Il y a vraiment des échanges réguliers, au delà de la direction, et une écoute de part et d’autre. C’est vraiment très important : la coopération s’effectue main dans la main. L’une des clés du succès.
Les patients moins graves vont-ils systématiquement dans le privé?
Non, absolument pas. Pour vous donner des exemples, la Clinique de la Sauvegarde (Lyon 8ème) et le Médipôle (Villeurbanne) prennent en charge des patients en réanimation. Aussi lourds que ceux accueillis aux Hospices Civils de Lyon. L’hôpital privé Jean Mermoz (Lyon 8ème) prend aussi en charge des patients en surveillance continue.
“Nous nous sommes préparés à l’avance tous ensemble”
Comment s’est préparée cette deuxième vague ?
Dès début septembre, nous avons repris nos échanges publics-privés. Nous nous sommes dit que l’épidémie risquait de revenir à la charge. Donc nous nous sommes préparés à l’avance tous ensemble.
Et dans les faits, quel résultat donne cette alliance ?
Sur le Rhône, le pic de patients hospitalisés en médecine et en réanimation lors de la première vague date du 5 avril. Le pic était alors de 1 264 patients pour le territoire de Lyon. Cette fois-ci, le pic a grimpé à 1 896 patients. La collaboration a vraiment fonctionné: au 19 novembre, les établissements Ramsay accueillaient ainsi 114 patients Covid en réanimation.
Cette fois-ci, avec l’évolution des traitements médicaux et les leçons apprises avec la première vague, les patients sont restés moins longtemps en réanimation. Ce qui a permis de libérer des lits de réanimations plus rapidement.
Et dans l’optique d’éviter une saturation, des patients ont aussi été déplacés vers d’autres régions…
Oui. Il y a eu une politique de l’Agence Régionale de Santé de ne pas saturer complètement tous les lits de réanimations de la région et ceux de Lyon particulièrement, étant donné que la seconde vague est plus importante. C’est pour cela qu’il y a eu une cinquantaine de transferts de patients vers d’autres régions depuis un mois. Cela permet aussi d’avoir en réanimation des patients qui ne sont pas Covid mais qui ont besoin de la prise en charge de ce service. Nous pouvons aussi procéder aux interventions non urgentes de chirurgie non-covid. C’est astucieux comme démarche.
“Tout le monde se donne à 100%”
Comment les soignants de vos hôpitaux ont-ils appréhendé leurs nouvelles tâches ?
Nous avons beaucoup appris lors de la première vague. C’était nouveau, un virus inédit dans la prise en charge médicale. Avec la deuxième vague, nous avons repris les mesures qui s’étaient affinées fin juin. Dès septembre, nous étions prêts puisqu’on avait déjà cette première expérience. Cet été, des modules de formation ont été mis en place pour la réanimation à l’intention des infirmiers.
La question du moral est importante aussi. Ça a été difficile pour tout le personnel, aussi bien soignant que non-soignant, notamment les brancardiers ou les personnes de l’accueil. Nous étions dans l’inconnu. De plus, il y a eu aussi une reprise d’activité assez forte entre les deux vagues, vers juillet-août. Un grand nombre de patients qui avaient été déprogrammés devaient être repris au plus vite. Cela ne s’est pas fait en un jour. Le personnel s’est dit qu’il repartait pour un second tour, entraînant une importante fatigue psychologique. Mais tout le monde se donne à 100%.
C’est pour cette raison, au pôle Lyon Ramsay Santé que nous avons décidé de maintenir les congés de Noël pour les salariés. Sauf drame en santé public bien sûr. Mais à priori, si on suit toutes les courbes, nous ne devrions pas avoir de troisième vague. C’est important que tous les professionnels de santé du privé comme du public puissent se reposer durant les vacances de Noël.
Quel a été l’impact de la crise sanitaire sur la situation économique du secteur privé de la santé ?
On observe un déficit de 5 à 7%. Les cliniques pendant cette période ne peuvent qu’être déficitaires mais tout cela est atténué grâce au soutien de l’État. Dès le début de la première vague, celui-ci a instauré une garantie de financement des établissements correspondant à 80% du chiffre d’affaires.
Mais il y a une autre situation dramatique. Nos praticiens libéraux ont un système d’indemnisation qui compense à peine 10% de leurs chiffres d’affaires. Or, ils ne sont pas salariés des établissements privés. Nous demandons à l’ARS un autre système d’indemnisation pour ces libéraux qui sont en difficulté financière.
“Que ferons-nous collectivement pour éviter les déprogrammations ?”
Comment évolue la situation dans les cliniques et hôpitaux de Ramsay Santé ?
Globalement, nous sommes sur une légère baisse depuis trois jours sur le Rhône. Nous croisons les doigts et on attend deux à trois jours encore pour confirmer cette baisse encourageante.
Si une troisième vague venait à surgir, l’alliance public-privé continuerait-elle sur le modèle actuel ?
Oui puisque nous sommes tous des acteurs de la santé. Mais s’il y a effectivement une troisième vague, il faudra réfléchir à des améliorations. Notamment sur la question de la prise en charge des patients non-covid. Lors de la première vague, nous étions à 80-85% de déprogrammation en moyenne. Et maintenant, nous sommes à 75% pour cette seconde vague.
Que ferons-nous collectivement pour éviter les déprogrammations ? C’est l’enjeu de santé publique pour la troisième vague s’il y a. Certains patients de la première vague n’ont toujours pas été pris en charge en ce qui concerne la médecine générale. Tous les acteurs de la santé en ont conscience, et Ramsay Santé est prêt à anticiper et travailler sur ce sujet.
À SAVOIR
Ramsay Santé est l’un des leaders européens de cliniques et hôpitaux privés. Avec 36 000 salariés, dont 8 600 praticiens, les établissements sont répartis dans toute la France. Le pôle Lyon recense six cliniques et trois hôpitaux. La polyclinique du Beaujolais à Arnas ; les cliniques Iris situées à Marcy L’étoile, Lyon 8ème et Saint-Priest ; la clinique Mon Repos à Ecully ; la clinique de la Sauvegarde à Lyon 9ème ; les hôpitaux privés Médipôle de Villeurbanne ; Jean Mermoz dans Lyon 8ème ; Est Lyonnais à Saint-Priest.