Directeur général des Hospices Civils de Lyon, Raymond Le Moign dresse un bilan réaliste mais sans concession de la crise sanitaire engendrée par l’épidémie de la Covid-19. Selon lui, le monde hospitalier devra retenir les leçons du passé et se réinventer pour aborder les défis de demain.
Vous avez été nommé directeur général des Hospices Civils de Lyon le 2 juin 2020, soit quelques semaines après la première vague de la Covid-19. Depuis, les HCL constituent un maillon essentiel dans la chaîne de traitement de la crise sanitaire. Quels enseignements retirez-vous de cette expérience inédite ?
Premier enseignement, il est nécessaire de réviser nos organisations hospitalières et la conception des bâtiments pour faire face à un aléa, à un contexte sanitaire grave comme celui de l’épidémie de la Covid-19. On a vu qu’une augmentation rapide des capacités d’accueil, des lits de réanimation, de soins critiques ou d’hospitalisation conventionnelle, exige davantage de souplesse à tous les niveaux. Le deuxième enseignement, c’est qu’en cas de circonstances exceptionnelles, tous les acteurs de la santé, publics et privés, sont capables de collaborer efficacement, de mettre en commun leurs ressources. Cela a conduit à la demande de l’ARS à la constitution de hubs publics-privés autour des grands groupements hospitaliers des HCL. Au-delà des spécificités de chacun, il faudra pérenniser cette entente en cas d’urgence sanitaire. Enfin, le troisième enseignement majeur concerne la gestion des ressources humaines. Pour faire face aux situations que l’on a connues et éviter un engorgement de certains services, le monde hospitalier devra à l’avenir mieux intégrer le suivi, l’entretien et le développement des compétences spécialisées, c’est-à-dire concrètement constituer un pool de professionnels soignants capables de rejoindre en cas de besoin des services de réanimation ou de surveillance continue.
Épidémie de Covid-19 : pénurie de personnel, des services durement impactés
La crise sanitaire a mis en évidence les problèmes liés à la gestion du personnel dans le monde de la santé, entre stress, épuisement et démotivation. Les HCL sont-ils aussi confrontés à cette pénurie de personnel ? Faut-il craindre la fermeture de certains services ?

Le monde hospitalier, médico-social et sanitaire dans sa globalité, traverse une période particulièrement difficile en matière de gestion des ressources humaines. Les raisons sont multiples. Certains soignants, épuisés par la crise de la Covid-19, ont décidé d’arrêter de travailler. D’autres ne souhaitent plus exercer à temps plein leur activité professionnelle ou ont été absorbés par l’activité des centres de vaccination. Parallèlement, le secteur hospitalier a continué de créer beaucoup d’emplois pour faire face aux besoins croissants. On se retrouve donc face à un contexte d’inadéquation entre l’offre et la demande. Résultat, aux HCL, près de 260 postes ne sont pas pourvus. C’est beaucoup mais à mettre toutefois à l’échelle des 25 000 postes de notre CHU. Songez qu’à l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris, c’est 4 000 postes qui sont en souffrance !
Concrètement, à Lyon, quelle est la conséquence de cette inadéquation ?
Des fermetures de lits. Aux HCL, entre 4 et 5% des lits ne sont pas ouverts alors qu’ils devraient l’être en situation normale, comme avant la crise sanitaire.
NDLR : interview réalisée avant le pic de la cinquième vague de la Covid-19.
Cette situation risque-t-elle de s’aggraver ?

Non. L’objectif est clairement de ne pas aller au-delà des 5% de fermetures de lits. Mais cela ne signifie pas que les patients ne sont pas pris en charge. Certains sont transférés dans des unités ambulatoires. Il y a surtout des répercussions dans les délais d’accès aux soins.
Quels sont les services les plus impactés ?
Les principales difficultés de recrutement concernent les infirmiers-anesthésistes et les infirmiers de bloc opératoire, et plus largement les problèmes sont concentrés donc le fonctionnement des blocs opératoires et des unités d’hospitalisation de nuit.
Le Ségur de la santé : un bol d’oxygène pour l’hôpital ?
Dans le cadre du Segur de la santé, Olivier Véran a annoncé plus de 1,9 milliard d’euros d’investissement dans la région. Quelle sera la part réservée aux HCL ? Pour quels projets ?
Il faut retenir deux bonnes nouvelles. D’une part, la confirmation de l’opération de rénovation du site d’Édouard-Herriot, parmi les chantiers prioritaires dans la région avec une subvention d’État de 50 millions d’euros pour la seconde phase de restructuration. D’autre part, au titre de la restauration des capacités financières, les HCL vont être aidés à hauteur de près de 157 millions d’euros pour désendetter l’hôpital et recouvrer de nouvelles possibilités d’investir. De quoi aborder l’avenir plus sereinement…
Les objectifs du plan quinquennal Pulsations 2023, engagé par votre précédesseure, Catherine Geindre, sont-ils remis en cause avec la crise sanitaire ?
Les objectifs fondamentaux seront tenus, notamment la notion de prise en compte de l’expérience patient, la nécessité d’investir sur les équipes de soins, le management de proximité… Malgré tout, comme tous les autres grands projets médicaux, ce plan quinquennal a été impacté par la crise Covid-19. Dans certains domaines, cela implique une nouvelle réflexion sur des options stratégiques, en particulier sur les schémas directeurs immobiliers, en particulier pour l’offre de soins critiques et la préservation de nouveaux moyens modulables de prise en charge.
Quels sont les autres grands défis qui attendent les HCL dans les années à venir ?
Nos défis futurs seront aussi ceux de notre système de santé en général. On ne sortira pas indemne de la crise actuelle. Dans cette perspective, on s’oriente de plus en plus vers un hôpital de la prévention, un hôpital capable de soigner, de réparer mais aussi de dépister en amont certaines pathologies, certaines fragilités, certaines vulnérabilités. On dispose de nouveaux outils pour relever ce défi et mieux intervenir en amont, et tendre de plus en plus vers une médecine de précision et une médecine personnalisée. Autre grand défi, le développement de la médecine de parcours dans le cadre d’un schéma territorial. Cela signifie l’usage de nouveaux outils numériques, une facilité d’intervention des professionnels libéraux à l’hôpital et vice-versa. Donc, créer des passerelles entre le public et le privé. La prochaine révolution sera aussi digitale avec l’avènement de l’hôpital numérique, dans le sillage d’une télésanté en voie de généralisation et d’un plus grand usage des outils d’intelligence artificielle. Enfin, le dernier défi sera dans le domaine de la RSE. Une institution comme les HCL, premier employeur de la région, doit pouvoir déployer des actions emblématiques dans le champ de sa responsabilité territoriale, sociale et environnementale.
À SAVOIR
Directeur général des Hospices Civils de Lyon depuis le 2 juin 2020, Raymond Le Moign (53 ans) est diplômé de l’Institut d’études politiques (IEP Aix-en-Provence) et de l’École nationale de santé publique de Rennes (EHSEP). Avant sa nomination à Lyon, il était directeur de cabinet du ministre des solidarités et de santé. Nommé à ce poste par Agnès Buzyn en janvier 2018, il est resté ensuite aux côtés d’Olivier Véran pendant la crise du Covid-19 jusqu’au 20 mai 2020. Auparavant, de décembre 2013 à janvier 2016, le futur DG des HCL avait déjà occupé le poste de directeur adjoint du cabinet de l’ancienne ministre des affaires sociales et de la santé, Marisol Touraine, où il était notamment en charge de la loi de santé. Entre-temps, Raymond Le Moign avait quitté la capitale durant deux ans, cédant au chant des sirènes du CHU de Toulouse pour mener à bien la délicate mission de réorganisation du pôle hospitalier de la ville rose. Il est aujourd’hui à la tête du deuxième Centre Hospitalier Universitaire de France – juste derrière Hôpitaux de Paris – avec 12 établissements en Auvergne-Rhône-Alpes et un autre dans le Var. Plus grand employeur de la région, les HCL gèrent plus de 5 300 lits et comptent plus de 24 000 professionnels.