Une nouvelle ère des pandémies s'est ouverte avec le Covid-19.
Interminable, l'épidémie de Covid-19 résulte vraisemblablement d'une zoonose, transmission pathologique de l'animal à l'homme que la dstruction de la biodiversité pourrait de plus en plus favoriser à l'avenir. ©Shutterstock

Alors que le monde semble plus près de la troisième vague que de l’embellie tant attendue, le pire, selon les experts, pourrait bien être devant nous. La dégradation de la biodiversité favoriserait en effet l’émergence de nouveaux virus capables, comme le Covid-19, d’infecter en quelques mois toute la planète. Le monde de demain verra-t-il une accélération des épidémies ? Les réponses du Pr Olivier Épaulard, infectiologue au CHU de Grenoble.

Comme toutes les grandes pandémies virales récentes, l’épidémie de Covid-19 liée au coronavirus SARS-Cov-2 est issue d’une transmission de l’animal à l’homme. C’était déjà le cas du SRAS, en 2003 et du MERS, en 2012, autres virus de la famille des coronavirus. Mais aussi d’Ébola, en 2014 et 2016, de la grippe A, en 2009, ou encore du VIH, le virus du Sida apparu en 1981.

Si les zoonoses _la transmission d’agents pathogènes des animaux aux êtres humains_ se multiplient, c’est avant tout de notre faute. C’est en tout cas le cri d’alarme lancé en décembre par l’IPBES* : la destruction de la biodiversité accentue les contacts entre l’homme et la faune sauvage, favorisant ainsi les risques de transmissions virales. Il existerait 1,7 million de virus “non découverts“, dont 850 000 seraient susceptibles d’infecter les humains. « À moins que l’approche globale de la lutte contre les maladies infectieuses ne soit modifiée, des pandémies futures vont apparaître plus souvent, se propageront plus rapidement, causeront plus de dommages à l’économie mondiale et tueront plus de personnes que le Covid-19 », préconisent dans leur dernier rapport les experts de l’IPBES.

Pas vraiment rassurant, même si ces données sont à prendre avec des pincettes. Les pandémies, en effet, ne sont pas plus nombreuses qu’avant. Elles sont simplement détectées là où elles étaient ignorées autrefois, se propagent plus vite et font plus de victimes au sein d’une population dont l’espérance de vie ne cesse de croître. Explications.

Nous sommes confrontés à la sixième pandémie mondiale depuis 1918** : quand parle-t-on de pandémie, et non d’épidémie ?

Pr Olivier Épaulard : une épidémie reste très localisée, à une région voire à un pays, à l’image de la grippe saisonnière. C’est lorsque la maladie infectieuse se propage dans le monde entier et touche toute la population que l’on parle de pandémie.

Olivier Epaulard
Olivier Epaulard est infectiologue au CHU de Grenoble.©DR

Pourquoi certaines épidémies dégénèrent-elles en pandémies, et d’autres non ?

Sur ce point-là, il faut reconnaître que nous ne maîtrisons pas tout. Prenons l’exemple de l’épidémie de SRAS, en 2003. Elle n’a duré que quelques mois et s’est arrêtée toute seule, sans que l’on sache vraiment pourquoi. Ceci dit, tant mieux !

Pourquoi l’épidémie de Covid-19 diffère-t-elle des autres épidémies du XXIème siècle ?

Parce qu’elle est d’ordre respiratoire et, surtout, très contagieuse. Il suffit d’être à 50 centimètres de quelqu’un, sans le toucher, pour être contaminé. Les épidémies se distinguent en fonction de leur mode de transmission. Ébola, par exemple, est beaucoup moins contagieux. Comme Zika, qui a besoin du moustique, absent durant l’hiver. Le vecteur respiratoire est le meilleur moyen pour propager très vite une épidémie.

Covid-19 : une mortalité devenue intolérable

Pouvait-on anticiper un tel bouleversement de notre quotidien?

Non, bien sûr. Car ce n’était pas arrivé lors de précédentes pandémies : lorsque l’on regarde les chiffres des épidémies de grippes asiatique ou de Hong-Kong**, on se demande comment on a pu laisser faire cela sans mieux réagir. Mais à l’époque, on ne s’est pas inquiété outre-mesure. Le monde était alors bien plus habitué aux épidémies qu’il ne l’est aujourd’hui.

À quoi peut-on expliquer cette différence de perception ?

Le rapport à la mort a changé. La perfection de nos systèmes de santé (en allongeant l’espérance de vie, NDLR) contribue à ce que l’on ait aujourd’hui une mortalité importante. Et cela nous est devenu intolérable. Et ce d’autant plus que l’on est confronté à une mortalité sans commune mesure : un malade du coronavirus de plus de 75 ans a une chance sur six de mourir, ce qui est vingt fois supérieur à la grippe ! C’est insoutenable pour nombre d’entre nous.

Propagation du Covid-19 : nos modes de vie pointés du doigt

La Chine, où tout a commencé, ne recense que peu de cas de Covid-19. Pourquoi certains pays, comme la France notamment, sont-ils plus touchés que d’autres ?

Il faut se méfier des statistiques : nous ne disposons peut-être pas de toutes les données réelles pour la Chine ou la Russie. Après, les raisons sont variées. Dans les pays en voie de développement, comme en Afrique subsaharienne, la pyramide des âges n’est pas la même, et il n’y a pas la même capacité de diagnostic. On sait aussi que les risques augmentent en cas de diabète et autres maladies liées à la consommation de calories. Ce n’est pas le cas dans ces pays qui n’ont pas accès à la malbouffe.

La manière de gérer l’épidémie de Covid-19 a-t-elle aussi une incidence ?

Une telle pandémie est révélatrice de beaucoup de choses dans une société. Notamment la capacité à respecter des règles simples, comme l’a si bien montré le Portugal au début de l’épidémie. Et il y a aussi les exemples du Brésil ou des États-Unis, où le port du masque a été politisé, où l’on a observé un populisme médical recommandant des traitements qui ne marchaient pas, où certains responsables politiques allaient à l’encontre des préconisations sanitaires… Tout cela, malheureusement, alimente une épidémie.

Est-il vrai que le rythme des pandémies va s’accélérer ?

Il ne faut pas partir de l’idée que nous entrons dans un nouvel âge. Les épidémies ont toujours existé. On a connu la peste noire, la grippe espagnole… La différence, c’est que les épidémies vont aujourd’hui plus vite qu’il y a cent ans. La globalisation des échanges, les voyages en avion, favorisent le phénomène. Et l’espérance de vie est bien plus longue, ce qui accentue la mortalité et renforce cette perception d’une ère nouvelle. Mais en réalité, on identifie tout simplement mieux les épidémies, qui sont plus rapidement globales et mondiales. Mais il n’y a pas forcément d’accélération.

Des études démontrent pourtant que la destruction de la biodiversité devrait entraîner toujours plus d’épidémies. Est-ce inquiétant ?

Le fait que l’on modifie les relations entre la nature et l’homme a des conséquences sur le réservoir animal de virus. Ou même des bactéries : la maladie de Lyme, du fait d’une déforestation massive, est ainsi devenue plus courante. En l’occurrence, toutes les pandémies émergeantes sont d’origine animale : la civette et la chauve-souris pour le SRAS, la chauve-souris et le singe pour Ébola, le cochon et le canard pour la grippe H1N1, le dromadaire pour le MERS, le singe pour le VIH…

Des virus menaçants, réels mais rares

Est-il vrai qu’il y aurait 1,7 millions de virus dormants dans la faune sauvage, dont près de la moitié pourraient infecter l’homme ?

Ces chiffres font plus peur qu’autre chose. Nous sommes plutôt sur quelques milliers de virus menaçants. Et ceux qui ont le potentiel d’infecter l’être humain sont très rares. C’est finalement un risque auquel nous sommes exposés depuis que le monde est monde, et il ne faut pas s’attendre à ce que cela change.

Peut-on toutefois réduire les risques de futures pandémies ?

Lorsqu’un nouveau germe potentiellement pandémique sera identifié, il faudra en effet mieux se préparer. Si dans cinq ans, cela arrive, j’ose espérer par exemple que l’on sera prêts à porter les masques plus rapidement. Nous avons aussi montré notre capacité à fabriquer un vaccin très rapidement, ce qui est une bonne nouvelle. La recherche en infectiologie a beaucoup progressé depuis vingt ans. Sur ce point, les précédentes épidémies nous aident : les données recueillies sur le SRAS ou le MERS nous ont aiguillé. Des travaux avaient été menés et nous ont fait gagner du temps.

Ces épidémies passées, vite circonscrites, peuvent-elles ressurgir ?

Je ne pense pas. Si le SRAS ou le MERS devaient revenir, ces virus seraient déjà réapparus. Il est bien plus probable que si un autre virus émerge, il soit inédit.

*Acronyme anglais de la Plate-Forme Intergouvernementale Scientifique et Politique sur la Biodiversité et les Services Ecosystémiques

**Grippe espagnole (1918-1919) : 50 à 100 millions de victimes
Grippe asiatique (1957-1959) : 1,1 million
Grippe de Hong-Kong (1968-1970) : 1 million
VIH Sida (1981…) : 25 à 35 millions
Grippe A H1N1 (2009) : 160 000 à 600 000 morts

À SAVOIR

Outre le Sida, qui a infecté près de 75 millions de personnes dans le monde depuis son apparition en 1981, d’autres virus continuent de faire des ravages. C’est notamment le cas du choléra, dont la septième épidémie a démarré en 1961 et sévit toujours dans les pays les plus pauvres. C’est la raison pour laquelle l’OMS l’a surnommée la ‘‘pandémie oubliée“. Le virus Ébola, après les épidémies de 2014 et 2016, refait aussi régulièrement surface : ce fut le cas à plusieurs reprises en 2020 en République du Congo.

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Journaliste expert santé / Rédacteur en chef adjoint du Groupe Ma Santé. Journaliste depuis 25 ans, Philippe Frieh a évolué dans la presse quotidienne régionale avant de rejoindre la presse magazine pour mettre son savoir-faire éditorial au service de l'un de ses domaines de prédilection, la santé, forme et bien-être. Très attaché à la rigueur éditoriale, à la pertinence de l'investigation et au respect de la langue française, il façonne des écrits aux vertus résolument préventives et pédagogiques, accessibles à tous les lecteurs.

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