Après plus de six ans à la direction générale de l’Agence Régionale de Santé Auvergne-Rhône-Alpes, le Dr Jean-Yves Grall quitte ses fonctions. Au moment de céder la place à Cécile Courrèges, inspectrice générale des affaires sociales, à partir du 15 mai prochain, ce grand serviteur de l’Etat dresse le bilan de son action et donne les clés d’une bonne gestion des affaires sanitaires et médico-sociales en Auvergne-Rhône-Alpes. Le combat pour l’accès aux soins, et plus largement à la santé, pour tous et partout, mission première de l’ARS, ne se gagne selon lui pas à Lyon mais dans les territoires les plus touchés par la désertification médicale. En privilégiant l’écoute, l’échange et le pragmatisme, comme il l’a expliqué aux membres du Club de la Santé Auvergne-Rhône-Alpes à quelques jours de son terme.
Le Dr Jean-Yves Grall, 66 ans, est un homme de records. Le directeur général de l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes quitte en effet ses fonctions ce 19 avril 2023 après plus de six années de bons et loyaux services. Une longévité exceptionnelle et encore inégalée, marquée notamment par la gestion sans faille de la crise sanitaire dans l’une des régions les plus touchées de France. « Je pars avec le sentiment d‘avoir travaillé efficacement », peut se permettre de confier, à quelques jours de son départ, celui qui a fait l’unanimité pour son implication sur le terrain et sa proximité avec les acteurs locaux de la santé.
Il sera remplacé, à compter du 15 mai, par Cécile Courrèges, inspectrice générale des affaires sociales et ancienne directrice de l’offre de soins, dont la nomination a été officialisée ce mercredi 19 avril en Conseil des Ministres.
Dans le cadre du Club de la Santé Auvergne-Rhône-Alpes, le cardiologue finistérien devenu haut fonctionnaire a profité de l’une de ses dernières sorties publiques pour revenir sur sa carrière et dresser un bilan de son – long – passage en Auvergne-Rhône-Alpes.
“Nous avons bien géré la Crise Covid en Auvergne-Rhône-Alpes”
Vous avez commencé votre vie professionnelle comme cardiologue en Loire-Atlantique. Qu’est-ce qui a motivé le choix de cette carrière médicale hors norme ?
Il y a très certainement chez moi une part d’atavisme pour la chose publique. Mon père était maire d’une petite ville en Bretagne. J’ai toujours baigné dans cette atmosphère. J’ai choisi de devenir médecin par attirance pour le milieu médical, avec l’idée de faire de la « belle médecine ». Je suis devenu médecin mais si j’ai eu un parcours particulier par la suite, je suis toujours resté médecin mais en faisant de la médecine différemment.
Le fait d’être médecin vous a-t-il aidé dans votre mission ?
Je crois que « je parle le docteur » couramment… et cela me sert tous les jours ! Le fait d’avoir été de l’autre côté de la barrière a favorisé, je pense, un discours franc et opérationnel avec les acteurs de terrain et les professionnels de santé. Cela a permis d’instaurer une certaine forme de confiance.
Quels souvenirs garderez-vous de ces presque sept années en Auvergne-Rhône-Alpes ?
Je retiendrais d’abord la richesse et la diversité de cette région et de ses douze départements, que j’ai longuement sillonné. Je crois avoir effectué plus de 80 000 kilomètres durant ma période d’activité ! Mais mon souvenir le plus fort reste celui de la gestion de ces deux années d’épidémie de Covid-19. Il faut le dire, j’ai le sentiment que, dans notre région, nous avons été bons. Nos professionnels ont passé du temps au chevet de leurs malades plutôt que sur les plateaux de télé. Nous avons su œuvrer de manière collective, en travaillant avec ordre, méthode et sérénité, selon la méthode dite « OMS », alors que nous avons fait face à une vague énorme à l’aune de ce qui s’est produit en Île-de-France ou dans le Grand-Est. Chacun a reconnu, notamment, que la gestion du tout premier cluster en France, celui des Contamines-Monjoie en Haute-Savoie, avait été une réussite. C’est un motif de fierté.
“C’est à Aurillac et à Aubenas que tout se joue”
Quels conseils donneriez-vous à votre successeur à la tête de l’ARS ?
Je lui recommanderai d’abord d’être proche des gens. D’aller sur le territoire, car les enjeux ne se situent pas en métropole lyonnaise, mais à Aurillac, à Aubenas ou sur le plateau ardéchois. C’est là que tout se joue et c’est en allant à la rencontre des élus et des acteurs locaux que l’on se rend compte de leurs réalités, de leurs problèmes, du dénuement de certains de nos départements et du manque d’équité dans l’accès aux soins. C’est ce à quoi nous nous employons au quotidien, en composant avec les règles et lois qui sont les nôtres.
Quels sont, selon vous, les grands axes d’une nécessaire réforme du système de santé ?
Avant de parler de réforme, j‘évoquerai la nécessaire adaptation de notre système de santé à l’évolution sociétale que nous connaissons. Nous le constatons à travers les comportements nouveaux des jeunes professionnels de santé. Ils ne sont pas moins bons qu’avant, mais ils sont différents et il faut s’y adapter. C’est indispensable, si l’on veut garantir un niveau de prise en charge convenable. J’estime en effet qu’il serait judicieux de revoir certains de nos fondamentaux, qu’il s’agisse des gardes de nuit ou de week-end, du recours aux intérimaires dans les zones sous-dotées…
Il est vrai que la lutte contre les iniquités en matière de soins a été au cœur de vos préoccupations depuis plus de six ans…
C’est un vrai sujet républicain : tout le monde paie l’impôt, tout le monde est assuré social, mais tout le monde n’a pas le même service. C’est une de mes constantes. Il faut que l’on organise une équité d’accès aux soins. C’est ce à quoi on s’emploie au quotidien, en faisant avec les règles et lois qui sont les nôtres. On ne peut imposer aux médecins d’aller là où ils ne veulent pas.
Nouvelles générations : “on oublie les fondamentaux”
D’où la colère des professionnels de santé, et notamment des étudiants en médecine…
L’appréciation de la prise en charge de nos concitoyens se jauge aussi à l’aune de ces évolutions sociétales. Je pense que l’on oublie trop qu’il y a des gens susceptibles d’être malade la nuit ou le week-end. On oublie les fondamentaux, qui n’apparaissent pas assez dans le comportement des jeunes médecins. Il faut que le système de santé, sans pour autant renoncer à l’essentiel, s’adapte à ces nouveaux comportements, qui ne concernent pas que le domaine de la santé. S’il peut y avoir de la souffrance des soignants, n’oublions quand même pas d’abord la souffrance des malades.
Avez-vous un exemple particulier ?
On parle beaucoup du problème des intérimaires. On a laissé planer la liberté totale d’aller où l’on veut, mais les malades, eux, sont partout. Dans certaines zones nous sommes obligés de faire appel à des intérimaires pour arriver à faire fonctionner le nécessaire. Le système peut se retrouver parfois soumis à un véritable racket !
Nous sommes face à une déstructuration : je choisis l’intérim pour être mieux payer, travailler où je veux quand je veux… Allez expliquer cela aux malades… On a besoin de retrouver les bases, que ce soit les médecins comme les non médicaux ! Si l’on n’y prend pas garde, on va vers une uberisation du système de santé. Pour autant, les patients ne choisissent pas leur moment pour être malades !.
La crise Covid n’a-t-elle pas été le révélateur des carences de notre système de santé ?
Au contraire. Cette crise a d’abord été l’illustration de la robustesse de notre système de santé, et non la marque de sa défaillance. Nous avons réussi à passer un cap majeur, totalement imprévisible. Et le système a tenu, tous secteurs confondus. Mais le prix fut élevé et de nombreux problèmes sont apparus, tant dans l’organisation des soins que dans les recrutements. Cela a accru les besoins en termes d’effectifs et amplifié la complexité de la situation. On a aujourd’hui des difficultés pour remplir les écoles d’infirmiers et d’aides-soignants, et pour les faire rester ! En effet, quand ceux qui n’ont pas la vocation ont pris conscience de la réalité du métier, ils partent ! On a besoin de trouver un peu de simplicité dans les dispositifs de recrutement, conçus au national et très complexes. C’est important de faire des cadres, mais il faut ensuite laisser aux acteurs de terrain la possibilité de les adapter à leurs réalités. Il faut un État agile, responsable, adapté et proche des gens sans rien céder à la notion d’équité. J’estime qu’il y a de la place dans une gradation.
“Il faut conserver l’autonomie des ARS”
Dans ces conditions, comment avez-vous perçu les critiques durant la crise sanitaire ?
Forcément mal. Nous avons été critiqués injustement sur plusieurs points. La gestion des masques, tout d’abord. Mais ce n’était pas du ressort de l’ARS, qui a pourtant essayé de faire son possible pour mettre à disposition des stocks. On nous a aussi reproché des défaits dans les statistiques : mais cette tâche est celle de Santé Publique France, pas des ARS ! Nous avons été injustement critiqués, alors qu’un boulot formidable a été effectué.
On entend dire que le modèle des ARS s’essouffle, est-ce votre sentiment ?
Non ! N’oublions pas d’où l’on vient, avec les DDASS et les DRASS, puis finalement les ordonnances « Juppé » de 1996 qui ont créé les Agences régionales d’hospitalisation (ARH). À l’époque, le directeur de l’ARH, comme aujourd’hui celui de l’ARS, était nommé en conseil des ministres, comme les Préfets. La création des ARH a ouvert la voie vers une administration moderne de la santé, incarnée, responsabilisée et adaptée aux territoires. Les Agences Régionales de Santé ont poursuivi dans ce sens. Elles ont fait la preuve de leur efficacité, en témoigne la gestion de la crise sanitaire. Il faut conserver l’autonomie des ARS, qui garantit leur agilité et leur efficacité.
Quelle place faut-il donner à la prévention dans notre système ?
En matière de prévention évaluable, à savoir les vaccinations, les dépistages… j’estime qu’il faudrait un effort de conviction très net. Ensuite, pour ce qui est de la prévention générale, je pense qu’elle ne doit pas être du seul ressort du secteur de la santé. Les facteurs environnementaux, comportementaux, sociétaux comptent et cette stratégie doit être développée à travers une politique interministérielle, impliquant également le travail, l’éducation nationale… Cette approche préventive se fait sur du long terme, du continu et du massif. Elle doit démarrer dès le plus jeune âge, à l’école. Et le meilleur exemple à suivre, en la matière, est la prévention routière, qui a au fil des ans prouvé son efficacité.
À SAVOIR
Cardiologue de formation, le Dr Jean-Yves Grall a exercé en Loire-Atlantique jusqu’en 2003. Il est nommé conseiller médical de l’ARH d’Île-de-France en 2003 avant de prendre la direction de l’ARH, puis de l’ARS Lorraine de 2007 à 2011. Il est Directeur Général de la Santé de 2011 à 2013 avant de prendre la tête de l’ARS Hauts-de-France jusqu’en 2016, date de sa nomination à la tête de la deuxième plus grosse ARS de France, celle d’Auvergne-Rhône-Alpes, jusqu’à sa retraite en 2023.