Le monde de l'Ehpad, ébranlé par les révélations du scandale Orpéa, attend sa métamorphose.
Si la prise de conscience semble réal, la situation n'a pas encore vraiment changé dans les Ehpad, où les contrôles se renforcent mais où les moyens manquent toujours aussi cruellement. ©Shutterstock

Plus de six mois après les révélations du livre-enquête Les Fossoyeurs, le monde de l’Ehpad est aujourd’hui confronté à la suspicion et aux doutes du public. Alors que la loi grand âge se fait attendre, les contrôles se sont intensifiés pour mettre à jour les dérives éventuelles. Le point sur les évolutions en Auvergne-Rhône-Alpes

Sans surprise, le nombre d’alertes pour actes de maltraitances en Ehpad a bondi cette année. La Fédération « 3977 contre les maltraitances », dans son rapport publié début mai, a signalé l’ouverture de 2424 dossiers, dont 79% concernent des personnes âgées, par l’intermédiaire de sa plateforme téléphonique nationale pour le seul premier trimestre 2022. Soit 40% de plus qu’en 2021 à la même période.

Victir Castanet, l’auteur des Fossoyeurs, en mars au club de la presse de Lyon. ©Boris Heim

« Ces constats ne surprennent pas, après la forte médiatisation des maltraitances en lien avec une gestion délibérément maltraitante de certaines groupes privés à but lucratif », précise la Fédération 3977. Les révélations de l’ouvrage-enquête Les Fossoyeurs, en janvier, « ont surpris et profondément indigné », témoigne le Dr Bernard Bonne. Le sénateur LR de la Loire est partisan de longue date d’une nécessaire évolution du modèle. Il voyait dans la déflagration une nouvelle occasion de faire bouger les lignes. Et si les groupes visés (Orpéa, puis Korian et Bridge) appartiennent à la caste des groupes privés commerciaux, c’est tout un secteur (public et privé non lucratif compris) qui a subi l’opprobre. Et admis la nécessité d’une révolution de fond pour les 9500 établissements français.

Mais en vérité, force est de constater que plus de six mois après les faits, la mue se fait toujours attendre, face au « peu d’évolutions notables. Il y a eu quelques pansements, sous forme de décrets et de mesures prises dans la précipitation. Mais ce n’est pas assez ».

Un renforcement des contrôles dans les Ehpad… et au sein des groupes

Pour Bernard Bonne, co-rapporteur en juillet d’une commission d’enquête sur le contrôle des Ehpad, la solution passe avant tout par « un renforcement des inspections pour l’ensemble des structures commerciales, tant sur la question des conditions d’hébergement que des flux financiers ». Et ce, même si une bonne partie de ces établissements ne doivent pas faire les frais de l’amalgame.

L’objectif, pour l’élu ligérien, consiste d’ailleurs à se concentrer sur la gestion des groupes eux-mêmes, jusqu’ici facilement opaque. « L’absence de contrôle a permis à des groupes d’organiser malversations et détournement d’argent public. Mais le manque de moyens peut aussi conduire à des fraudes et des maltraitances involontaires. Tous les établissements ont des difficultés et les anomalies sont nombreuses », prévient Bernard Bonne qui rappelle au passage que « la plupart des directeurs et membres du personnel font un travail remarquable ».

« L’intégralité des Ehpad sera contrôlé »

Raphaël Glabi, directeur de l’autonomie à l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes. ©N.Robin

Le contrôle d’un Ehpad, quel que soit son statut (public, privé commercial ou privé non lucratif), relève de l’Agence Régionale de Santé et des services départementaux. En Auvergne-Rhône-Alpes, 60 à 100 des 950 Ehpad sont ainsi passés chaque année au crible. Ces visites sont organisées en fonction de critères variés. Sont ainsi pris en compte la fréquence des réclamations, le nombre d’événements indésirables graves, le taux d’absentéisme, les problèmes de gouvernance…

« Notre vigilance est constante, et ce depuis toujours. Les révélations de l’affaire Orpea ne changent rien à la manière dont on aborde l’inspection », note Raphaël Glabi, directeur de l’autonomie à l’ARS. « En revanche, c’est la densité du programme de contrôles qui évolue. Le ministère nous a en effet demandé de contrôler l’intégralité de nos Ehpad en deux ans. Nous mettons donc en place un programme en mode gradué. Par thèmes, d’une part, et sur site à travers des contrôles approfondis ou à distance, d’autre part. Nous avons 150 agents habilités pour mener ces inspections, dont une petite équipe entièrement dévolue à cette mission. »

Même son de cloche du côté d’un Département du Rhône « particulièrement sensibilisé à cette problématique. Les services PA-PH (personnes âgées personnes handicapées, NDLR) de la collectivité ont notamment attiré l’attention des conseillers départementaux pour que ceux-ci se mobilisent et fassent immédiatement remonter toutes informations portées à leur connaissance sur des situations susceptibles d’entraver la santé et le bien-être des résidents des établissements de leur secteur respectifs ».

Des décrets en faveur de la transparence

Les inspections sont-elles pour autant la clé d’un véritable changement de fond ? « Non, bien sûr, il ne faut pas tout attendre des contrôles. Face à l’émotion, il faut se rappeler qu’il existe d’autres moyens », tempère Raphaël Glabi. « Au niveau réglementaire, toute une série de textes ont été publiés pour mieux encadrer le suivi des structures ». Ces directives portent notamment sur leur gestion comptable : encadrement des prestations payées par l’établissement, obligation de produire une comptabilité analytique, rétrocommissions obligatoirement redistribuées à l’établissement concerné…

Autre levier essentiel, pour l’ARS, la transparence : « la méthode d’évaluation des établissements a été réévaluée et les résultats sont désormais publics. Et les établissements seront bientôt tenus de publier une série d’indicateurs de qualité auxquels le public, et en particulier les familles, auront accès ». La culture du signalement, de la part des familles comme des professionnels, doit également être encouragée.

De quoi rassurer les résidents et leurs proches ? À court terme seulement, tant la métamorphose de fond semble inéluctable. « Le système Orpéa est honteux, mais c’est tout le système de l’Ehpad qu’il faut refondre. Il faut maintenir la pression », plaide le sénateur Bonne, « pour aboutir au plus vite à la promulgation de la loi Grand Âge, qui donnera enfin aux établissements les moyens d’accueillir les personnes âgées dans des conditions plus dignes ». En réglant notamment la question de leur manque d’attractivité et de la pénurie de personnel induite. À l’heure du virage domiciliaire et d’un recours aux résidences alternatives encore timide (lire encadré) malgré une demande grandissante (150 000 places de logements à trouver d’ici 2030), l’Ehpad n’a sans doute pas d’autre échappatoire pour sortir de sa crise d’obsolescence.

Les Ehpad sur la sellette : des témoignages accablants

Reflet d’un mal-être certain, de nombreux témoignages nous sont parvenus de toute la région. Extraits.

Un Ehpad en Isère

« Notre mère, qui ne peut pas bouger seule, souffrait d’escarts. C’était un vendredi soir, et elle s’apprêtait à passer le week-end entier à souffrir sans voir un médecin. On a essayé de le solliciter, mais on nous a pris de haut. On a vraiment le sentiment qu’en tant que famille, on ne nous écoute pas : on n’a rien à dire et à demander ».

Un Ehpad dans le Rhône

« La plupart du temps, le petit déjeuner et le gouter de ma mère étaient sur sa table à un mètre de son lit. Ils ne lui étaient pas donnés, j’ai dû certains jours venir deux fois dans la journée. Lorsque ma mère est entrée dans cette maison, elle pesait 57 kilos, à son décès elle pesait 27 kilos. Mais le pire, c’est que sa fin de vie a été un véritable calvaire et pour elle et pour moi ».

Un Ehpad dans le Cantal

« Il y a dans les Ehpad un manque de personnel que nul ne veut régler. Les résidents devraient avoir des animations, mais il n’y a pas assez de monde pour les assurer. Le personnel n’est pas assez nombreux pour les faire manger, pour les accompagner pour des sorties si essentielles pour eux, notamment dans les établissements spécialisés Alzheimer, où les portes sont fermées pour éviter les fugues ».

Un Ehpad en Haute-Savoie

« Quand ma mère avait besoin d’un change il m’est arrivé de parcourir tout le bâtiment, les 2 ailes et tous les petits corridors, pas un chat ! Il faut attendre leur réapparition. Et là encore si vous avez une demande précise, la réponse est très décevante. Pourquoi ma mère est déjà en chemise de nuit (il est 16 h 30) ? Où est son dentier ? Elle a un pansement sur le bras, est-elle tombée ? A-t-elle bien mangé ce midi ?… »

Un Ehpad dans le Rhône

« Un jour, on m’a téléphoné pour me dire que ma mère était tombée mais que tout allait bien, ma mère hurlait sous la douleur, et avait le col du fémur cassé ; j’ai dû intervenir pour qu’on lui passe des radios, elle est restée deux jours avec sa hanche cassée, puis 55 jours avec de la morphine, l’infirmerie oubliait parfois de lui faire les piqures ! »

Un Ehpad en Isère

« Cela se passait très mal, manque de soins, de nourriture, de surveillance, ce qui a occasionné de nombreuses chutes, notre mère était couverte de bleus et avait des fractures non soignées, les traitements pour sa maladie de Parkinson étaient rarement donnés à l’heure ce qui est pourtant essentiel dans cette maladie, et j’en passe. J’ai porté plainte à la gendarmerie, classée sans suite. »

Un Ehpad en Haute-Savoie

« Quelques fois les personnes sont bien installées en arc de cercle devant la télévision, sauf que la télé, elle est éteinte ! Ce qui est désespérant, ce n’est pas que l’écran soit noir. C’est qu’il n’y ait pas un seul résident qui demande qu’on l’allume. »

Un Ehpad en Isère

« On ne compte plus les vêtements ou les objets abîmés ou disparus… On se retrouve avec du linge d’autres résidents, tout ce que l’on apporte pour décorer se retrouve saccagé. Le ventilateur de notre mère a même été récupéré pour être placé dans un couloir non climatisé. »

A SAVOIR

Paru fin janvier aux éditions Fayard, l’ouvrage est le fruit de trois ans d’enquête menée par le journaliste Vincent Castanet sur les dérives lucratives du groupe privé Orpéa, leader de la gestion d’établissements pour personnes âgées dépendantes (354 en France) et présent dans 23 pays. Un système oscillant entre gestion comptable occulte (malversations, détournement d’argent public…) et défaillances de soins (manque de personnel, rationnement de la nourriture et du matériel…) Alors que le groupe Orpéa s’est engagé à modifier ses pratiques, une enquête préliminaire pour maltraitance institutionnelle et infractions financières est en cours.

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