Cinq à dix ans, le temps moyen du diagnostic de l’endométriose… Alors que cette pathologie gynécologique touche jusqu’à 2,5 millions de femmes en France, cette longue errance de diagnostic condamne la plupart d’entre-elles à souffrir en silence. La réduction de ce délai est devenu un enjeu de santé publique majeure. À Lyon, les chercheurs des Hospices Civils de Lyon et du département Recherche et Innovation de Capgemini se sont ainsi associés autour de trois ambitieux projets (Endopaths, Endoview et Endoscore) visant à utiliser l’intelligence artificielle pour accélérer la détection de l’endométriose et favoriser une meilleure prise en charge des patientes, notamment sur le plan psychologique. Une approche révolutionnaire, jugée par les experts comme incontournable dans la médecine de demain.
Encore balbutiante dans le domaine de la santé, l’intelligence artificielle peut-elle faire figure de remède miracle ? Si rien, espérons-le, ne remplacera l’expertise humaine, l’IA est un outil dont on aurait tort de se passer dans les hôpitaux et autres établissements de santé, tant les champs d’application sont immenses, et notamment au service des malades.
Certains acteurs de la santé l’ont bien compris, à l’image des Hospices Civils de Lyon, qui se sont associés à CapGemini pour développer le projet DIMEDIA (pour Dispositifs Médicaux et Diagnostics Augmentés). Avec en fer de lance un projet autour de l’endométriose, portant sur la nécessité d’améliorer le diagnostic et, incidemment, d’accélérer la prise en charge d’une pathologie gynécologique encore trop méconnue, mais qui touche pourtant de manière plus ou moins sévère une femme sur dix en âge de procréer.
Endopaths, un outil pour faciliter le diagnostic de l’endométriose
L’endométriose est une maladie inflammatoire liée au développement de l’endomètre (la muqueuse tapissant les parois utérines) à l’extérieur de l’utérus. Elle se caractérise principalement par de fortes douleurs durant les règles et les rapports sexuels, des crampes abdominales ou pelviennes chroniques, des troubles urinaires ou digestifs, voire de l’infertilité. Des symptômes aux répercussions terribles et parfois invalidantes, qui condamnent les femmes concernées à souffrir en silence, le temps que soit identifié le mal qui les ronge. Le diagnostic de l’endométriose, en effet, est généralement très long à poser, entre cinq à dix ans selon les cas.
Le postulat de départ, pour les équipes du département Recherche et Innovation France de CapGemini, était d’utiliser l’intelligence artificielle, une technologie dans laquelle le groupe informatique a établi une solide expertise, pour aider les spécialistes à réduire l’errance médicale de ces patientes invisibles. Cette ambition s’est concrétisée à travers une première solution, baptisée Endopaths, un outil de diagnostic intelligent destiné aux médecins, testé entre 2021 et 2023 sur la base des dossiers médicaux de 200 patientes de l’hôpital de la Croix-Rousse, à Lyon.
“Nous avons tout de suite été intéressés par le projet”, confirme le Dr Charles-André Philip, chef de service adjoint du service de gynécologie-obstétrique de l’Hôpital Femme Mère Enfant de Lyon-Bron (Hospices Civils de Lyon). Dans un contexte où la plupart des femmes souffrant d’endométriose multiplient les consultations, “nous avons vite mesuré la capacité de l’intelligence artificielle à synthétiser instantanément un dossier médical aussi bien, voire mieux, qu’un médecin le ferait en plusieurs heures. Outre un gain de temps précieux, cela nous permet de sécuriser les décisions et d’accélérer les processus”.
“Nous ne remplaçons pas les médecins : nous leur fournissons un outil“

De manière très concrète, Endopaths utilise l’IA pour croiser les données du dossier médical de la patiente afin d’établir de manière quasi immédiate un score de diagnostic rapide. “Nous ne remplaçons pas les médecins : nous leur fournissons un outil. Nous aurons toujours besoin de leur expertise et de leur interprétation”, précise Charlotte Alliod, responsable recherche et Innovation chez CapGemini. “Nous sommes encore en phase de validation du modèle, qui doit atteindre un taux de prédiction le plus élevé possible. Nous espérons pouvoir développer un produit finalisé d’ici un an et demi. L’idée, à terme, est que cette solution permette de réduire le délai de diagnostic d’au moins deux ans”.
Cette démarche s’inscrit dans un contexte porteur d’espoirs pour les patientes souffrant d’endométriose. Les initiatives se multiplient, à l’image du test de diagnostic salivaire rapide mis au point par la startup lyonnaise Ziwig ou de l’ouverture, par les Hospices Civils de Lyon, de trois hôpitaux de jours conçus pour accélérer la prise en charge des femmes concernées.
Endométriose : quels sont les autres bénéfices de l’intelligence artificielle ?
C’est aussi l’objectif des deux autres outils développé par CapGemini, toujours en partenariat avec les Hospices Civils de Lyon. Endoview est une solution permettant, toujours grâce à l’intelligence artificielle, de faciliter sur des images en IRM la détection de lésions de ligaments utéro-sacrés, caractéristiques de l’endométriose. “Cet outil serait d’une aide très précieuse dans les services de gynécologie ne bénéficiant pas de l’expertise d’un spécialiste de l’endométriose. Et apporter cette expertise là où elle n’est pas, dans un contexte de désertification médicale, est aussi une manière de réduire cette errance diagnostique”, note le Dr Charles-André Philip.
La troisième solution, baptisée Endoscore, touche plus à la gestion de l’impact psychologique de la maladie sur les femmes souffrant d’endométriose. L’absence de réponse médicale, la lenteur du diagnostic, l’invisibilité de douleurs pourtant quotidiennes sont autant d’éléments favorisant la détresse psychologique, comme l’a révélé un questionnaire soumis aux adhérentes de l’association Endofrance. “Endoscore est une application qui fonctionne comme un nutriscore”, explique Charlotte Alliod. “Nous sélectionnons une quinzaine de questions stratégiques permettant d’établir grâce à l’IA le degré de difficultés psychologiques pour, ensuite, co-construire en lien avec les médecins des solutions d’accompagnement adaptées”. L’appli sera présentée sur le salon Santexpo (du 21 au 23 mai à Paris Expo) et ses développeurs ont bonne espoir d’aboutir à un déploiement officiel “avant la fin de l’année”.
Retrouvez ici l’émission Votre Santé consacrée à l’endométriose.
À SAVOIR
Le département Recherche et Innovation de CapGemini France réfléchit au développement de solutions utilisant l’intelligence artificielle dans de nombreux autres domaines de santé. L’un de leurs axes de travail concerne l’amélioration de la détection de la pré-éclampsie, l’une des pathologies les plus fréquentes de la grossesse. Cette complication révélée durant le deuxième trimestre de la grossesse pourrait ainsi, grâce à l’IA, être détecté dès le premier trimestre.