Un état de fatigue incompréhensible ? Suffisamment grave pour perturber votre vie et vous empêcher de travailler ? Vous faites peut être partie du demi-million de Français potentiellement victimes d’une maladie invalidante et méconnue : l’encéphalomyélite myalgique. Autrefois appelé syndrome de fatigue chronique, cette maladie aux répercussions terribles pour le quotidien a été mise en lumière par l’épidémie de Covid-19, puisque l’encéphalomyélite myalgique fait partie des séquelles courantes du Covid long. Les explications de Chantal Somm, membre du Collège de l’association Millions Missing France, qui œuvre à la reconnaissance de cette maladie aux ‘’millions d’oubliés’’.
Le nombre de victimes silencieuses de l’encéphalomyélite myalgique aurait presque doublé depuis l’épidémie de Covid-19. Elles seraient aujourd’hui près de 500 000, en France, souvent confinées à domicile par les affres d’une maladie aux caractéristiques difficilement palpables. Toutes ont en commun une fatigue chronique plus ou moins inexplicable, à l’image de Chantal Somm. « J’étais ethnologue », confie cette habitante du Cantal. « Aujourd’hui à la retraite, j’ai travaillé à temps partiel, avec de nombreux arrêts, depuis 1999, au début de la maladie, jusqu’en 2014, année durant laquelle j’ai dû abandonner mon métier d’ethnologue ».
Une maladie peu connue, voire boudée par les médecins, mais dont elle détaille les terribles symptômes, les signes qui peuvent alerter et les rares traitements disponibles dans l’arsenal thérapeutique.
“L’encéphalomyélite myalgique s’attaque à tous les systèmes”
Qu’est-ce que l’encéphalomyélite myalgique ?
L’encéphalomyélite myalgique est une maladie systémique. Cela signifie qu’elle s’attaque à tous les systèmes : immunitaire, digestif, cérébral, endocrinien… Elle se caractérise par des symptômes très variés, dont deux sont cardinaux, l’épuisement et le malaise post effort. Le malaise post effort correspond à une aggravation des symptômes après une surcharge d’activités du quotidien : passer l’aspirateur, regarder un film, prendre un fou rire… C’est le principal signe d’alerte de la maladie. Mais il n’est pas facile à discerner, car il se manifeste en décalage, parfois le lendemain, à travers un état grippal ou autre. Comme si, en somme, on était subitement tombé malade sans raison particulière.
Pourquoi parle-t-on parfois de syndrome de fatigue chronique ?
C’est une appellation souvent utilisée, mais qui selon nous est totalement inappropriée, voire ambiguë. La fatigue est un symptôme courant dans de nombreuses maladies. Et elle n’est pas, en soi, une affection qui alerte. Pour preuve, on préconise simplement du repos en cas de fatigue. L’encéphalomyélite myalgique regroupe en réalité une grande variété de symptômes, dont la fatigue. C’est une maladie très invalidante, dont on ne parle pas, alors que 75% des personnes touchées ne peuvent plus travailler…
Combien de personnes sont touchées par la maladie ?
Nous manquons de données épidémiologiques pour répondre avec exactitude. Mais selon les études, on recensait en France avant le Covid 150 000 à 300 000 malades, et 20 à 30 millions dans le monde. C’est donc tout sauf une maladie rare, puisque c’est plus que le nombre de personnes atteintes de sclérose en plaque et de la maladie de Parkinson réunies. Depuis l’épidémie de Covid-19, ce nombre a augmenté et concerne aujourd’hui un demi-million de Français.
Au moins 15% d’EM chez les victimes de Covid long
L’épidémie de Covid-19 a-t-elle servi de révélateur ?
Parmi les malades de Covid long, certains déclenchent des malaises post effort qui s’installent dans le temps et présentent d’autres symptômes qui correspondent aux critères de l’encéphalomyélite myalgique. Tous les Covid long ne sont pas concernés, mais selon les études, 15 à 49% des personnes atteintes de Covid long déclenchent une encéphalomyélite myalgique. Ces chiffres sont inquiétants, si l’on se réfère aux estimations les plus hautes. Au sein de l’association, nous préférons rester prudents et annoncer le chiffre de ‘’au moins 15%’’.
Quels sont les publics les plus à risque ?
Nous avons des malades de tous les âges, de tous les milieux, de toutes les professions… On recense toutefois plus de 70% de femmes . La maladie peut apparaître à tout âge, y compris dans l’enfance, avec des pics d’apparition à l’adolescence et entre 25 et 40 ans x .
Existe-t-il des terrains favorables ?
Parmi les nombreuses hypothèses de facteurs favorisant, celle d’un dysfonctionnement du système immunitaire est la plus courante. La maladie se développe en effet dans 80% des cas après une infection (bactérienne, virale…). C’est le cas du Covid long.
Premier symptôme : une fatigue brutale et anormale
L’encéphalomyélite myalgique peut-elle être héréditaire ?
Il arrive qu’il y ait plusieurs malades par famille. C’est mon cas, puisque ma fille est également atteinte. Mais il n’y a à ce jour aucune preuve de l’implication d’un gène dans l’encéphalomyélite myalgique. Nous voyons dans les familles concernées des antécédents fréquents de cancers ou de maladies auto-immunes.
Quels en sont les principaux symptômes ?
Le premier d’entre eux est une fatigue brutale et anormale, à l’image d’un sportif qui, subitement, n’arriverait plus à produire ses efforts. L’autre marqueur significatif est l’installation d’épisodes soudains d’aggravation : le malaise post effort, qu’il est difficile d’identifier. Ce sont ces rechutes répétées qui doivent alerter. Leurs symptômes sont variés et propres à la vulnérabilité et aux faiblesses de chaque malade : douleurs, vertiges, troubles cognitifs (mémoire, attention, fuite des mots…), tachycardie ortho-posturale (cœur qui bat très vite quand on se relève), difficultés à réguler sa température, troubles digestifs… Cette grande variabilité rend la maladie très complexe à appréhender pour les médecins. D’où, fréquemment, une longue errance médicale.
De lourds impacts sur la vie de tous les jours
Quelles sont les répercussions sur le quotidien ?
Du fait de l’épuisement, des nombreux symptômes et, souvent, d’une hypersensibilité au bruit et à la lumière, il est très difficile de conserver une vie sociale, de travailler, de gérer sa famille, de partir en vacances… Une personne atteinte d’encéphalomyélite myalgique va réduire son activité et tout faire plus lentement. Elle sera obligée de s’arrêter souvent et faire une simple vaisselle peut prendre beaucoup de temps. Même le fait de manger est fatigant.
Ces effets sont-ils gradués en fonction de l’état du malade ?
Pour les malades en état léger, soit 25%, les répercussions concernent surtout la vie sociale et professionnelle. Les 50% considérés en état modéré restent autonomes, mais toutes les activités de leur quotidien sont impactées. Les malades les plus touchés, en état sévère, sont confinés à leur domicile et passent plus de 20 heures par jour allongés : ils sont dépendants pour leur quotidien et subissent de lourdes difficultés cognitives. Chez 4% des malades, au stade très sévère, les répercussions sont terribles : ils sont dépendants pour tout, alités 24 heures sur 24 dans l’ombre et avec un casque anti-bruit, certains sont nourris par sonde…
Des malades mal identifiés et peu reconnus
Pourquoi l’encéphalomyélite myalgique n’est-elle pas mieux reconnue ?
Pour plusieurs raisons. Sans doute un peu, d’abord, parce que la maladie touche surtout les femmes, qui sont globalement moins bien soignées que les hommes. Ensuite parce que la maladie est difficile à appréhender par des médecins qui ont été formés dans la culture de spécialités et d’affections bien identifiées. D’où cette tendance à expliquer que le mal dont on souffre est avant tout psychosomatique, ce qui n’est absolument pas démontré à ce jour pour l’encéphalomyélite myalgique. Des choix économiques peuvent aussi expliquer ce déni : quand 75% de 500 000 malades ne travaillent pas et doivent bénéficient de soins et d’aides financières, on peut imaginer que le coût pour l’Etat est colossal. L’enjeu est de taille.
Pensez-vous que cette reconnaissance soit sur la bonne voie ?
L’encéphalomyélite myalgique est bien reconnue en France comme une maladie neurologique. Mais elle ne fait l’objet d’aucune directive médicale ou de formation en santé. On ne recense d’ailleurs en France que quatre spécialistes de l’encéphalomyélite myalgique, dont aucun pédiatre. Une résolution européenne a été votée en 2020 pour inciter chaque pays à favoriser la recherche sur l’encéphalomyélite myalgique. Mais la France, où le budget consacré à la recherche fait figure de parent pauvre, est clairement en retard.
Quelles solutions contre l’encéphalomyélite myalgique ?
Existe-t-il des traitements efficaces ?
Il n’y a pas de traitement curatif aujourd’hui. Cela sera peut-être le cas lorsque l’on aura compris le processus d’installation et d’entretien de l’encéphalomyélite myalgique, il y a des recherches prometteuses. En attendant, on soigne tous les symptômes que l’on peut soigner. L’objectif est également d’apprendre aux malades à aménager leur quotidien pour leur permettre de faire un maximum de choses tout en préservant leurs besoins de repos. Il est important de noter aussi qu’en cas de malaise post-effort, les programmes classiques de réadaptation à l’effort sont contre-indiqués. De nombreux pays ont inscrit cette contre-indication dans leurs directives. Mais en France, ils sont encore prescrits systématiquement et sont responsables d’aggravations sévères, voire irréversibles.
En cas de suspicion d’encéphalomyélite myalgique, qui peut-on contacter ?
Le mieux est de nous envoyer un message par mail. Nous pourrons répondre à leurs questions et les conseiller. Et nous savons aujourd’hui orienter les gens vers l’un des 200 à 300 médecins français que nous avons sensibilisés à l’encéphalomyélite myalgique.
À SAVOIR
L’association Millions Missing France a été, fondée en 2018. Elle propose soutien, entraide et ressources aux malades, et organise des actions de sensibilisation à l’image du rassemblement organisé le 13 mai 2023 à Lyon sur la Place de la République. Avec un geste symbolique fort : déposer des paires de chaussures vides représentant ces malades oubliés, trop faibles pour pouvoir se déplacer.
Infos sur millionsmissing.fr et via info@millionsmissing.fr
Un grand merci pour cet article ! Merci de nous donner la parole 😊
👏 Merci beaucoup pour cet article pertinent ! On est bien loin des articles simplistes sur le “Syndrome de Fatigue Chronique”, qui se résument souvent à des conseils hygiénistes bateau, totalement inadaptés (voire insultants) pour une maladie aussi invalidante que l’encéphalomyélite myalgique. Grâce un média comme le vôtre, le niveau des commence à monter en France, il était temps !
Merci pour cet article! On espère que cela fasse avancer les choses pour nos malades.
MERCI pour cette article, il est très bien fait!
Merci beaucoup pour cet article, nous avons besoin d’être reconnus et soignés !
Bonjour,
Comment contacter en message privé pour poser des questions?
Bonjour,
le mieux reste de contacter l’association MMS, comme indiqué dans l’article où figurent les coordonnées. Ce sont eux qui sont les plus à même de répondre aux questions relatives à l’encéphalomyélite myalgique.
La rédaction de Ma Santé
Merci pour cet article, qui a déjà pu permettre à des personnes de se reconnaître dans les symptômes persistants suite au covid ou à une infection antérieure.
Le travail d’information et de prévention par les médias est essentiel.
Encore un merci à Philippe Frieh pour son professionnalisme et son écoute.
Bonjour, comme indiqué dans l’article,
n’hésitez pas à nous contacter à info@millionsmissing.fr
Bien à vous, MMF