Une infirmière marquée par la fatigue, conséquence de la lourde pénurie de personnel qui frappe tous les secteurs de la santé.
Épuisés, les soignants s'inquiètent à l'approche de l'été, quand les congés vont encore un peu plus faire fondre leurs rangs. ©Freepik / Diana Grytsku

De l’hôpital aux Ehpad, du service à domicile à l’activité libérale, la pénurie de personnel frappe de plein fouet l’intégralité de la filière du soin et de l’aide à la personne. Face aux besoins qui ne cessent de s’amplifier, une question domine : comment l’été va-t-il se dérouler, lorsque le personnel encore en poste prendra ses congés ? L’inquiétude est particulièrement brûlante du côté des urgences et du secteur du grand-âge. Le point sur une situation sans précédent, en Auvergne-Rhône-Alpes comme ailleurs.

La pénurie de personnel n’est plus une menace agitée par quelques oiseaux de mauvais augure. C’est une réalité, et le phénomène, profondément aggravé par la crise sanitaire, touche désormais toutes les strates de la filière du soin et de l’aide à la personne. Aucun secteur n’est épargné. Et si ce triste état de fait pose clairement la question de la prise en charge future des patients et personnes en perte d’autonomie, la préoccupation première concerne l’été à venir.

L’inquiétude est en effet réelle, à l’aube des premiers départs en congé du personnel encore en poste et… déjà sous haute tension. La Fédération Hospitalière de France annonce ainsi que « la quasi totalité (99%) des établissements connaissent des difficultés de recrutement, de manière permanente (80,3%) ou ponctuelle (18,9%) ».

L’enquête de la FHF, réalisée en avril et mai auprès de 400 CHU, CH, Ehpad ou ESMS (établissement ou service médico-social) publics (dont 12% en Auvergne-Rhône-Alpes), pointe les besoins les plus criants : les infirmières (IDE) de blocs opératoires et de chirurgie, dans les CHU et, surtout, du personnel spécialisé en gériatrie et gérontologie, tous secteurs confondus. « Je culpabilise car je pars une semaine en congrès. L’une de mes consoeurs est en arrêt et celle qui reste est en pleurs à l’idée d’assurer toute seule », souffle en privé un gériatre lyonnais, effaré par la dégradation brutale de la situation. Le même médecin, il y a moins d’un an, faisait preuve de confiance et s’étonnait presque des cris d’orfraie des cassandres prédisant le cataclysme à venir.

Le grand âge sous le feu de la pénurie

La multiplication des alertes montre que celui-ci n’a jamais été aussi proche. Notamment dans les Ehpad, où « les manques les plus critiques concernent toujours les aides-soignants, infirmières et médecins coordinateurs ». Pour Pierre-Yves Guiavarch, directeur général du groupe privé associatif ACCPA, qui gère 42 établissements dont la moitié en Auvergne-Rhône-Alpes, « il faut une prise de conscience réelle des difficultés que connaissent les établissements accueillant des personnes âgées. Toute la filière du soin est touchée et nous avons de fortes inquiétudes sur la manière dont va se dérouler l’été. Nous lançons un appel à l’aide à l’État pour passer ce cap », appuie celui qui est également délégué régional du Synerpa, premier syndicat national des maisons de retraites privées.

Le recours au services d’aide à domicile, pierre angulaire du fameux virage domiciliaire plébiscité pour le “bien vieillir”, ne sera pas une solution à court terme. Le secteur est en effet en proie aux mêmes difficultés. La Fédésap (Fédération des Services à la Personne et de Proximité) estime à 25 000 personnes ses besoins de recrutement à court terme. « Notre secteur faisant face à la fois à un énorme problème de recrutement et un déficit de reconnaissance de nos salariés de ”1ère ligne”, nous ne pourrons tout simplement pas répondre à toutes les demandes de prises en charge qui arrivent », résume son président, Amir Reza-Tofighi. « En parallèle, l’angoisse monte dans les services d’urgences en sous-effectif, médecins et soignants craignent une ”catastrophe”. Les difficultés des deux secteurs vont donc se cumuler, accélérant la crise en cours de l’hôpital déjà dramatique. »

Activité réduite dans 120 services d’urgences

« Nous tirons la sonnette d’alarme car nous ne pouvons plus servir tout le monde », confirme Frédéric Neymon, de la Fédésap Auvergne-Rhône-Alpes. « On a des gens que l’on est obligés de laisser, pour se concentrer sur les situations les plus critiques. Cela favorise l’aggravation des autres situations et le risque d’embolisation des urgences », particulièrement durant cet été sur le grill.

Une inquiétude partagée par les infirmiers libéraux : « l’été s’annonce brûlant dans les services d’urgences de la région compte tenu de la pénurie de personnel et des déserts médicaux. Certains services vont travailler à flux tendus. D’autres risques de fermer en période estivale faute de ressources humaines pour traiter les entrées », note Philippe Rey, président de l’URPS Infirmiers Libéraux Auvergne-Rhône-Alpes. Selon l’association Samu-Urgences de France, 120 services d’urgences ont déjà réduit leur activité ou se préparent à le faire.

L’État appelé à réagir

En attendant une réforme structurelle qui réglerait le mal en profondeur, l’heure est donc aux pansements. Et tous les regards se tournent vers l’État. Dans la « perspective d’un été cauchemardesque », les infirmiers libéraux de l’URPS IDEL AuRA militent « pour une solution facile à mettre en oeuvre : obtenir la reconnaissance et le financement des soins de premier recours ».

Le secteur de l’aide à domicile, lui, demande « le déblocage de moyens financiers pour mettre en place des primes de présentéisme et améliorer ainsi l’attractivité de nos métiers. Il faut une mesure d’urgence, avec des enveloppes allouées et répercutées tout de suite, en attendant une grande réforme », réclame Frédéric Neymon (Fédésap).

À l’hôpital, toujours plus d’intérim

Du côté de l’hôpital, on sait que la situation ne pourra durer éternellement. Selon la Fédération Hospitalière de France, « la hausse de la fatigue des soignants est la conséquence première des difficultés de recrutement (90% des établissements), suivie d’une hausse du recours aux heures supplémentaires (notamment dans le secteur sanitaire avec 97% des établissements de santé et 90% des CHU) et du recours à l’intérim (67% des établissements) ». Le recours aux vacataires et intérimaires, pas toujours fiable, va encore s’intensifier cet été, faisant peser un poids toujours plus lourd sur les finances hospitalières et sur le dynamisme des équipes. Le 7 juin dernier, c’est bien la « peur d’un mois de juillet particulièrement difficile et un mois d’août horrible » qui fut au coeur du dernier mouvement de grève ayant touché l’hôpital.

Alors que la septième vague de Covid-19 prend de l’ampleur, la période estivale pourrait donc révéler de manière inégalée à quel point le système de santé français a besoin d’être régénéré. La crainte serait toutefois que ce soient des drames qui conduisent à l’accélération des mesures, de la loi grand âge et autonomie à la réforme de l’hôpital. Ce ne serait malheureusement pas une première.

À SAVOIR

L’enquête de la FHF sur la situation Ressources Humaines des établissements publics de santé et médicaux sociaux a délivré plusieurs enseignements, à commencer par un absentéisme inégalé (9,9% des effectifs, contre 7,4% en 2012). Elle a aussi révélé un paradoxe remettant en cause la “fuite des soignants” : les effectifs, en effet, ont augmenté de 3% dans les établissements, y compris dans les hôpitaux. Une hausse malheureusement annihilée par une demande de soins toujours plus lourde, du fait de la dégradation de l’état de santé général des patients, et par “une réorganisation de la prise en charge”.

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