A l’école, beaucoup d’enfants ont du mal à se concentrer. Directeur de recherche à l’Inserm, au sein du Centre de recherche en neurosciences de Lyon, Jean-Philippe Lachaux vient de publier “Les petites bulles de l’attention”, un ouvrage dédié aux plus jeunes pour combattre leurs troubles de l’attention et améliorer leur concentration.
D’où vous est venue l’idée d’écrire un livre dédié aux plus jeunes ?
A la base, les enfants, ce n’est pas du tout mon public, mais j’ai été amené à travailler avec des écoles dans le cadre du projet ATOL financé par l’agence nationale de la recherche, qui a pour but de développer en milieu scolaire des ateliers d’apprentissage de l’attention. Un enfant de 8 ans ne va pas lire un livre de 300 pages, donc le format BD s’est imposé car il avait été testé auprès des enseignants et élèves, et qu’il fonctionnait très bien.
En classe, les professeurs demandent souvent aux élèves de « se concentrer ». Que pensez-vous que cela signifie dans la tête des plus jeunes ?
Un enfant à qui l’on dit qu’il doit se concentrer ne sait pas à quoi cela correspond. Il se dit qu’il doit être sage, ne pas bouger, regarder le tableau. Hors, cela ne veut pas dire qu’il est dans un traitement actif de l’information. On peut regarder un livre sans être concentré sur la lecture. En général, dire simplement à un enfant de se concentrer sans lui expliquer la marche à suivre le met en échec, car il arrive simplement à la conclusion qu’il n’arrive pas à se concentrer.
Quelle est donc la définition que les plus jeunes doivent retenir ?
Il existe deux définitions. La première n’est pas très utile. Elle signifie simplement stabiliser son attention sur un objet, et sur ce que l’on va faire avec. Par exemple, être bien attentif au texte que l’on a sous les yeux, et rester concentré sur la lecture.
La seconde définition est plus intéressante. Il s’agit d’offrir un mode d’emploi propre à chaque activité. Par exemple, déplacer un verre d’eau plein va demander de l’attention. Il faut être concentré pour y arriver. Il faut percevoir le niveau d’eau du verre, essayer de ne pas le faire déborder et le manier avec délicatesse. Il y a donc trois points à préciser. Dans l’ouvrage, j’appelle cela le PIM (perception, intention et manière d’agir). Une fois que l’on a le mode d’emploi, on peut se concentrer.
Concentration, travailler plus vite et mieux
Comment motiver les plus jeunes à se concentrer ?
La motivation va venir de l’effet constaté d’avoir une bonne attention. Lorsque l’on est concentré, tout est plus facile. On travaille plus vite et mieux. Je vais souvent interroger des athlètes de haut niveau pour ensuite retransmettre ce que j’ai appris aux plus jeunes, mais on ne peut pas forcer quelqu’un à se concentrer. Chaque enfant est libre et doit assumer ses choix.
Quel est le rôle des neurones dans la concentration, et notamment des neurones chefs ?
D’abord, il faut bien comprendre qu’il s’agit là d’une simplification. Le vocabulaire des neurosciences ne parle pas de neurones chefs, mais de groupes de neurones situés majoritairement dans le cortex préfrontal avec des fonctions multiples, qui permettent de garder en mémoire une consigne et de faire le tri entre les actions et les perceptions qui aident à mener à bien cette consigne, et tout le reste. L’une des fonctions principales de ces neurones est donc de garder en tête ce que l’on cherche à faire. Les neurones chefs déterminent ce qui est important ou non pour parvenir à exécuter une tâche. Pour reprendre l’exemple du verre plein que l’on cherche à déplacer : le plus important est alors de se concentrer sur le niveau d’eau. Lorsque l’on se déconcentre, c’est souvent parce que l’on a perdu de vue ce que l’on voulait faire. Les neurones chefs font le ménage et activent les bons neurones parmi ceux chargés ici de surveiller ce que nous avons autour de nous et d’activer le système musculaire.
Que se passe-t-il lorsque l’on est distrait ?
Les neurones chefs se « battent » parfois entre eux. Cela arrive lorsque l’on essaie de faire de nombreuses choses en même temps. Il y a alors des interférences destructives entre des groupes de neurones chargés de consignes différentes et contradictoires (couper une tranche de pain et regarder la télé). Il arrive aussi qu’ils soient carrément endormis (leur activité diminue au niveau du bruit de fond). On n’a alors pas d’intention particulière et on se laisse dériver en fonction de nos envies du moment. Ce sont alors les neurones « aimants » (qui représentent dans l’ouvrage un système de neurones appelé circuit de la récompense) qui prennent le contrôle.
Pourquoi les enfants parviennent-ils à se concentrer davantage pour des matières qu’ils apprécient ?
Cela est dû aux neurones aimants. Ils ne sont ni « méchants », ni « gentils ». Parfois, quand on fait quelque chose que l’on aime, ils s’alignent avec nos priorités et ce que nous devons faire. Le cerveau est récompensé par ce que nous sommes en train de faire (le circuit de la récompense s’active) et cela permet une meilleure activité des neurones « chefs ». C’est l’idéal bien évidemment.
Dissocier le travail en plusieurs mini missions
Et comment faire pour que les enfants se concentrent dans des matières qu’ils détestent ?
Lorsque l’on est enfant, on a peu de maîtrise sur son environnement. Souvent, la sensation de fatigue, voire de souffrance vient davantage d’un conflit interne entre ce que l’on est obligé de faire et ce que l’on souhaiterait faire. On se dit que l’on est obligé de faire quelque chose qui nous ennuie plutôt que de nous adonner à quelque chose de plus amusant. Le problème est que le cerveau compare ce qu’il fait avec ce qu’il pourrait faire à la place. Prendre conscience de cela, c’est déjà faire un premier pas.
Les smartphones détournent clairement l’attention des élèves en classe. Mais qu’en est-il lorsque l’on utilise les supports numériques à des fins éducatives ?
Les supports numériques peuvent effectivement amener les enfants à être plus attentifs. Mais si vous mettez un jeu vidéo à côté d’une application pédagogique, la préférence ira toujours au jeu vidéo puisque le cerveau effectue cette comparaison. Le numérique peut sans conteste rendre un cours plus attractif. Le problème est que si tous les cours ne sont pas enseignés de la sorte, les matières présentées de façon traditionnelle vont avoir l’air encore plus rébarbatives.
Quels conseils donneriez-vous aux parents et aux enseignants pour aider les plus jeunes à se concentrer ?
Déjà, dire aux plus jeunes qu’apprendre à être attentif, c’est tout un chemin. Quand on inscrit un enfant à un cours de poney, on ne s’attend pas à ce qu’au bout d’une ou deux heures, il sache en faire. Et bien l’attention, c’est pareil. Il faut apprendre à se familiariser avec l’attention pour apprendre à l’utiliser. C’est un peu décourageant, sauf qu’il faut bien se lancer, et que chaque petit progrès est très gratifiant, ce qui permet de rester motivé tout au long de ce parcours. Pour aider l’enfant, on peut commencer par lui demander combien de temps il pense mettre pour réaliser telle ou telle tâche. Fonctionner par mini missions (des petites missions simples, voire très simples, dont l’objectif est le plus concret possible et à très court terme, quelques minutes éventuellement) sera le plus motivant pour lui.
A SAVOIR
Souvent à l’origine de l’échec scolaire, le manque de concentration et les troubles de l’attention sont parfois difficiles à déceler pour les parents. En cas de doutes, ne pas hésiter à consulter son pédiatre ou un psychologue pour les adolescents.