C’est un sujet qui revient régulièrement dans les discussions. Faudrait-il renoncer à conduire passé un certain âge, au nom du principe de précaution ? Gériatre à Clermont-Ferrand, le Dr Thomas Baudenon répond à cette épineuse question.
Conduire, c’est peut-être un détail pour vous, mais pour eux, ça veut dire beaucoup. « Avoir une voiture, pour une personne âgée, c’est un point absolument essentiel pour rester autonome », insiste le Dr Baudenon, gériatre à Clermont-Ferrand, dans le Puy-de-Dôme. Pour aller faire ses courses, voir ses proches, ou se rendre chez son médecin, conduire est souvent indispensable. « D’autant plus quand leur maison se trouve à la campagne. La voiture est alors une condition sine qua non au maintien à domicile. »
« Avec le temps, va, tout s’en va… » Ces mots de Léo Ferré sont très justes pour décrire la perte progressive des capacités physiques ou sensorielles au fil des années. « L’âge entraîne déjà un raidissement des articulations. Pour la conduite, les raideurs les plus problématiques sont celles qui touchent les cervicales, car il peut devenir difficile de tourner la tête », explique le Dr Baudenon. Avec l’âge, le temps de réaction s’allonge aussi.
Des sens moins aiguisés pour conduire
Danger sur nos yeux…
Parce que lui aussi vieillit, au tournant de la quarantaine, le cristallin devient moins efficace. Il perd de sa souplesse et ne se déforme plus. Conséquence, la vision de près se trouble. C’est la presbytie, qui progresse de 40 à 45 ans jusqu’à 65 ans.
D’autres mots, pas toujours réjouissants, viennent aussi enrichir le vocabulaire des seniors : glaucome, cataracte ou DMLA. Or, le glaucome par exemple s’installe sans faire de bruit. Quand ceux qui souffrent s’en aperçoivent, il est déjà trop tard : ce qui a été perdu de la vision l’est pour toujours. Derrière son volant, la personne ne se rend pas forcément compte que son champ visuel s’est réduit.
C’est pourquoi il est essentiel de consulter à intervalles réguliers un ophtalmologue. Pour détecter au plus tôt une maladie oculaire, et la traiter.
… et nos oreilles
Le capital audition s’amoindrit lui aussi avec l’âge, c’est ce qu’on appelle la presbyacousie. Là encore, la consultation régulière d’un ORL est hautement recommandée. Car mal entendre, c’est risquer de ne pas entendre un klaxon et donc, de ne pas voir un danger. Cela peut aussi empêcher de détecter à temps un petit bruit suspect dans le moteur, ou d’entendre une moto s’approcher.
Quand les troubles neurodégénératifs s’invitent au volant
Les malades de Parkinson doivent demander l’avis de leur généraliste ou de leur neurologue pour pouvoir conduire. Dans certains cas, la conduite peut leur être interdite. Dans tous les cas, il faut éviter de conduire pendant les périodes où les médicaments ne font plus effet. « Quand l’effet du médicament s’arrête, la personne peut avoir des blocages, c’est-à-dire qu’elle n’arrive plus à bouger. »
D’autres problèmes se posent avec Alzheimer. « Il y a d’une part la perte du sens de l’orientation, le risque de se perdre. S’il y a des travaux sur une route par exemple, la personne n’a plus de capacité d’adaptation, elle risque d’être incapable de retrouver son chemin. D’autre part, le patient n’a pas conscience de ses difficultés, et peut se sentir tout à fait capable de conduire, même quand ce n’est plus le cas. On essaie alors de trouver une solution avec la famille, pour retirer la voiture, car le patient lui-même est incapable d’entendre ce qu’on lui dit. »
Adapter son comportement au volant
La plupart du temps, heureusement, la conduite reste possible jusqu’à un âge très avancé, à condition de faire quelques petites modifications. « Par exemple, éviter de conduire de nuit. » Car la baisse de l’acuité visuelle est plus marquée la nuit chez les conducteurs seniors. Ces derniers sont également plus sensibles que les autres à l’éblouissement des phares des autres voitures.
D’autres précautions s’imposent pour rouler sans aucun risque, ou presque : ne pas prendre la route si l’on est fatigué, en cas d’intempéries, éviter les longs trajets, faire des pauses…
Tous les seniors qui suivent un traitement doivent aussi vérifier que les médicaments qu’ils prennent ne provoquent pas de somnolence, ce qui serait une contre-indication à la conduite. « Avec l’âge, les personnes ont de plus en plus de difficultés à faire deux choses en même temps. Donc si le téléphone est évidemment interdit à tous les conducteurs, les seniors doivent encore plus respecter la loi, voire même éviter les appels avec des kits mains libres. »
Des aides plus « techniques » permettent également de compenser les limitations. Un rétroviseur additionnel permettra par exemple de faciliter les contrôles arrière pour les personnes ayant des raideurs dans la nuque. Choisir une boîte de vitesses automatique est également judicieux.
Voir son médecin, à intervalles réguliers
« Un arrêté du 22 mars 2022 fixe une liste de pathologies incompatibles avec le maintien du permis de conduire, ou qui nécessitent un aménagement du véhicule », rappelle le Dr Baudenon. Une personne atteinte par l’une de ces pathologies doit absolument en parler à son médecin traitant. Si besoin, ce dernier lui conseillera de se soumettre à un contrôle médical auprès d’un médecin agréé par la préfecture.
« Si le patient ne le fait pas, alors qu’il est atteint par une des pathologies jugées incompatibles avec le maintien de la conduite, et qu’il a un accident, il n’est pas couvert, et son assurance peut alors se retourner contre lui. » Un vrai risque. Mieux vaut donc ne pas présumer de ses forces, et faire un point régulier sur ses capacités avec son médecin.
« J’aimerais que, comme certains de nos voisins européens, il y ait une visite médicale systématique, à partir de 75 ans, pour évaluer l’aptitude à la conduite. Ceci dit, il m’arrive de dire à certains de mes patients que la conduite leur est désormais contre-indiquée. Et l’immense majorité l’accepte. Mais quand conduire n’est plus possible, il faut impérativement mettre en place des aides de remplacement. Par exemple, un portage de repas, ou une auxiliaire de vie qui amènera la personne âgée faire ses courses. »
À SAVOIR
Jeunes ou vieux, qui conduit le mieux ? Les plus âgés comptent moins de morts dans leurs rangs que les jeunes. C’est un des enseignements du Bilan 2022 de la Sécurité routière. En 2022, en moyenne, 50 personnes sont décédées pour un million d’habitants en France métropolitaine. Dans le détail, on dénombre 101 tués par million d’habitants dans la tranche d’âge 18-24 ans, 71 tués par million d’habitants pour les plus de 75 ans, 61 tués par million d’habitants pour les 25-34 ans et 52 tués par million d’habitants pour les 35-44 ans et les 65-74 ans.