Edouard Gentaz est professeur de psychologie du développement à l’Université de Genève et directeur de recherches au CNRS (LPNC-Grenoble). Il vient de co-signer avec Fleur Lejeune un ouvrage passionnant sur le développement neurocognitif et affectif des bébés prématurés. Interview.
Pourquoi avoir choisi d’écrire ce livre sur les prématurés : manque-t-on de littérature à ce sujet ?
En fait, d’une part, on note une augmentation forte des naissances prématurées; D’autre part, de nombreuses recherches sont menées actuellement sur la question. A Grenoble, nous travaillons beaucoup avec le service de néonatalogie. Depuis 7 ou 8 ans, des articles scientifiques sont publiés tous les ans dans les revues, mais ils sont la plupart du temps en anglais, et aucune synthèse n’est proposée. Notre objectif avec ce livre est de faire un état des lieux des dernières recherches, en France et dans le monde, et de rendre cela accessible à la fois aux professionnels, mais aussi aux parents éclairés. L’originalité de ce livre est que l’on part des compétences du prématuré, jusqu’aux conséquences de la prématurité à l’adolescence, en passant par les différentes méthodes de soins.
Les chiffres démontrent une augmentation significative du nombre de naissances prématurées en France ( 4 naissances sur 5 interviennent à partir de 32 semaines d’aménorrhée) : quelles sont les explications que vous estimez être les plus convaincantes ?
C’est très compliqué de répondre à cette question. On est ici dans quelque chose de pluri-factoriel (grossesse multiple, malformation de l’utérus, alcool, drogues, activité physique…), toutes ces raisons sont combinées. La prématurité existe aussi bien dans les pays pauvres que dans les pays occidentaux où l’on fait des enfants plus tard. Donc typiquement, on ne peut par exemple pas incriminer l’âge. Il ne faut en aucun cas culpabiliser les mamans.
Bébés prématurés, rassurer les mères
Les mamans se sentent justement souvent coupables de cette naissance prématurée : le risque est ensuite qu’elles surprotègent leur enfant ?
Oui, il y a le risque de surprotéger, le sentiment d’être responsable. Le bon moyen d’y remédier est d’avoir un papa qui joue le rôle de celui qui protège la maman, pour la rassurer.
Avec 14,9 millions de naissances prématurées dans le monde, la prématurité est-elle bien considérée comme un problème de santé publique ?
Oui, la prématurité est bien prise en considération. Petit à petit, les maternités sont refaites. Par exemple, à Grenoble, quand nous avons commencé nos études, la maternité était toute vieillote. Les bébés prématurés étaient tous dans la même salle, on en comptait parfois une douzaine. Par rapport aux pays du Nord, nous étions en retard. Maintenant, les nourrissons sont pris en charge dans des chambres individualisées/doubles, il existe une vraie prise en compte des pouvoirs publics. Désormais, les parents ont le droit de rentrer dans le service, ils sont très impliqués. Nous ne sommes moins dans une réflexion sur comment sauver le bébé prématuré, mais une étape au dessus, sur comment améliorer les soins, apporter les bonnes stimulations sans trop charger le système.
A savoir
Selon l’OMS, une naissance prématurée intervient avant 37 SA (semaines d’aménorrhée). On estime que la capacité d’un bébé à survivre hors de l’utérus se situe autour de 24 SA, pour un poids de 500 grammes.