L'anorexie, une maladie psychique qui conduit les patients à être obnubilés par leur poids ©Akolaa

L’anorexie a le taux de mortalité le plus élevé parmi les maladies psychiatriques (10% à 10 ans). Cette pathologie nécessite une prise en charge globale et une implication de la famille afin d’obtenir de meilleurs résultats. Médecin nutritionniste et endocrinologue, le Dr Berenice Segrestin exerce au sein du centre référent des TCA à Lyon. Elle explique les nouvelles voies explorées pour parvenir à la guérison.

Anorexie et violences sexuelles

Au sein du centre, vous travaillez en duo avec un psychiatre. Mais en tant que médecin nutritionniste, quel rôle jouez-vous dans la guérison des patients ?

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En cas d’anorexie, le médecin nutritionniste accompagne la renutrition. C’est essentiel car plus le patient est dénutri, plus son état s’aggrave, et inversement. C’est un travail long, mais pour ma part, dans le centre expert, j’ai avant tout un rôle d’orientation. J’évalue les besoins et en fonction du stade de la maladie, je vois quelle méthode de renutrition est la plus adaptée.
Dans certains cas, il est possible d’attendre et de procéder à une renutrition par voie orale avec rediversification progressive de alimentation et augmentation des quantités. On va alors demander au patient de se mettre à grignoter en lui proposant par exemple de mettre à portée de main une poignée de noisettes. Ces patients sont souvent très vite rassasiés. On réintégrera tardivement le gras et le sucré, car ce sont les groupes d’aliments que les patients ont le plus de mal à réintroduire. Il faut être très patient ! L’une de mes missions est de vérifier si la personne anorexique n’a pas de carences, et de la supplémenter en vitamines et oligoéléments si besoin.
Dans des cas plus graves, on va devoir aller vers une hospitalisation avec une nutrition par voie entérale ( sonde naso gastrique ), ce type de renutrition est un appui pour recommencer à manger par voie orale.

Quels sont les aliments que la personne anorexique rejette en premier, et qui peuvent donner un signal d’alerte aux proches ?

Le repas du soir est le premier à être sacrifié, car il existe une croyance infondée qui l’associe au stockage des graisses. C’est souvent le repas du matin qui perdure le plus longtemps. L’anorexique arrête en général en premier le beurre, les pâtisseries, les gâteaux, tout ce qui est à base de sucre raffiné et les féculents. Les protéines ont quant à elles plutôt bonne presse.
Après, dans les TCA, on a aussi beaucoup de régimes « sans » avec de plus en plus d’allergiques autoproclamés au lactose, au gluten, aux noix etc…

Au sein du centre référent, explorez-vous de nouvelles méthodes de guérison ?

Le Dr Iceta, avec qui je travaille en binôme, pratique l’EMDR, une thérapie qui sert à traiter les psychotraumatismes. Cela a du sens car il n’est pas rare de trouver dans cette population des victimes de violences sexuelles. Avec l’EMDR, l’objectif est de reprogrammer le souvenir afin qu’il ne soit pas à l’origine de comportements pathologiques.
En dehors du centre, il y a aussi d’autres traitements qui relèvent du domaine de la recherche. Pour les patients obèses, on étudie actuellement un protocole de luminothérapie, car on a observé que les crises du patient arrivaient souvent le soir. On peut aussi envisager la remédiation cognitive pour les personnes qui ont un terrain d’inflexibilité mentale.

Anorexie, la thérapie familiale de plus en plus utilisée

Lorsqu’il y a hospitalisation, est-ce que l’on isole toujours le patient de sa famille ?

Non pas du tout. On s’est rendu compte qu’il fallait au contraire faire rentrer la famille dans le milieu hospitalier, car la population de patients est en général très attachée aux proches. Il y a quand même souvent une  rupture de quelques jours au début de l’hospitalisation qui permet à chacun de reprendre des forces, car la famille est souvent épuisée par les confrontations qui ont lieu au moment des repas. Aujourd’hui,  La plupart des cadres d’hospitalisation sont ouverts.

Comment faire pour que le poids pris en hospitalisation ne soit pas immédiatement reperdu ?

Un travail important peut avoir lieu en milieu hospitalier : notamment le travail sur la dysmorphophobie. Une préparation au retour à domicile est nécéssaire, avec une diminution progressive du temps passé à l’hopital ( permissions, le week end puis relais en hopital de jour). Le travail diététique, psychothérapeutique doit bien sur être poursuivie après la fin de l’hospitalisation. L’un des traitements, efficcaces notamment chez les adolescents, est la thérapie familiale. L’idée est de travailler sur les réactions de chacun et de voir à quoi cela les renvoie.

Quel rôle peuvent jouer les proches dans la guérison ?

Les proches peuvent jouer un rôle de prévention en disant les choses le plus vite possible. C’est difficile car en général, le patient va refuser que l’on entre dans sa sphère intime. Les proches doivent essayer de se montrer bienveillants et patients car on ne guérit pas rapidement de l’anorexie, et éviter les conflits autour des repas. Les anorexiques sont des personnes très sensibles au stress, et elles auront encore plus de mal à s’alimenter s’il y a des conflits. Il faut donc que les parents arrivent à gérer leur propre stress. Les proches ne doivent pas non plus hésiter à se faire aider, à participer à des groupes de parole, car ils ne peuvent pas tout ! Je leur dis aussi que l’hospitalisation est parfois un répit pour eux. Il n’est pas rare que lorsque leur enfant remonte la pente, les parents craquent à leur tour. Et bien sûr, si le parent a lui-même un TCA, il faut qu’il se fasse soigner, autrement c’est très compliqué pour l’enfant.

La moitié des anorexique guérissent

Peut-on guérir totalement de l’anorexie ?

On avance souvent les chiffres de 50% de guérison et 1/3 de chronicité. L’anorexie arrive sur des personnalités très perfectionnistes et à tendance anxieuse. La maladie peut ressurgir à d’autres moments de la vie, pendant un deuil par exemple, et il faut donc rester vigilent. Après, qu’est-ce que la guérison ? Etre en bonne santé et avoir un poids normal…

Est-ce que la maternité peut être un moment de déclic pour les jeunes femmes atteintes d’anorexie ?

Effectivement, le désir de grossesse peut les pousser à changer, à équilibrer leur alimentation. Il est important qu’elles soient encadrées car leur état nutritionnel doit être stable pour mener à bien la grossesse. Les anorexiques sont plus sujettes aux complications de grossesse, à la mort fœtale, au retard de croissance, au risque de dépression post-partum. Certaines femmes devront être accompagnées en PMA, car l’anorexie a un fort impact sur la fertilité. La grossesse peut être une période de rémission, ou au contraire favoriser la dépression car la prise de poids est mal vécue.

A SAVOIR

L’ARS Rhône Alpes a créé 3 centres référents pour les TCA, une première en France. Ces centres se trouvent à Lyon, Grenoble et Saint-Etienne. Objectif: constituer le premier point de contact pour les malades de TCA avec le corps médical. Médecins nutritionnistes et psychiatres travaillent en binôme, afin de réaliser une évaluation du patient tous les 6 mois. Cette prise en charge non intrusive permet de garder le lien avec le patient, et notamment avec ceux qui ne sont pas en contact avec le corps médical en temps ordinaire. L’idée de ces centres référents est de garder un œil bienveillant sur le patient, et de l’orienter dans son parcours de soins. Le centre ne dispose pas de prise en charge hospitalière intégrée. Si les médecins du centre référent font face à une urgence, ils redirigent alors le patient vers une autre structure et se chargent de lui trouver une place. L’anorexie étant une maladie à fort taux de rechute, le but du centre référent est ainsi de fédérer les professionnels de santé et de toujours garder un lien avec les patients tout au long de leur maladie.

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Journaliste indépendante depuis 2013, Paulina Jonquières d'Oriola s'est longtemps spécialisée dans la rédaction d'articles santé : psycho, sexualité, santé animale... Une fine plume au service de l'info santé !

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