
Une équipe du CNRS et de l’Université Grenoble Alpes a mis au point une molécule prometteuse, Carba1, capable de prévenir les neuropathies périphériques provoquées par la chimiothérapie. Une piste sérieuse, encore au stade préclinique, mais porteuse d’espoir pour des milliers de patients.
Chaque année, des dizaines de milliers de patients sous chimiothérapie voient leur quotidien bouleversé par des douleurs nerveuses persistantes. Ces troubles, appelés neuropathies périphériques chimio-induites, se manifestent par des picotements, des brûlures, des engourdissements, voire une perte de sensibilité dans les mains et les pieds.
Ces symptômes, parfois très douloureux, peuvent apparaître dès les premières semaines de traitement et, chez certains, persister des années après la fin des cures. Jusqu’à 60 % des patients traités avec des agents comme le paclitaxel ou le cisplatine développent ce type de complications. Et près d’un quart d’entre eux gardent des séquelles durables.
Problème, à ce jour, il n’existe aucun traitement préventif validé pour ces neuropathies. Les médecins se limitent souvent à ajuster les doses ou à prescrire des antidépresseurs comme la duloxétine, dont l’efficacité reste modeste. La marge de progression est donc immense.
Neuropathies : et si la douleur nerveuse liée à la chimio devenait évitable ?
C’est dans les laboratoires du CNRS et de l’Université Grenoble Alpes, au cœur des Alpes françaises, qu’une équipe de chercheurs a mis au point une nouvelle molécule baptisée Carba1. Leurs travaux ouvrent une voie crédible pour prévenir la neurotoxicité de la chimiothérapie, sans réduire son efficacité contre les cellules cancéreuses.
Carba1 appartient à une famille de molécules dites carbazoles bifonctionnelles ; des molécules capables d’agir sur plusieurs mécanismes à la fois. Concrètement, cela veut dire qu’elle intervient à la fois sur la structure des cellules nerveuses et sur leur énergie interne, deux éléments essentiels à leur bon fonctionnement.
En laboratoire, elle a été testée à la fois sur des cultures de cellules humaines et sur un modèle animal (le rat). Et chez les animaux traités avec le médicament anticancéreux paclitaxel, connu pour abîmer les nerfs, ceux qui recevaient aussi Carba1 présentaient beaucoup moins de douleurs.
Ces douleurs, appelées allodynie, surviennent lorsqu’un simple contact (comme effleurer la peau ou enfiler une chaussette) devient insupportable. Les chercheurs ont également constaté que les nerfs eux-mêmes étaient mieux préservés. La densité des fibres nerveuses dans la peau restait quasi normale, signe que Carba1 avait réellement limité les dégâts.
Chimiothérapie : Carba 1 altère-t-elle l’efficacité des traitements ?
Comment agit Carba1 ?
La chimiothérapie, comme le paclitaxel, peut abîmer les nerfs en perturbant de minuscules structures internes appelées microtubules. Ces “rails” servent au transport des nutriments dans les neurones. Quand ils se désorganisent, les cellules nerveuses finissent par s’endommager.
Carba1 agit à deux niveaux. D’abord, elle se fixe légèrement sur une protéine des microtubules, la tubuline, ce qui aide à stabiliser les neurones et limite la toxicité du traitement, sans nuire à son action anticancer. Ensuite, elle stimule une enzyme (NAMPT) qui favorise la production d’énergie dans les cellules, renforçant ainsi la résistance et la réparation des nerfs.
Chez les animaux testés, cette protection a duré plus de deux semaines après la fin du traitement, sans effet indésirable notable.
Une protection sans compromettre la chimiothérapie
L’un des points cruciaux de l’étude concerne la compatibilité entre Carba1 et les traitements anticancéreux. En effet, une molécule protectrice n’aurait guère d’intérêt si elle réduisait l’efficacité de la chimiothérapie.
Or, les résultats obtenus montrent que Carba1 ne diminue pas l’activité antitumorale du paclitaxel dans les modèles testés. La molécule pourrait même renforcer la stabilité du médicament dans les cellules tumorales, tout en évitant les dommages sur les neurones périphériques.
Carba1 : des limites, mais un potentiel réel
Carba1 n’est pas encore prête à être administrée chez l’humain. Les chercheurs rappellent que les essais réalisés jusqu’ici relèvent de la phase préclinique.
Les modèles animaux ne reproduisent pas entièrement les neuropathies chroniques observées chez les patients. Certaines étapes restent à franchir, notamment la validation de la dose minimale efficace, la voie d’administration, et la vérification que l’activation de NAMPT ne favorise pas la survie de cellules cancéreuses résiduelles.
Malgré ces limites, la découverte reste une avancée notable. Elle place la recherche française dans une dynamique d’innovation biomédicale forte, à l’heure où la qualité de vie des patients devient une priorité autant que la survie elle-même.
Neuropathies : vers une prévention plutôt qu’une réparation
Jusqu’ici, la médecine s’est surtout attachée à traiter les neuropathies une fois installées. Carba1 propose d’agir en amont, avant que les nerfs ne soient endommagés.
Si cette approche se confirme, elle pourrait permettre de maintenir les doses optimales de chimiothérapie, souvent réduites à cause des douleurs, et d’éviter que des patients ne soient contraints d’interrompre un traitement pourtant efficace contre leur cancer.
La suite se jouera sur le terrain clinique. Selon le communiqué du CNRS Alpes, la start-up Saxol, issue de cette recherche, porte désormais le projet vers un développement plus avancé. Des essais chez l’humain sont envisagés dans les prochaines années, sans calendrier officiel à ce jour.
À SAVOIR
Les neuropathies périphériques touchent jusqu’à un patient sur deux sous chimiothérapie, selon l’Institut national du cancer (INCa). Ces atteintes des nerfs provoquent des douleurs, des picotements ou des engourdissements parfois durables.







