
Près de 200 enfants sont nés du sperme d’un donneur danois porteur d’une mutation prédisposant au cancer. Mais comment une anomalie aussi grave a-t-elle pu échapper aux tests de dépistage des donneurs de sperme ?
L’homme, connu sous le numéro 7069 dans les registres de la European Sperm Bank (ESB) de Copenhague, et devenu, bien malgré lui, l’un des symboles des limites actuelles du dépistage génétique. Pendant près de 17 ans, son sperme a été distribué dans 67 cliniques de 14 pays européens, permettant la naissance d’au moins 197 enfants.
Tout aurait pu rester une anecdote d’anthropologie reproductive si, en 2023, une analyse spécialisée n’avait révélé que le donneur était porteur d’une mutation du gène TP53, impliquée dans le syndrome de Li-Fraumeni. L’un des syndromes héréditaires les plus sévères en matière de prédisposition au cancer. Le risque de développer un cancer au cours de la vie y dépasse fréquemment 70 à 90 %, selon les études cliniques sur les mutations pathogènes de TP53.
Les enquêtes européennes indiquent que 23 enfants testés sont porteurs de cette mutation, et plusieurs d’entre eux ont déjà développé un cancer, certains de façon précoce.
Dépister un donneur de sperme : un processus strict… mais pas omniscient
En Europe comme en France, le dépistage des donneurs de sperme repose sur un socle relativement comparable :
- un examen médical complet,
- un questionnaire détaillé sur les antécédents familiaux,
- des tests sanguins pour exclure les maladies infectieuses,
- une analyse chromosomique de base,
- et un bilan génétique ciblé, principalement centré sur des maladies fréquentes et graves, comme la mucoviscidose, la drépanocytose ou certaines affections autosomiques récessives.
C’est le cas dans les banques de sperme françaises, encadrées par les lois de bioéthique et supervisées par l’Agence de la biomédecine, comme dans les établissements européens appliquant la directive européenne sur les tissus et cellules.
Problème, ces panels, même sérieux, ne couvrent qu’une petite fraction des milliers de mutations susceptibles d’entraîner une maladie grave. Et surtout, ils ne sont pas conçus pour détecter les mutations rares, ni celles présentes uniquement dans les spermatozoïdes, comme c’était le cas ici.
TP53 : la mutation qui se cache là où les tests ne regardent pas
Les tests génétiques standard sont faits… sur le sang, pas sur les spermatozoïdes
La mutation incriminée touche le gène TP53, parfois qualifié de “gardien du génome” pour son rôle clé dans la prévention des cancers, notamment chez l’enfant. Pourtant, malgré son importance, elle n’a jamais été détectée chez le donneur danois. La raison est simple : les tests génétiques réalisés en routine portent sur le sang, et non sur les gamètes.
Or, d’après les analyses rendues publiques par la European Sperm Bank, la mutation n’était présente que dans une partie des spermatozoïdes, et totalement absente des cellules sanguines. Il s’agit d’un phénomène appelé mosaïcisme gonadal, où l’ADN peut sembler parfaitement normal dans le reste du corps, mais se révéler altéré dans les cellules reproductrices. Dans un tel cas, aucun test sanguin classique ne peut l’identifier.
Les panels génétiques ne recherchent pas les mutations rares
Les banques de sperme ont l’obligation de dépister certaines maladies génétiques fréquentes et graves, pour lesquelles des recommandations existent. Mais la mutation TP53 n’entre pas dans cette catégorie. Elle est rare, absente des panels standards, et ne peut être repérée qu’à l’aide d’analyses beaucoup plus poussées.
Aujourd’hui encore, même dans les centres les plus spécialisés, rien n’impose de rechercher systématiquement TP53 chez les donneurs. Les tests sont conçus pour identifier les anomalies les plus courantes… pas celles qui apparaissent exceptionnellement ou dans des cas très particuliers comme celui-ci.
Le séquençage complet du génome n’est pas la norme
Certes, un séquençage intégral du génome aurait pu mettre en évidence la mutation. Mais ce type d’examen reste exceptionnel. Il est coûteux, exige une interprétation complexe et soulève de nombreuses questions éthiques : quelles découvertes doit-on restituer ? Que faire des résultats inattendus ? Comment respecter le droit du donneur à ne pas tout connaître de son patrimoine génétique ?
En France, les examens génétiques sont strictement encadrés. Ils ne peuvent être prescrits que si une indication médicale le justifie, après information préalable, et dans le cadre fixé par le Code de la santé publique. Autrement dit, les centres de don ne peuvent pas multiplier les tests sans raison médicale précise, même s’ils le souhaitaient.
Un scandale qui met à nu les limites… et les zones grises de la réglementation
Quand l’absence d’harmonisation européenne complique tout
Le sperme du donneur danois a circulé dans 14 pays, chacun appliquant ses propres règles :
- quota maximal d’enfants par donneur,
- nature des tests génétiques exigés,
- modalités de suivi après les dons,
- échanges d’informations entre cliniques.
Cette mosaïque législative crée inévitablement des angles morts. En Belgique, par exemple, destination fréquente des Françaises en recherche de PMA, la loi plafonne théoriquement un donneur à six familles. Dans cette affaire, ce seuil a été largement franchi.
Faute d’un registre européen commun, chaque pays ne voit qu’une partie du puzzle. Et dans un système où les gamètes se déplacent librement, ce que l’un ignore peut échapper à tous.
En France : un cadre robuste… mais pas à l’abri des failles
L’Hexagone, lui, dispose d’une réglementation stricte :
- un maximum de 10 enfants par donneur,
- des protocoles de dépistage encadrés,
- un suivi rigoureux assuré par l’Agence de la biomédecine.
Mais cette solidité a ses limites. Car la France importe encore une large part de ses gamètes, notamment depuis l’Europe du Nord. Or, les règles de transparence, de traçabilité ou de partage des données génétiques ne sont pas homogènes d’un pays à l’autre.
Même un système national bien encadré peut se retrouver fragilisé par les écarts réglementaires de ses voisins.
À SAVOIR
Dans la plupart des banques de sperme, les tests génétiques réalisés sur les donneurs ne couvrent que les maladies héréditaires les plus fréquentes (comme la mucoviscidose ou la drépanocytose) et non l’ensemble des milliers de mutations possibles. Les échantillons sont également placés en quarantaine plusieurs mois afin de vérifier l’absence d’infections transmissibles.







