Un champignon menaçant pour l'espèce humaine.
La propagation de ce champignon toxique pourrait constituer l'une des grandes menaces de demain. © Freepik

Un champignon capable de vous dévorer de l’intérieur ? Cela ressemble à de la science-fiction, et pourtant… Alors que la planète se réchauffe, certaines espèces pathogènes émergent ou gagnent du terrain dans des régions jusqu’ici épargnées. Parmi elles, Aspergillus fumigatus, un champignon aux capacités d’adaptation redoutables, inquiète les scientifiques. Résistant, invasif et parfois mortel, il illustre les nouveaux risques microbiologiques liés au changement climatique : l’OMS l’a d’ores et déjà classé dans sa liste des agents pathogènes critiques pour la santé.

Dans la série à succès The Last of Us, un champignon mutant, le Cordyceps, transforme les humains en créatures infectées, provoquant l’effondrement de la civilisation. Si ce scénario apocalyptique semble relever de la pure fiction, il s’inspire néanmoins d’une réalité biologique : certains champignons ont bel et bien la capacité d’infecter et de contrôler leurs hôtes.

Aujourd’hui, la communauté scientifique s’inquiète d’un autre champignon, bien réel cette fois : Aspergillus fumigatus. Présent partout dans l’environnement, ce micro-organisme profite du réchauffement climatique pour étendre son territoire et accroître sa virulence. De plus en plus résistant aux traitements, il menace les personnes immunodéprimées, avec un taux de mortalité alarmant.

Alors que le climat mondial évolue, faut-il redouter l’émergence de nouveaux pathogènes d’origine fongique ? Derrière la fiction, se dessine une inquiétante réalité.

Aspergillus : un champignon opportuniste, désormais plus menaçant

Aspergillus fumigatus est un champignon filamenteux présent naturellement dans l’environnement : dans le sol, les composts, les feuilles mortes, ou encore les bâtiments humides. Invisible à l’œil nu, il produit des spores microscopiques qui peuvent être inhalées au quotidien, sans danger pour la plupart d’entre nous.

Mais ce qui était jusque-là un micro-organisme discret devient aujourd’hui un agent pathogène redouté. En cause ? Son adaptation accélérée aux conditions climatiques extrêmes et sa résistance croissante aux traitements antifongiques. Sous l’effet du réchauffement climatique, il se développe dans des régions plus vastes, prolifère plus vite, et infecte des organismes jusque-là peu concernés.

Un climat plus chaud, un terrain plus favorable

Le lien entre changement climatique et prolifération fongique est désormais bien établi. Les températures plus élevées, l’augmentation de l’humidité et la dégradation des écosystèmes favorisent la croissance d’Aspergillus. Dans un rapport publié par l’ECDC (Centre européen de prévention et de contrôle des maladies), les experts notent une expansion géographique préoccupante des champignons pathogènes en Europe, notamment vers le nord du continent.

Selon une étude de l’université de Radboud aux Pays-Bas, la capacité d’adaptation thermique d’A. fumigatus est en train de s’accroître. Autrement dit, le champignon devient progressivement capable de survivre et de se reproduire à des températures plus élevées – un avantage évolutif majeur à l’ère du réchauffement climatique.

Une maladie grave chez les personnes immunodéprimées

Lorsque les spores d’Aspergillus sont inhalées par des personnes en bonne santé, elles sont en général éliminées par le système immunitaire. Mais chez les individus fragilisés – patients atteints de cancer, greffés, porteurs du VIH, ou hospitalisés en soins intensifs – ces spores peuvent provoquer une infection invasive : l’aspergillose.

L’aspergillose pulmonaire invasive est la forme la plus grave. Elle détruit progressivement les tissus pulmonaires et peut se disséminer dans l’organisme, atteignant parfois le cerveau ou les reins. Selon Santé publique France, cette infection touche environ 2 000 à 3 000 personnes chaque année dans le pays, avec un taux de mortalité pouvant dépasser 50 % chez les patients les plus vulnérables.

Résistance aux antifongiques : une alerte mondiale

L’autre inquiétude majeure est l’émergence de souches résistantes aux antifongiques, en particulier à ceux de la famille des triazolés, couramment utilisés en médecine. Cette résistance serait en partie liée à l’usage massif de fongicides dans l’agriculture, favorisant la sélection de souches résistantes dans l’environnement.

L’Inserm précise que ces souches « échappent aux traitements de première ligne, rendant les infections plus difficiles à contrôler et augmentant le risque de décès ». Cette situation a conduit l’OMS à classer Aspergillus fumigatus parmi les agents pathogènes fongiques prioritaires dans son rapport de 2022 sur les menaces émergentes en santé publique.

Des conditions idéales pour les agents infectieux

Le cas d’Aspergillus n’est pas isolé. Le réchauffement climatique agit comme un catalyseur biologique : il élargit les zones géographiques où les agents infectieux peuvent se développer, modifie les cycles de reproduction des micro-organismes, et affaiblit les défenses immunitaires de certaines populations.

À cela s’ajoute la multiplication des catastrophes naturelles – inondations, incendies, sécheresses – qui créent des conditions propices à la dispersion des spores fongiques.

Dans un article publié en mai 2025 dans le journal espagnol El Confidencial, les chercheurs alertent sur une possible « ère des infections fongiques », dans laquelle des champignons comme Aspergillus, Candida auris ou encore Cryptococcus pourraient devenir de nouvelles menaces sanitaires mondiales, en particulier dans les zones urbaines densément peuplées.

Un risque sous-estimé par les politiques de santé publique

Contrairement aux bactéries ou aux virus, les champignons pathogènes ont longtemps été négligés dans les stratégies de prévention et de surveillance. Ils ne font pas l’objet des mêmes efforts de recherche, ni des mêmes protocoles de détection. Pourtant, l’augmentation des infections fongiques graves ces dernières années incite les experts à revoir leur approche.

Selon un rapport de l’Institut Pasteur, les maladies fongiques invasives coûtent plusieurs centaines de millions d’euros par an aux systèmes de santé européens. Le renforcement de la surveillance environnementale et hospitalière, la limitation de l’usage des antifongiques agricoles et le développement de nouvelles molécules thérapeutiques sont désormais considérés comme des priorités.

Renforcer la prévention dans les milieux hospitaliers

Le principal levier de prévention repose aujourd’hui sur les protocoles hospitaliers : filtrage de l’air, surveillance microbiologique, port de masques FFP2 dans les zones à risque, dépistage précoce des cas suspects chez les patients immunodéprimés. Des mesures indispensables, mais encore inégalement appliquées selon les établissements.

L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a ainsi lancé en 2023 un programme pilote dans plusieurs services d’oncologie et de greffe pour renforcer la détection des spores fongiques dans l’air ambiant. Les résultats préliminaires montrent une réduction significative des cas d’aspergillose.

Mieux former les professionnels de santé

Autre enjeu : la formation des soignants. De nombreux médecins généralistes et spécialistes sous-estiment encore les risques liés aux champignons pathogènes, ou tardent à en reconnaître les symptômes. Des campagnes d’information sont nécessaires pour améliorer le repérage, le diagnostic et la prise en charge rapide des patients à risque.

En France, le Collège national des enseignants de médecine interne (CEMI) recommande désormais l’intégration d’un module spécifique sur les infections fongiques dans le cursus des internes.

Le réchauffement climatique n’est pas seulement un défi environnemental, il est aussi un accélérateur biologique. À l’instar du champignon Aspergillus fumigatus, certains micro-organismes autrefois bénins deviennent des pathogènes redoutables, portés par des conditions de plus en plus favorables à leur dissémination.

La menace d’un champignon mortel lié au réchauffement n’est plus un scénario de science-fiction. Elle est bien réelle, documentée, et doit inciter à une prise de conscience collective. Il est urgent de renforcer la surveillance, la recherche et la prévention, pour que ce risque invisible ne devienne pas la prochaine crise sanitaire mondiale.

À SAVOIR

Gare à la confusion ! Les champignons pathogènes, comme Aspergillus fumigatus, peuvent infecter l’organisme et provoquer des maladies graves. Les champignons comestibles sont inoffensifs et consommés pour leur valeur nutritionnelle. La différence tient à leur interaction avec le corps humain : l’un nourrit, l’autre menace. Vous pouvez donc continuer à consommer sans crainte vos cèpes, chanterelles et champignons de Paris…

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Journaliste expert santé / Rédacteur en chef adjoint du Groupe Ma Santé. Journaliste depuis 25 ans, Philippe Frieh a évolué dans la presse quotidienne régionale avant de rejoindre la presse magazine pour mettre son savoir-faire éditorial au service de l'un de ses domaines de prédilection, la santé, forme et bien-être. Très attaché à la rigueur éditoriale, à la pertinence de l'investigation et au respect de la langue française, il façonne des écrits aux vertus résolument préventives et pédagogiques, accessibles à tous les lecteurs.

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