Il a été le premier hospitalisé et intubé en Auvergne-Rhône-Alpes. Contaminé en mars dernier, Michel Caixas a vu la mort de près. Aujourd’hui, le Lyonnais raconte son combat contre la maladie. Un témoignage bouleversant.
26 février 2020. Devant plus de 57 000 spectateurs, l’Olympique lyonnais réalise l’exploit de battre la Juventus Turin au Groupama Stadium. Avant le match, plusieurs groupes de supporters italiens sont venus goûter à la cuisine d’un fameux bouchon lyonnais. Le soir, après le match, ils sont encore de nombreux Transalpins à noyer leur déception dans un verre de Beaujolais.
Michel Caixas, le directeur de salle de l’établissement depuis 2008, s’étonne de l’insouciance, voire de l’inconscience, de certains Turinois bien imbibés. À l’époque, l’épidémie de Covid-19 fait déjà des ravages dans le Piémont. Toutefois, le club olympien n’a pas jugé utile de demander le report du match. Et au restaurant, on prend plutôt l’affaire à la rigolade. Deux semaines plus tard, le rire de Michel Caixas s’est éteint…
Hospitalisé en détresse respiratoire

« Le samedi 14 mars, jour de mes 50 ans, j’ai été pris de douleurs et de courbatures. J’étais faible. Je tremblais comme une feuille. Mes dents claquaient. Je suis parti me coucher », se souvient Michel Caixas. Le début d’une lente mais terrible descente aux enfers.
Au fil des heures, au fil des jours, la température du maître d’hôtel monte progressivement. Jusqu’à atteindre 41,5 degrés. « J’ai perdu le goût et l’odorat. J’étais de plus en plus angoissé. Mais je ne voulais pas aller à l’hôpital. Et puis, j’ai commencé à tousser, à manquer d’air. Je n’avais plus de force ».
Devant l’aggravation rapide de l’état de santé de son mari, Christelle Caixas prend l’initiative de l’emmener d’urgence au Centre Hospitalier Lyon-Sud, à dix minutes du domicile familial de Solaize. Dans la voiture, Michel Caixas perd connaissance. Dès son arrivée au CHU, à Pierre-Bénite, il est immédiatement pris en charge à sa sortie de voiture, mis sous oxygène et envoyé en réanimation. C’est le premier cas Covid dans le service. Le premier dans la région. Le premier qui sera aussi intubé/ventilé, quelques jours plus tard. Car Michel Caixas est alors en danger de mort.
« J’étais en détresse respiratoire. Mes reins, mon foie, mes poumons lâchaient prise. La pneumonie s’est transformée en embolie pulmonaire ». Devant cette situation critique, le patient est plongé dans le coma. Quinze jours d’un long tunnel dont il ne sortira pas indemne. « J’étais shooté à la morphine. J’entendais parler dans la chambre. Mais dans mon subconscient, on s’adressait à moi à la montagne, à Monaco, à Barcelone, au milieu des chevaux… ».
Intubé, entre cauchemars et hallucinations

Et puis, il y avait tous ces cauchemars, ces pièces sans porte dont il est prisonnier. Ces mauvaises nouvelles, ces proches que l’on ne pensait jamais revoir. D’autres que l’on ne reverra peut-être jamais… « J’ai vu mon père, décédé depuis plusieurs années, qui m’attendait au bout d’un long couloir. Il m’a souri, puis m’a dit qu’il fallait que j’y retourne… ».
Un retour vers d’autres rêves sombres, d’autres hallucinations. Parfois traumatisantes. « Dans le coma, la mort est partout. Le plus terrible ? L’annonce de la mort de ma fille dans un accident. Je voulais la vérité. Pourquoi ? Comment ? Lorsque je suis sorti du coma, je pleurais tout le temps. Je ne pouvais pas parler, pas m’exprimer. J’avais cette image obsédante en tête. J’ai mis longtemps à comprendre que ce n’était qu’une hallucination ».
De fait, après quinze jours dans le coma, les deux semaines suivantes en soins intensifs seront une autre épreuve. Psychologique. « Quand j’ai ouvert les yeux, je ne supportais pas la lumière. Il fallait que je sois dans la pénombre. Et puis, surtout, j’étais complètement déboussolé. Je ne comprenais pas pourquoi j’étais attaché à un lit, avec au-dessus de ma tête, des tuyaux accrochés à une potence. Je ne savais pas que je sortais du néant, que je venais de réchapper au Covid ».
Durant son hospitalisation, Michel Caixas fait partie des cinq Lyonnais intégrés au protocole Discovery. Un essai clinique européen chargé d’évaluer cinq stratégies différentes de traitement contre le SARS-CoV-2. « Le premier traitement n’a rien donné. En revanche, l’injection du Remdesivir (Ndlr : antiviral initialement développé contre le virus Ebola) a eu un effet rapide et efficace. Mon état de santé s’est stabilisé puis amélioré en quelques jours ».
De retour à la maison… 25 kilos en moins !

Après un mois dans le service de réanimation du CHU Lyon-Sud et un passage dans l’unité pneumologie du professeur Couraud, Michel Caixas retrouve enfin son domicile et sa famille, fin avril. Entre-temps, il a perdu 25 kilos et toute sa masse musculaire. « Je ne tenais plus debout. Mais c’était une victoire de passer le pas de la porte de ma maison ».
Depuis, le maître d’hôtel lyonnais remonte la pente. Doucement mais sûrement. « Les premières semaines, j’ai réappris à marcher. Je gagnais mètre par mètre. Chaque pas était une victoire sur moi-même ». Désormais, il s’astreint à deux séances de kiné respiratoire par semaine. Il est aussi suivi tous les deux mois par les équipes du professeur Couraud, chef du service pneumologie de Lyon-Sud. En revanche, il n’a plus de protocole médicamenteux. Parmi les rares séquelles physiques de sa contamination, « quelques problèmes d’équilibre et des picotements sur le haut du corps ». Rien de rédhibitoire pour reprendre le travail depuis fin septembre.
Les séquelles morales, elles, seront plutôt longues à se dissiper. « On ne ressort pas indemne d’une telle épreuve. J’ai perdu des amis de trente ans qui ont osé comparer le Covid à une simple grippette ». La bêtise n’a jamais tué personne. Le coronavirus, si…
A SAVOIR
Le maintien du match entre l’Olympique lyonnais et la Juventus Turin a fait, à l’époque, l’objet d’une vive polémique. La venue de plusieurs milliers de supporters italiens aurait contribué a accélérer de manière significative la propagation de l’épidémie en Auvergne-Rhône-Alpes. C’est du moins l’avis du docteur Marcel Garrigou-Grandchamp qui a publié un long réquisitoire sur le site de la Fédération de Médecins de France, quelques semaines après ce choc de Ligue des Champions.