Utilisé à des fins récréatives par des jeunes de plus en plus nombreux, le protoxyde d’azote, le fameux gaz hilarant, est en réalité beaucoup plus dangereux que ce que l’on croit. Le phénomène, lourdement sous-estimé, a d’ailleurs fait l’objet le 11 mai dernier d’un message d’alerte de la part des autorités sanitaires en Auvergne-Rhône-Alpes, alarmées par la recrudescence de réactions graves. Invité de l’émission Votre Santé, l’addictologue lyonnais Yann Botrel en dit plus sur les risques à court et long terme, entre malaises, brûlures, crises cardiaques, séquelles neurologiques et psychiatriques, voire même décès.
Le gaz hilarant, ou “proto”, ne fait pas rire tout le monde ! Utilisé de longue date en milieu médical, la version alimentaire du protoxyde d’azote, très facile d’accès, est entrée dans les habitudes des (jeunes) fêtards. Mais la plaisanterie, alimentée par les réseaux sociaux, a des limites et les mises en garde face aux dangers de cet usage détournés se font de plus en plus pressantes. Le 11 mai dernier, l’Agence Régionale de Santé Auvergne-Rhône-Alpes et les Hospices Civils de Lyon exprimaient ainsi leur inquiétude dans un communiqué commun. “Son usage détourné et sa consommation se veulent « festifs » pour toute une génération de jeunes adultes ou parfois adolescents, mais les risques qu’entraîne le protoxyde d’azote sont palpables et peuvent provoquer une atteinte neurologique, voire des complications hématologiques ou psychiatriques. Plusieurs dizaines de cas graves ont été rapportés au Centre Antipoison et d’Addictovigilance de Lyon au cours des deux dernières années”.
Yann Bautrel, addictologue à Saint Genis Laval, était jeudi 19 mai l’invité de l’émission Votre Santé, coanimée sur BFM TV par Élodie Poyade et Pascal Auclair, rédacteur en chef du Groupe Ma Santé. L’occasion de faire le point sur un phénomène gravement sous-estimé mais qui peut pourtant conduire, dans les cas les plus dramatiques, à la mort.
Qu’est ce que le protoxyde d’azote et comment l’utilise-t-on en milieu médical ?
Il s’agit d’un gaz connu depuis le XVIIIeme siècle. Il est utilisé pour trois choses, notamment en bloc opératoire pour l’anesthésie et l’analgésie. Son usage est couplé à de l’oxygène et est évidemment très réglementé. Le protoxyde d’azote est aussi utilisé dans l’aéronautique : c’est en effet un gaz propulsif que l’on trouve dans les fusées. Il est enfin utilisé à des fins alimentaires, sous forme de capsules aluminium que l’on branche à des siphons pour faire des chantilly ou des émulsions. C’est ce produit-là dont l’usage est détourné en gaz hilarant.

Des séquelles parfois irréversibles
Dans le cadre de cet usage détourné, quels sont les dangers ?
Ce sont des substances psychoactives présentant des dangers très aigus et imminents, et des dangers à plus long terme. Les dangers aigus, ce sont les risques de malaises, avec des gens qui s’effondrent littéralement en quelques secondes, avec des risques de coma très importants. L’azote est un gaz extrêmement froid, que les dermatologues l’utilisent pour traiter les verrues. Il y a donc aussi des risques de brûlures des muqueuses, d’arrêt des déglutitions, voire d’asphyxie. C’est là le risque majeur: l’azote prend la place de l’oxygène et favorise ainsi la formation d’un oedème et un potentiel arrêt cardiaque. On déplore déjà une soixantaine de morts lié à ce mésusage du protoxyde d’azote.
Il y a également des effets à plus long terme. Au bout de trois à six mois, on peut être confrontés à des troubles neurologiques potentiellement graves, notamment des troubles de la marche. Certains jeunes se retrouvent en fauteuil roulant ou doivent se déplacer avec des béquilles, du fait de troubles très difficiles à rééduquer, voire irréversibles. Autres conséquences potentielles: les troubles psychiatriques et, bien sûr, la dépendance.
Pourquoi faut-il toujours rappeler que l’usage de gaz hilarant est dangereux ?
Car ce gaz change la perception en quelques secondes. Il provoque l’hilarité, mais c’est surtout une forme d’ivresse très rapide. Il est en outre souvent couplé à d’autres produits, comme l’alcool ou les stupéfiants, un mélange détonnant. Plus la personne qui inhale ce produit est jeune, plus elle prend des risques. Jusqu’à 24 ans, le cerveau n’est en effet pas encore mature et les conséquences neurologiques peuvent être dramatiques. Le gaz attaque une vitamine qui participe au système nerveux et qui, une fois oxydée, entraîne des troubles parfois irréversibles.
“Certains jeunes en prennent plus d’une centaine de cartouches par jour”
Est-ce qu’il y a un risque de dépendance au protoyde d’azote ?
Oui, mais plutôt sur le plan comportemental car son effet est anxiolytique. Il y a donc un terrain particulièrement favorable chez les personnes fragiles, anxieuses, sensibles. Certains jeunes en prennent plus d’une centaine de cartouches par jour, ce qui est colossal. Plus on prend ces produits, plus il y a de la tolérance et plus on augmente les doses pour en retrouver les effets primaires. On voit bien que plus on avance dans cette dépendance, plus les risques augmentent.
Y a-t-il des signes qui alertent ?
Les fourmis dans les mains, les vertiges, les objets que l’on lâche sont autant de signes de gravité qui doivent pousser à consulter un médecin.
Gaz hilarant : comment enrayer le phénomène ?
Comment se rendre compte que son enfant consomme du gaz hilarant ?
Difficilement. Malheureusement on a beaucoup de témoignages de parents endeuillés qui n’ont rien vu. L’addiction, de manière générale, va toucher des jeunes isolés, qui vont se renfermer, avoir des sautes d’humeur. Cela peut être des signes d’alerte pour les parents. La prévention est très importante, mais sans culpabilisation ni interdit, qui sont des notions plus contreproductives qu’autre chose.
Faut-il pourtant interdire l’usage du protoxyde d’azote pour faire réduire ce risque ?
Une loi interdit depuis un an la vente aux mineurs. C’est un premier pas. Certaines associations militent pour une interdiction de ces produits que l’on trouve en vente libre. Mais les produits, même lorsqu’ils passent en stupéfiants, peuvent toujours être trouvés. D’où l’importance avant tout de la prévention. On voit de plus en plus de jeunes touchés, témoignant de cette dangerosité. Il y a une vrai méconnaissance du danger d’un phénomène. Celui-ci est en effet encore surtout perçu pour son côté drôle, ce qui est grandement amplifié par les réseaux sociaux.
Existe-t-il d’autres produits de ce type dont l’usage détourné serait aussi dangereux que celui du gaz hilarant ?
Il y en a malheureusement beaucoup. Je pense notamment aux nouveaux produits de synthèse, que l’on trouve à bas prix sur internet, qui arrivent en quelques semaines de Hollande ou de Chine dans votre boîte aux lettres. Ce sont des produits qui imitent les effets d’autres drogues mais qui sont extrêmement dangereux car nous n’en connaissons pas la teneur. C’est un danger sous-estimé, malgré quelques messages d’alerte. Il y a des gens qui meurent et ces décès passent entre les mailles du filet.
Retrouvez ici le replay de l’émission du 19 mai 2022.
À SAVOIR
L’émission Votre Santé est à suivre chaque jeudi en direct à 17h45 sur BFM Lyon. L’émission est ensuite diffusée le jeudi soir ainsi que tout le week-end en multidiffusion sur la chaîne locale.