Un homme en proie au réchauffement climatique.
Les prévisions, même les plus optimistes, prévoient un dépassement régulier de températures extrêmes, auxquelles le corps humain n'est pas préparé. © Depositphotos_PhotoAventure

Sans actions concrètes pour infléchir cette tendance, nous vivrons de plus en plus d’épisodes de très fortes chaleurs, au-delà des 45°Celsius. L’être humain est-il capable de s’adapter à la généralisation de ces températures extrêmes ? Non, selon les experts, qui redoutent les répercussions à venir sur la santé physique et mentale. Les explications de l’explorateur-chercheur Christian Clot, fondateur de l’Human Adaptation Institute, qui animera une conférence intitulée « Quelle santé dans un monde à +4 degrés » à l’occasion du prochain salon Pollutec, du 7 au 10 octobre à Eurexpo-Lyon.

À quelle époque correspond cette projection ?

On pense qu’à partir du milieu du siècle, en 2050, on aura des épisodes dépassant couramment les 45° Celsius. Dès aujourd’hui, comme au mois de juin, nous traversons des périodes de plusieurs jours, voire plusieurs semaines de chaleurs intenses. Elles sont encore acceptables, malgré tout. On pense qu’il fait chaud, mais nous sommes loin des canicules que l’on pourrait avoir dans le futur. Car dans quinze à vingt ans, nous aurons très certainement les premières canicules à risque pour l’humain.

Êtes-vous déjà témoin de ces évolutions ?

Christian Clot, explorateur chercheur, fondateur de l’Human Adaptation Institute
Christian Clot. ©Lucas Santucci – Agence Zeppelin

J’ai travaillé dans toutes les conditions climatiques possible et imaginables, souvent extrêmes comme des déserts. Et j’ai déjà été confronté à des populations entières soumises à des conditions de vie de plus en plus complexes, comme au Mexique, en Inde, au Moyen-Orient.

Dans certains endroits, on flirte déjà avec ces 45, 48 voire 50°C, et on voit chez ces populations, que l’on pense mieux préparées, que les effets sont très complexes à gérer et génèrent un grand nombre de victimes, soit directement, soit par maladies ou impossibilité de travailler dans des pays où la protection sociale n’existe pas.

Les gens sont-ils globalement prêts à entendre ces discours et l’urgence d’une adaptation ?

Pas encore. Cela commence, mais on constate une certaine dichotomie entre ce que les gens pensent avoir compris et la réalité. Beaucoup ont l’impression que ces chaleurs extrêmes sont déjà là, qu’ils les ont déjà vécues. Mais ils ont beaucoup de mal à intégrer que l’on parle ici de conditions à 50°C à l’ombre, avec des contraintes bien plus élevées. Comme ils pensent avoir déjà vécu cela, ils ne voient pas le problème. Mais un vrai 50°C à l’ombre, c’est terrible pour le corps et le cerveau.

L’humanité s’est déjà adaptée plusieurs fois au cours de l’histoire : pourquoi ne serait-elle pas capable de le faire à nouveau ?

Tout simplement parce que l’humain, en réalité, n’a jamais connu de contraintes aussi extrêmes. Il a jusqu’ici plutôt montré sa capacité à s’adapter à du froid plutôt qu’à du chaud. Le froid, si l’on s’en protège, on peut s’en sortir. C’est beaucoup plus difficile pour le chaud, sans des moyens très énergivores et extrêmement coûteux.

Une partie de la population, qui en a les moyens et la technicité, pourra sans doute s’en protéger. Mais seule 10% de la population mondiale aura cette capacité. On ne peut pas se permettre d’imaginer un monde futur où seuls 10% de la population pourraient se protéger des contraintes climatiques.

Et même ainsi, ce serait très difficile : les téléphones s’arrêtent de fonctionner à 40°C, les climatisations ou les systèmes hospitaliers à 42°C… La plupart de nos systèmes techniques et technologiques ne sont pas prévus pour de telles températures. Aura-t-on les moyens physiques et financiers de changer l’ensemble de nos appareils techniques et électroniques, nos systèmes de communication, nos réseaux de routes bitumées, pour faire face à des températures de 50°C ?

Est-ce qu’il n’est pas trop tard pour enrayer le phénomène ?

On n’évitera plus les températures au-delà de 45°C. En revanche, aura-t-on ces températures 2 à 3 jours par an, sur une trajectoire à 2°C, ou 45 à 60 jours par an, sur une trajectoire à 4°C ? La question est de savoir comment agir aujourd’hui pour rester dans la prévision la plus basse, car tout le monde se rend bien compte de l’impossibilité de la vie à ses températures.

Quels sont les principaux effets sur la santé d’un monde à +4°C ?

Le premier effet est cognitif : le cerveau a besoin de rester au-dessous de 37°C pour bien fonctionner. Lorsqu’il fait trop chaud, le cerveau stoppe certaines fonctions pour se protéger : il réduit certaines capacités mentales, notamment de concentration, d’écoute, d’envie d’être avec les autres, ce qui nuit à la cohérence sociale.

Sur le plan physiologique, les systèmes cardiaques, rénaux, pulmonaires ne fonctionnent plus tout à fait correctement. Et c’est surtout vrai pour les personnes fragiles. Le taux de mortalité des personnes avec comorbidité est énorme à 50°C.

Il y a un troisième effet dont on parle peu : la dégradation de la société. Le cerveau décidant d’arrêter certaines fonctions, dont les fonctions sociales, la société fonctionne moins bien.  Nous ne sommes plus en capacité de parler ensemble, de s’apaiser, on a une vraie difficulté à faire corps en tant que société, et c’est la démocratie qui est mise en danger.

Ces trois effets, sur le cerveau, le corps et la société, montent bien l’immense difficulté à vivre dans un monde à 45°C.

Qu’en est-il de toutes les conséquences indirectes ?

L’un des problèmes majeurs est la sécheresse, avec la problématique de l’accès à l’eau. Et en contrepartie les immenses inondations, car les fortes chaleurs accentuent le phénomène d’évapotranspiration des océans, des mers, des lacs, avec des précipitations ciblées de plus en plus fortes. C’est un paradoxe qui n‘est pas facile à comprendre pour beaucoup, mais plus il y a de chaleurs, plus il y a d’inondations et plus de sécheresses.

Et toute la biodiversité est touchée. Juste un exemple : l’animal préféré des humains, le chien, a du mal à survivre à 50°C. Il n’a pas de système de transpiration par la peau, uniquement par la bouche, et ne peut plus se rafraîchir à ces températures.

Comment procédez-vous pour sensibiliser les participants de vos expériences, notamment le Climate Sense ?

On a cherché comment faire comprendre cette problématique à l’humain. L’information ne fait pas changer les gens, il faut un ressenti émotionnel pour entraîner un passage à l’acte. Et comme il est difficile de faire comprendre le futur qui n’est pas encore arrivé, nous avons créé le Climate Sense (une chambre climatique itinérante proposant des expériences immersives à +50°C) pour susciter ce choc émotionnel. Vivre, même quelques minutes, ce futur dès aujourd’hui peut permettre de passer de la compréhension à l’action.

Quel message transmettez-vous dans vos interventions publiques ?

De ne pas baisser les bras. J’entends trop souvent qu’il est trop tard, que c’est terrifiant… Tout cela fait peur, mais on peut encore l’éviter pour une grande partie. On a des décisions très importantes à prendre, mais il est encore possible d’infléchir cette courbe de chaleur. On doit aussi vraiment réfléchir à l’éducation des plus jeunes, les préparer à ces conditions futures, et notamment à se protéger de la chaleur.

Prendre des décisions, c’est bien, mais que peut-on faire en tant qu’individus ?

Seul, on ne fait pas grand-chose, c’est vrai. C’est pour cela que l’on essaie d’embarquer dans notre Climate sense des gens qui ont un certain pouvoir de décision : des politiques, des chefs d’entreprise… Autre motif d’espoir, la récente pétition sur la loi Duplomb a bien montré que le corps citoyen, soudainement, peut vraiment agir. Je ne dis pas que cela va tout changer, mais cela aura de l’effet, car personne ne peut rester insensible à cet engouement.

Les gens ont beaucoup plus de pouvoir qu’ils ne le pensent, même s’ils se disent qu’ils ne peuvent rien faire. On ne doit pas leur dire qu’ils sont responsables et que ce sera de leur faute s’ils ne bougent pas, mais au contraire qu’ils ont une capacité d’action. Il faut leur donner des leviers d’action, et si c’est aux décideurs de le faire, c’est à eux, à nous, de les réclamer. Les gens ne sont plus prêts à accepter béatement des règles qui ne seraient plus respectueuses de l’environnement…

À SAVOIR

Christian Clot, explorateur et chercheur, est spécialiste en adaptation humaine. Il est le fondateur de l’Institut de l’Adaptation Humaine (Human Adaptation Institute), dédié à la sensibilisation et à l’accompagnement du changement. De décembre 2022 à juin 2023, à travers le projet Deep Climate, il a conduit 20 volontaires sans expérience dans trois expéditions de 40 jours chacune dans des milieux extrêmes (-60°C à +60°C) pour réaliser des protocoles de recherches sur les effets physiologiques, sociaux et psychologiques. En septembre 2024, il a lancé sur les routes de France le Climate Sense, un camion proposant dans une chambre spéciale des expériences immersives de 30 minutes à 50°C.

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Journaliste expert santé / Rédacteur en chef adjoint du Groupe Ma Santé. Journaliste depuis 25 ans, Philippe Frieh a évolué dans la presse quotidienne régionale avant de rejoindre la presse magazine pour mettre son savoir-faire éditorial au service de l'un de ses domaines de prédilection, la santé, forme et bien-être. Très attaché à la rigueur éditoriale, à la pertinence de l'investigation et au respect de la langue française, il façonne des écrits aux vertus résolument préventives et pédagogiques, accessibles à tous les lecteurs.

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