DSK, Tiger Woods, Rocco Siffredi… Si certaines personnalités médiatiques ont vulgarisé l’addiction au sexe, l’hypersexualité concernerait 3 à 6% de la population adulte. Avec de lourdes répercussions à la clé. Les explications du docteur Véronique Fonteille, médecin addictologue et sexologue au service universitaire d’addictologie de Lyon dans le service du professeur Benjamin Rolland.
Qu’est-ce que l’addiction au sexe ou hypersexualité ?
Contrairement à une autre addiction comportementale tel que le jeu de hasard et d’argent, il n’existe pas de critères diagnostiques officiels et consensuels pour l’addiction au sexe. Au même titre que les autres addictions avec produits (tabac, drogues, alcool..), on va retrouver la notion de perte de contrôle et les répercussions sociales (familiales, professionnelles..) et médicales. Cela n’est plus un choix. On a perdu la liberté de s’abstenir, malgré les conséquences négatives de la consommation.
À partir de quand est-on considéré comme addict au sexe ?
Il n’y a pas de normes en matière de sexualité. Il n’existe pas de sexualité « normale » ni une seule façon de la pratiquer. Les seules limites et contraintes, vont être d’ordres légales, religieuses, culturelles. Donc, l’addiction au sexe n’est pas une question de quantité. Il n’existe pas de cut off concernant les pratiques sexuelles où, au-dessus d’une certaine fréquence on pourrait dire que c’est nocif pour la santé… Il n’ y a pas de normes en termes de fréquence, une ou plusieurs pratiques sexuelles par jour ? Par semaine ? Par mois ? Il n’y a pas de consensus.
C’est plutôt une question de ressenti personnel. Certains auront plusieurs activités sexuelles par jour mais par choix, sans aucune répercussion sur leur vie familiale et personnelle. Ils n’éprouveront ainsi pas de souffrance de leur pratique sexuelle (ils ne viendront d’ailleurs pas nous consulter !). D’autres, avec pourtant une pratique sexuelle moins intense en termes de quantité, ont des répercussions familiales, sociales de ces pratiques et sont en détresse s’ils ne peuvent assouvir leur besoin.
Pour l’addict sexuel, la sexualité n’est plus un plaisir mais devient un besoin difficilement contrôlable, avec une pratique sexuelle qui se poursuit, qui est envahissante malgré les conséquences négatives, engendrant une souffrance avec beaucoup de honte et de culpabilité.
La banalisation de la pornographie n’a-t-elle pas démultipliée le nombre d’addicts au sexe ?
Il est difficile de répondre de manière tranchée. Certes, ce n’est pas parce que l’on regarde régulièrement du porno que l’on est addict au sexe. Mais c’est vrai que les enfants sont confrontés de plus en plus tôt à ces scènes en principe interdites aux moins de 18 ans. 11 ans, c’est l’âge moyen auquel un enfant est confronté pour la première fois à des images porno. À l’adolescence, un jeune sur cinq affirme regarder du porno au moins une fois/semaine.
Il est donc du devoir des parents, des enseignants, d’éduquer suffisamment tôt les enfants à la sexualité. L’éducation sexuelle ne soit pas apprise via le porno qui n’est pas le reflet de la « vraie vie » : sexes surdimensionnés, directement en érection, violences, soumissions… Dans le domaine de la sexualité, la psychoéducation sexuelle est essentielle pour limiter les risques de dérives.
Est-on addict au sexe ou le devient-on ? Autrement dit, est-ce génétique ou héréditaire ?
On le devient ! On ne nait pas addict sexuel. Mais comme pour beaucoup d’autres pathologies mentales, c’est une interaction entre nos gènes et notre environnement. Que ce soit sur le plan comportemental comme en matière de consommation de produits nocifs ou illégaux, on n’est jamais addict par hasard.
Parfois, on constate une vulnérabilité génétique si un parent était déjà addict. Et très souvent, on retrouve à l’origine des problèmes de maltraitance sexuelle, d’abus sexuels. Il y a aussi des pathologies psychiatriques, comme des troubles de l’humeur, de l’anxiété, qui sont également des facteurs de vulnérabilité. Les addicts au sexe sont souvent de grands anxieux qui déstressent en se masturbant de manière compulsive par exemple. C’est un moyen de réguler leurs émotions, de gérer leur stress.
Quel est le profil des patients qui viennent vous consulter ?
Ce sont essentiellement des hommes, à plus de 90%, hétéros ou homosexuels, en couple ou célibataire, avec ou sans enfants, avec un travail ou non. Certains souffrent de masturbation compulsive sans ou avec supports comme la pornographie, le cybersexe.
Cela peut signifier entre une et cinq séances de masturbation par jour. Chaque séance peut durer de 15 minutes à quatre heures ! Parfois, cela génère des douleurs, voire des lésions du prépuce, mais ils poursuivent malgré les conséquences négatives. D’autres viennent me voir car ils sont accros aux relations tarifées, aux salons de massage ou au téléphone rose. Avec, à la clé, de lourdes répercussions financières…
Tous ces profils présentent-ils des points communs ?
Oui, leur addiction au sexe est en rapport avec la gestion de leurs émotions, une altération de la régulation de leurs émotions. Ils souffrent souvent d’un passé traumatique et d’une forme de mal-être. On retrouve très souvent des comorbidités addictives et psychiatriques associées notamment les troubles de l’humeur (70 % des cas), et les troubles anxieux (40 % des cas), mais aussi troubles de la personnalité, troubles obsessionnel compulsif…
Comment traite-t-on une addiction au sexe ?
Malheureusement, il n’existe pas de médicament spécifique avec AMM (Autorisation de Mise sur le Marché), pas de traitement pharmacologique ou psychologique consensuel. Le traitement passe avant tout par la prise en charge des comorbidités psychiatriques, traumatiques, sexologiques, somatiques. Si on constate des troubles anxieux dépressifs, une attitude compulsive, on peut prescrire des antidépresseurs de type ISRS, inhibiteur de la recapture de la sérotonine qui en plus d’agir sur leur humeur, peuvent avoir des répercussions sur leurs pensées sexuelles et brider leur libido.
Si la pratique sexuelle implique de multiples partenaires avec prise de risques, on peut discuter de la mise en place de la PREP (Ndlr : Prophylaxie Pré-Exposition), traitement de prévention du VIH. Cela implique aussi de faire de la RDRD (Ndlr : Réduction des Risques et des Dommages), par exemple en fournissant des préservatifs…En fonction de la prise de risque sexuels, il faut dépister les IST régulièrement et les traiter si nécessaire.
Mais on travaille aussi beaucoup à base de psychothérapie. Les addicts au sexe ont par exemple, très souvent une très faible estime d’eux-mêmes. Il faut donc leur redonner confiance, combattre certaines idées reçues ou fausses croyances sur la sexualité.
Là encore cela passe par de la psychoeducation sexuelle, mais aussi par une prise en charge sexologique si dysfonction sexuelle, thérapie de couple dans le cas de conjugopathie… On peut également faire une prise en charge par EMDR (Ndlr : Eye Movement Desentitization and Reprocessing) lors de certains traumatismes… Enfin, les thérapies cognitivo-comportementales donnent aussi parfois de bons résultats, notamment pour le travail sur la gestion des émotions, du stress… La prise en charge doit être globale et intégrative !
Une addiction au sexe non traitées peut-elle induire des risques pour sa santé ?
Oui, outre les lésions évoquées précédemment en cas de masturbation compulsive et les IST, il y a un risque suicidaire réel lié au manque d’estime de soi.
Parmi les addicts au sexe, certain peuvent avoir recours à une pratique de chemsex.(Ndrl : Chemical Sex), une pratique sexuelle de plus en plus répandue parmi les HSH (Ndrl : Hommes ayant du Sexe avec des Hommes). Cette pratique utilise l’usage de produits, de drogues, principalement des catinones comme la 3MMC, la 4MEC.., mais aussi du GHB, de la cocaine… à visée sexuelle. Enfin, je ne parle pas de l’usage inapproprié de certains objets… On voit parfois passer aux urgences des choses pour le moins… étonnantes !
Et dans la sphère familiale, y a t-il aussi des conséquences ?
Forcément. Par définition , l’addiction au sexe entraine très souvent des répercussions familiales, dont les conjugopathies. Dans sa famille, aux yeux du partenaire, l’addict est souvent considéré comme un pervers sexuel alors qu’il est d’abord en souffrance.
Guérit-on de l’addiction au sexe ou est-on en rémission ?
Comme toutes les addictions, l’addiction au sexe peut être considérée comme une maladie chronique. Après une thérapie, on peut être en rémission mais les rechutes sont fréquentes. Pour la plupart des addictions, on peut avoir l’objectif d’une abstinence, c’est-à-dire un arrêt total des consommations. Avec l’addiction au sexe, l’objectif de la prise en charge vise à rétablir une sexualité choisie, épanouie : retrouver plaisir et satisfaction sexuels et non pas vœu de chasteté !
Le modèle bio-psychosociale Olivenstein définit les addictions comme une « rencontre entre un individu (avec ses facteurs de vulnérabilités génétiques, psychiatriques, traumatiques…), un produit ou comportement à un moment donné » . Le comportement addictif est ainsi comme une béquille pour un individu fragilisé par des vulnérabilités psychiatriques, traumatiques, dans un contexte donné. Il est donc fondamental de faire une réhabilitation psychosociale (renforcer les compétences psychosociales de l’individu) pour le traiter de manière durable. D’où l’intérêt de la psychothérapie.
À SAVOIR
Entre 3 et 6% de la population adulte souffrirait d’addiction au sexe. La plupart aurait développé cette addiction vers l’âge de 12/13 ans avec la découverte de la masturbation.