Le Chemsex, pratique consistant à combiner prise de stupéfiants et rapports sexuels, est en plein essor. Jusqu’ici réservé à la communauté gay, le phénomène commence à toucher d’autres pratiquants, de tous âges et de tous milieux, souvent moins sensibilisés aux risques encourus. Plusieurs décès et plaintes pour agression sexuelles ont pourtant récemment remis en lumière les dangers de cette pratique à risque, des IST aux effets psychologiques en passant par la dépendance, comme l’explique l’addictologue lyonnais Yann Botrel.
“Plan chems”, “slam party”… Le Chemsex, qui combine l’usage de substances psychoactives à un rapport sexuel dans le but d’intensifier le plaisir et les sensations, se pratique dans des lieux privés, souvent à plusieurs.
Si le phénomène progresse depuis une quinzaine d’année dans la communauté homosexuelle, il touche désormais un public moins averti de ses dangers : perte de contrôle, non-respect du consentement, mauvais dosages conduisant à des overdoses, usage de produits de basse qualité, contaminations au VIH et à l’hépatite C, addictions, expériences traumatisantes…
L’affaire Pierre Palmade, entre autres cas récents (décès, plaintes pour viols…), a révélé au grand public tous les risques du sexe sous drogue et les enjeux en matière de sensibilisation. “Il ne faut pas minimiser l’impact de cette pratique, qui touche aujourd’hui tous les âges, y compris des jeunes de 16 à 18 ans qui entrent dans la sexualité par cette expérience. Et il ne faut pas croire que le chemsex est réservé aux grandes métropoles : le phénomène, notamment depuis la crise Covid, touche aussi les zones rurales”, livre Yann Botrel, hypnothérapeute et addicologue dans le sud de la métropole de Lyon.
Le Chemsex “se propage aux milieux hétérosexuels”
Assiste-t-on réellement à une explosion de la pratique du Chemsex ?
Le phénomène est clairement en augmentation, notamment chez les hommes ayant des relations avec d’autres hommes. On estime à 12 à 15% la part de la population gay à pratiquer le chemsex. Mais la tendance commence à se propager aussi aux milieux libertins et aux hétérosexuels. L’étude Sea, Sex and Chems, lancée en 2021 par un psychiatre, le Dr Dorian Cessa, a mis en lumière cette évolution : 6% des chemsexeurs interrogés dans le cadre de cette étude sont des hétérosexuels, et 15 à 16% sont des femmes. Cela va à l’encontre de l’image que l’on a de ce phénomène, qui touche une nouvelle population de personnes souvent bien moins informées des risques que celles appartenant à la communauté gay. Autant de gens qui peuvent passer sous les radars.
Les risques, pourtant, sont réels et peuvent aller jusqu’au décès : les cas mortels sont-ils fréquents ?
Cela fait 15 ans que le chemsex a émergé en France. Les données de 2017 et 2018 font état d’une vingtaine de décès en France attribuables au chemsex. Mais en allant un peu plus loin dans le détail, on s’aperçoit que l’on a recensé sur cette même période neuf décès sur la métropole de Lyon ! Cela ne signifie évidemment pas que près de la moitié des décès concernaient la région lyonnaise, mais bien que l’on a longtemps sous-estimé le nombre de cas mortels, souvent attribués à de simples overdoses. Les chiffres sont donc vraisemblablement bien plus importants qu’on ne le dit.
“35 à 40% des chemsexeurs estiment avoir été abusés sexuellement”
Autre question émergente, celle du consentement et des viols présumés ?
En effet, nous pouvons observer de premières études réalisées auprès de chemsexeurs tout à fait révélatrices, puisque 35 à 40% d’entre-eux estiment avoir été abusés sexuellement. La question du consentement se pose inévitablement, lorsque l’on est sous substance et que l’on n’est pas maître de son comportement. Mais elle se pose aussi bien pour les victimes que pour les bourreaux.
À quel moment bascule-t-on du plaisir à l’addiction ?
Selon le même processus que pour les autres addictions, sachant que l’on fait face, dans le cas du chemsex, à une double addiction : aux substances et au sexe. Mais en tout cas, à partir du moment où l’on constate des conséquences sur la vie de tous les jours, si l’on passe de l’envie au besoin, si l’on tombe dans la dépendance, c’est que l’on a basculé dans l’addiction et qu’il faut traiter cette dernière. La plupart des addicts sont dans une certaine forme de déni, et il faut souvent un événement pour prendre conscience de la dépendance : cela peut venir d’une remarque de son chef, d’une descente compliquée… Après, nous ne sommes pas tous égaux face à la dépendance et il y a tout un tas de chemsexeurs qui pratiquent tous les week-ends sans soucis : à eux de rester vigilants.
“Les chemsexeurs ne savent pas toujours ce qu’ils ingurgitent”
Quelles sont les principales substances utilisées par les chemsexeurs ?
La plus connue est la 3-MMC, qui est longtemps restée la drogue réservée aux chemsexeurs mais qui est de plus en plus utilisée lors de soirées étudiantes, car peu chère et facile à trouver. Mais c’est une drogue très addictogène, et qui se solde souvent par des descentes terribles. On trouve aussi le GBL dégradé en GHB, très dangereux également, ou encore la cocaïne, le poppers, le cannabis… Il n’y a pas vraiment de règles, les chemsexeurs ne savent pas toujours ce qu’ils ingurgitent et cela engendre souvent des mélanges très dangereux. On constate aussi que le slam, qui consiste à s’injecter des produits en intraveineuse, est de plus en plus rapide, ce qui accroît le risque d’infections et de contaminations.
Quels sont les principaux risques auxquels s’exposent les chemsexeurs ?
Le risque le plus aigu est celui de l’overdose, qui peut conduire au décès. On a ensuite toute la panoplie des infections sexuellement transmissibles, la perte de contrôle se traduisant fréquemment par du sexe sans préservatif ou PrEP (pilule préventive pour les personnes très exposées au VIH, NDLR). À cela s’ajoutent les conséquences psychosociales et psychologiques, la dépression, la dépendance, les risques neurologiques, l’arythmie…
Quelles solutions pour aider les chemsexeurs ?
Peut-on sortir de l’engrenage du chemsex ?
Oui, mais c’est un travail de longue haleine, induisant un suivi très intense. S’il peut y avoir des thérapies médicamenteuses plutôt efficaces pour réduire les envies, la psychothérapie reste la solution la plus adaptée. Et on arrive à avoir de bons résultats, quand on se tient aux thérapies et qu’on prend conscience de l’addiction. Il faut ensuite rester extrèmement vigilant, car comme pour toutes les addictions, le risque de rechute est très important.
Quelles sont les ressources disponibles ?
Notre pays dispose aujourd’hui d’un bon maillage de CSAPA : il y a des centres de soins, d’accompagnement et de prévention des addictions un peu partout. Des associations, à l’image de Aides, proposent un soutien et un accompagnement précieux. À Lyon, le centre de santé sexuelle du Griffon met également à disposition de nombreuses ressources. Le plus compliqué est souvent d’entrer dans le parcours de soin : mais une fois qu’on y est, la prise en charge est de qualité. L’important est de réussir à en parler, qu’il s’agisse d’un proche ou de son médecin traitant. Même si, encore aujourd’hui, les professionnels de santé ne sont pas tous sensibilisés et conservent parfois un discours moralisateur, forcément contre-productif.
À SAVOIR
La ville de Lyon et l’association ELCS (Élus Locaux Contre le Sida) organisaient le jeudi 16 janvier une table-ronde “Chemsex : un défi collectif”, de 15h à 18h à l’Hôtel-de-Ville, à l’initiative de l’addictologue Yann Botrel, adjoint au maire de Charly (Rhône). Le rendez-vous est accessible à tous, sur réservation (cliquer ici pour s’inscrire gratuitement). Plusieurs experts interviendront au cours des débats :
-le Pr Hélène Donadieu, cheffe des services d’addictologie au CHU de Montpellier : “le Chemsex, les substances utilisées, les effets recherchés, les prises de risque”.
-le Pr Benjamin Rolland, chef des services d’addictologie du CHU de Lyon : “Chemsex : quand passe-t-on du plaisir à l’addiction”.
-Isabelle Modolo (psychologue clinicienne aux HCL) et Raphaël Greget (directeur Agence de santé sexuelle) : “Chemsex, consentement et violences sexuelles”.
-le Dr Jean-Michel Livrozet, médecin infectiologue à Lyon : “l’épidémiologie du VIH et des hépatites B et C au sein de la Métropole de Lyon”.
-Priscilla Jermini, psychologue clinicienne au Centre de Santé Sexuelle Le Griffon : “Chems Break, groupe à visée thérapeutique autour du Chemsex”.
-Pr Laurent Fanton, chef du service de médecine légale du CHU de Lyon : “le Chemsex sous l’oeil médico-légal”.