Un enfant, dans les jupes de sa mère, agacé de bégayer et de ne pas réussir à se faire comprendre.
70 millions de personnes dans le monde seraient bègues. © Freepik

Chaque 22 octobre, la Journée mondiale du bégaiement (JMB) rappelle qu’une parole qui trébuche n’est pas une faiblesse. En 2025, le thème est : « Fortes de leur diversité, les personnes qui bégaient s’unissent pour agir ». Mais quand le bégaiement touche son propre enfant, la question devient intime : pourquoi ? Entre facteurs neurologiques, génétiques et environnementaux, les spécialistes lèvent le voile sur un trouble aussi fréquent que méconnu.

Le bégaiement est un trouble de la fluence de la parole où les mots sortent difficilement, avec des blocages, des répétitions ou des prolongations de sons. Ce n’est pas un problème d’articulation, ni une question d’intelligence. L’enfant sait parfaitement ce qu’il veut dire, mais son système de coordination entre le cerveau, la respiration et les muscles de la parole se dérègle par moments.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il s’agit d’un trouble neurodéveloppemental de la communication. Une condition durable ou transitoire, multifactorielle, liée à la maturation cérébrale.

Le rapport de l’Inserm sur les troubles du langage (2022) précise que le bégaiement se manifeste par une altération du rythme et de la fluidité de la parole, sans atteinte du vocabulaire ni de la syntaxe. Autrement dit, la pensée reste claire, c’est l’expression orale qui bute.

En France, l’Association Parole Bégaiement (APB) estime qu’environ 1 % des adultes et 5 % des enfants sont concernés à un moment de leur développement, soit près de 600 000 personnes dans l’Hexagone. Dans la majorité des cas, la parole redevient fluide naturellement avant l’adolescence.

Le bégaiement débute le plus souvent entre 2 et 5 ans, à l’âge où le langage se structure rapidement. C’est une période d’explosion lexicale : l’enfant apprend à conjuguer, à faire des phrases plus longues, à raconter. Ce développement accéléré met parfois à rude épreuve les circuits cérébraux de la parole.

Les premiers signes sont souvent subtils :

  • des répétitions de sons (« pa-pa-pa-papa ») ;
  • des prolongations (« sssssss-salut ») ;
  • des blocages silencieux où le mot semble “coincé” dans la gorge ;
  • parfois des petits mouvements associés (clignements, tension du visage, crispation de la main).

Ces manifestations peuvent varier d’un jour à l’autre, selon la fatigue, l’émotion ou le contexte. L’enfant parle parfois très bien seul ou avec ses parents, puis bégaie davantage à l’école ou face à des inconnus.

Les spécialistes distinguent deux types :

  • le bégaiement développemental, le plus fréquent, lié à la maturation du langage ;
  • et le bégaiement acquis, beaucoup plus rare, consécutif à un traumatisme ou à une atteinte neurologique (accident, lésion cérébrale).

Une base neurologique et génétique

Des études d’imagerie montrent que les enfants qui bégaient présentent une activité différente dans certaines zones du cerveau, notamment celles qui coordonnent le langage et la motricité. Ce n’est pas une “panne”, mais un mode de fonctionnement particulier. Les messages entre les deux hémisphères passent un peu moins vite, ce qui crée des ruptures de rythme.

La génétique joue aussi un rôle important. Les travaux du National Institute on Deafness and Other Communication Disorders (NIDCD, 2023) ont identifié plusieurs gènes impliqués dans le recyclage cellulaire (GNPTAB, GNPTG, NAGPA) plus fréquents chez les personnes bègues. Avoir un parent bègue multiplie par trois le risque d’en être affecté.

Des déclencheurs émotionnels et langagiers

Le bégaiement apparaît souvent lors d’un grand saut linguistique : l’entrée à l’école, l’apprentissage de phrases plus longues, ou la cohabitation avec plusieurs langues à la maison. Ce n’est pas un “choc” ni un traumatisme, mais plutôt une période où la parole est fortement sollicitée. Le cerveau du langage, encore en construction, peut se retrouver temporairement débordé par les nouvelles règles grammaticales ou la pression de devoir bien parler.

Les spécialistes parlent d’un déséquilibre entre les “demandes” et les “capacités” de l’enfant. Quand il veut en dire plus qu’il ne peut encore articuler, la parole trébuche. La fatigue, le rythme scolaire ou la pression émotionnelle peuvent accentuer ces disfluences. Ce n’est donc pas la peur qui crée le bégaiement, mais la tension autour du fait de parler.

L’environnement familial peut jouer un rôle

Contrairement à une idée encore tenace, ce n’est pas l’éducation qui provoque le bégaiement. Aucun style parental (autoritaire, permissif ou anxieux) n’en est la cause. En revanche, la façon dont l’entourage réagit face à la parole hésitante joue un rôle déterminant dans l’évolution du trouble.

Les chercheurs parlent de « facteurs de maintien » : les moqueries, l’impatience ou les corrections répétées peuvent accentuer l’anxiété de communication et figer le bégaiement. Un enfant qui sent qu’on l’écoute sans le juger, qui a le temps de finir ses phrases, progresse souvent plus vite. 

Le plus important n’est donc pas de corriger l’enfant, mais de lui donner le temps de parler. Les orthophonistes recommandent de ralentir le rythme des échanges familiaux, d’éviter les remarques du type : « Respire ! », « Parle doucement ! » ou « Recommence ! ». Ces injonctions renforcent la tension et aggravent parfois le blocage.

Mieux vaut alors reformuler calmement, valoriser le contenu plutôt que la forme, et créer des moments de parole sans enjeu : lire ensemble, raconter la journée, chanter. 

Comment reconnaître un bégaiement durable ?

Tous les enfants trébuchent sur les mots à un moment donné. Les disfluences normales font partie de l’apprentissage. Mais il faut rester attentif à certains signes :

  • le bégaiement dure plus de six mois sans amélioration ;
  • il s’intensifie avec le temps ;
  • l’enfant montre des signes de tension (grimace, clignement, blocage respiratoire) ;
  • il évite de parler ou semble angoissé par certaines situations (lecture à voix haute, présentation) ;
  • un antécédent familial existe.

L’Hôpital Necker-Enfants malades recommande de consulter dès ces premiers signaux. Une évaluation précoce par un orthophoniste permet d’écarter les disfluences transitoires et de mettre en place un suivi adapté si nécessaire.

Bégaiement : faut-il consulter ? Et que fait l’orthophoniste ?

Oui, surtout si les symptômes persistent ou s’aggravent. L’orthophoniste procède d’abord à une évaluation complète : historique familial, contexte d’apparition, observation de la parole et du comportement de l’enfant.

Les prises en charge varient selon l’âge. Avant 6 ans, les approches les plus efficaces sont les programmes Lidcombe et RESTART-DCM :

  • Le programme Lidcombe (essai randomisé, BMJ, 2005) repose sur des jeux et des échanges positifs entre parent et enfant. On félicite les moments de parole fluide plutôt que de souligner les blocages.
  • Le programme RESTART-DCM (PLOS One, 2015) s’appuie sur le principe de l’équilibre entre « demandes et capacités » : réduire la pression linguistique et émotionnelle. 

Ces deux méthodes affichent des taux de succès supérieurs à 75 % après 18 mois de suivi.

Après 7 ans, la prise en charge inclut souvent un travail sur la respiration, la régulation émotionnelle, voire des thérapies cognitives et comportementales pour diminuer la peur de parler.

Comment les parents peuvent aider au quotidien ?

Les gestes du quotidien comptent autant que les séances. L’essentiel est d’écouter, de ralentir, de rassurer.

  • Prendre le temps de parler calmement, sans interrompre.
  • Laisser l’enfant finir ses phrases, même s’il bloque.
  • Réduire la pression : éviter les questions rapides ou multiples.
  • Mettre en avant le contenu, pas la forme : valoriser ses idées.
  • Ne jamais punir, se moquer ou lui dire « respire », « calme-toi » : ces remarques aggravent la tension.

Les guides parentaux de la Fédération nationale des orthophonistes (FNO, 2023) insistent sur l’importance d’un environnement verbal paisible pour favoriser la récupération.

Chez environ un enfant sur cinq, le bégaiement se maintient à l’adolescence. Il peut alors devenir source de honte ou d’évitement social. Des associations comme l’APB proposent des groupes de parole, de la pair-aidance et des ateliers de méditation pour restaurer la confiance.

À l’âge adulte, la prise en charge repose sur un accompagnement global : orthophonie, gestion du stress, acceptation de la parole atypique. Des campagnes comme celle de la JMB 2025 insistent sur cette idée : le bégaiement n’est pas un défaut à corriger, mais une manière différente de s’exprimer.

À SAVOIR 

La prévalence du bégaiement est trois à quatre fois plus élevée chez les garçons que chez les filles, selon l’Inserm (2022). Cette différence s’expliquerait par une maturation plus lente des circuits neuronaux impliqués dans le langage.

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Marie Briel
Journaliste Ma Santé. Après un début de carrière en communication, Marie s’est tournée vers sa véritable voie, le journalisme. Au sein du groupe Ma Santé, elle se spécialise dans le domaine de l'information médicale pour rendre le jargon de la santé (parfois complexe) accessible à tous.

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