Une femme en passe de recevoir une chirurgie des yeux : la kérato-pigmentation.
Sécheresses oculaires, perte de transparence de la cornée, altération des analyses médicales type IRM... Changer de couleur des yeux n'est pas sans risques... © Anastasia Kazakova / Freepik.jpg

Modifier la couleur de ses yeux de façon permanente, c’est aujourd’hui possible grâce à une technique chirurgicale nommée kérato-pigmentation. Cette pratique, auparavant réservée aux chirurgies réparatrices, connaît aujourd’hui un essor grandissant pour des raisons esthétiques, largement alimenté par les réseaux sociaux. De quoi interpeller les autorités sanitaires : l’Académie nationale de médecine appelle ainsi à la plus grande prudence. Dans un communiqué diffusé le 18 juin, l’instance alerte sur les risques sanitaires immédiats et à long terme de cette procédure encore très mal encadrée.

Longtemps réservée à la correction de séquelles post-traumatiques de l’œil, la kérato-pigmentation connaît depuis une décennie un développement marqué à des fins purement esthétiques. Cette chirurgie consiste à insérer un pigment coloré dans l’épaisseur de la cornée à l’aide d’un laser de haute précision, modifiant ainsi l’apparence de l’iris sans intervention sur la structure intra-oculaire elle-même. Une manière, donc, de changer la couleur des yeux que la nature vous a donnée.

Si elle ouvre une nouvelle voie dans la quête d’une apparence personnalisée, cette technique s’accompagne de nombreux dangers pour la santé oculaire. La tendance, relayée sur des réseaux comme Tik-Tok aux dérives bien connues dans le domaine de la santé, s’amplifie… et inquiète. L’Académie nationale de médecine, ans un communiqué daté du jeudi 19 juin 2025, tire la sonnette d’alarme : la kérato-pigmentation ne doit pas être banalisée.

Comme le rappelle l’Académie nationale de médecine, « la couleur des yeux est donnée par la teinte de l’iris génétiquement déterminée. Il n’est pas possible d’intervenir sur cette structure intra-oculaire pour en modifier la pigmentation. » La kérato-pigmentation contourne donc cet obstacle en s’attaquant à la cornée, couche transparente située à l’avant de l’œil.

Pratiquée sous anesthésie locale, sans hospitalisation, cette chirurgie de l’oeil repose sur l’utilisation d’un laser spécial (laser femtoseconde), qui permet de créer un tunnel circulaire dans la cornée, dans lequel est ensuite injecté un pigment biocompatible de la couleur choisie par le patient.

L’intervention ne nécessite aucune suture et un collyre antibiotique est administré immédiatement après. Les consignes post-opératoires sont strictes : « il est demandé aux sujets d’éviter de recevoir de l’eau dans les yeux pendant un mois. »

Mais au-delà de sa précision technique, cette méthode soulève donc de nombreuses interrogations médicales. « Cette technique, dont les effets sont considérés comme définitifs, n’est toutefois pas sans risques, ni sans conséquences immédiates ou futures, dont les personnes qui y ont recours doivent être absolument informées. »

Parmi les effets indésirables identifiés, le communiqué évoque des « kératites infectieuses », un risque bien connu des chirurgies cornéennes. Même si l’asepsie est rigoureusement respectée, des suites inflammatoires, des sensations d’éblouissement ou une sécheresse oculaire sont fréquentes. À plus long terme, l’Académie nationale de médecine évoque la « perte de cellules endothéliales pouvant favoriser une perte de transparence de la cornée avec l’âge ».

Mais ce n’est pas tout. La présence permanente de pigment dans la cornée modifie la manière dont l’œil peut être examiné, ce qui pourrait poser problème lors de la détection ou du traitement de certaines pathologies : « le diamètre fixe de la pupille, déterminé par les limites de la pigmentation, peut aussi gêner l’analyse des structures intraoculaires, lors des examens ophtalmologiques ultérieurs. » Ce phénomène peut s’avérer particulièrement problématique dans le cadre du suivi de pathologies comme le glaucome ou les lésions rétiniennes périphériques.

Paradoxalement, les résultats esthétiques ne sont pas toujours à la hauteur des attentes. Les experts soulignent ainsi « un rendu trop uniforme de la couleur obtenue », une teinte perçue comme peu naturelle, et une « persistance de la teinte initiale de l’œil au pourtour de la cornée. » Le pigment injecté peut également s’estomper avec le temps, altérant l’uniformité de la coloration.

Autre point d’inquiétude : la compatibilité de ces pigments avec certaines technologies d’imagerie médicale. « La présence de composés métalliques dans certains pigments peut exposer à un risque lors de la réalisation d’une imagerie par résonance magnétique. », note l’Académie nationale de médecine

Plus globalement, l’institution insiste sur le manque de recul et l’absence d’évaluation rigoureuse de cette technique à visée cosmétique : « il ne faut pas sous-estimer les possibles conséquences négatives, à court, moyen, mais aussi long terme compte tenu du recul limité. »

Face à ces constats, l’Académie nationale de médecine plaide pour une meilleure information du public. Elle recommande qu’un document clair et complet soit remis avant toute intervention : « un document d’information préalable […] précisant les conséquences et les risques de cette technique de changement de la couleur des yeux à visée purement esthétique. »

L’institution s’inquiète également des opérations réalisées à l’étranger, où les garanties sanitaires et la compétence des praticiens ne sont pas toujours au rendez-vous. « Les risques des prises en charge à l’étranger, à des tarifs attractifs, mais sans garantie des compétences des praticiens, […] avec une possibilité accrue de complications » doivent être pris très au sérieux.

Enfin, dans une remarque qui pointe les incohérences du système de santé, l’Académie souligne le paradoxe entre l’essor de la kérato-pigmentation pour des motifs esthétiques et les « difficultés imposées aux personnes résidant en France pour obtenir un rendez-vous de consultation standard en ophtalmologie. » Un constat qui interpelle autant sur les priorités médicales que sur les dérives potentielles de la chirurgie de confort.

À SAVOIR

Le mot kérato-pigmentation vient de la combinaison de deux termes médicaux d’origine grecque. Le préfixe “kérato-“ fait référence à la cornée (keras, “corne” en grec), la membrane transparente située à l’avant de l’œil. Le terme “pigmentation” désigne l’action de colorer un tissu par l’injection ou le dépôt de pigments. Ainsi, la kérato-pigmentation désigne littéralement une coloration de la cornée, ce qui reflète précisément la nature de cette technique chirurgicale consistant à insérer des pigments colorés dans l’épaisseur de la cornée pour en modifier l’apparence.

Inscrivez-vous à notre newsletter
Ma Santé

Article précédentCancers : les œstrogènes pourraient favoriser des métastases, selon une étude Inserm–Curie
Article suivantChikungunya : deux cas autochtone déjà signalés en France métropolitaine
Journaliste expert santé / Rédacteur en chef adjoint du Groupe Ma Santé. Journaliste depuis 25 ans, Philippe Frieh a évolué dans la presse quotidienne régionale avant de rejoindre la presse magazine pour mettre son savoir-faire éditorial au service de l'un de ses domaines de prédilection, la santé, forme et bien-être. Très attaché à la rigueur éditoriale, à la pertinence de l'investigation et au respect de la langue française, il façonne des écrits aux vertus résolument préventives et pédagogiques, accessibles à tous les lecteurs.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici