En France, une femme meurt encore tous les quatre jours de complications liées à la grossesse. Et si les hémorragies et les maladies cardiovasculaires restent des causes majeures juste après l’accouchement, une réalité glaçante s’impose dès que l’on regarde plus loin : le suicide est aujourd’hui la première cause de mortalité maternelle jusqu’à un an après la naissance d’un enfant. Un constat alarmant, confirmé par le dernier rapport de Santé publique France.
On imagine souvent la maternité comme une période heureuse. Pourtant, derrière les images de nourrissons endormis et de jeunes mamans souriantes, se cache parfois une immense détresse. Selon le 7ᵉ rapport de l’Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM), le suicide représente près de 17 % des décès maternels recensés entre 2016 et 2018, soit un décès toutes les trois semaines.
En tout, 272 femmes sont décédées en France durant cette période des suites de leur grossesse ou dans l’année qui a suivi l’accouchement. Le taux de mortalité maternelle (RMM) est estimé à 11,8 décès pour 100 000 naissances vivantes.
Si les hémorragies, les complications obstétricales ou les maladies cardiovasculaires dominent dans les 42 jours suivant la naissance, le suicide devient la première cause lorsqu’on étend la fenêtre d’observation à un an.
Pourquoi le suicide est-il si fréquent après une naissance ?
La période post-partum ne s’arrête pas à la sortie de la maternité. De nombreuses femmes connaissent, dans les mois qui suivent, un risque accru de dépression post-partum, d’anxiété sévère, de troubles psychiques parfois graves. Selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), 10 à 15 % des jeunes mères souffrent de dépression post-partum en France. Dans certains cas, cette détresse peut évoluer vers des idées suicidaires.
À cela s’ajoutent des facteurs aggravants : isolement, manque de sommeil, pression sociale à « être une bonne mère », précarité économique, absence de relais familiaux. Autant de réalités qui peuvent fragiliser durablement la santé mentale des mères.
Un problème de santé publique encore trop invisibilisé
Longtemps, le suicide maternel a été considéré comme une cause « périphérique », car il ne relevait pas directement des complications obstétricales. Alors il a été peu documenté, et surtout, insuffisamment intégré dans les protocoles de suivi post-partum. « C’est une cause qu’on ne veut pas voir, car elle bouscule nos représentations de la maternité », résume la professeure Catherine Deneux-Tharaux, directrice de recherche à l’Inserm et coordinatrice de l’ENCMM.
Pourtant, plus de la moitié des décès maternels sont jugés évitables par les experts de Santé publique France, dont une grande part des suicides. Autrement dit, avec une meilleure détection, un accompagnement adapté et un suivi prolongé, nombre de ces femmes auraient pu être sauvées.
Quelles solutions pour mieux protéger les jeunes mères ?
Les pistes existent, et elles sont connues. Les professionnels de santé plaident pour :
- Un dépistage systématique de la dépression post-partum, dès la grossesse et tout au long de la première année. Des questionnaires validés existent, comme l’Edinburgh Postnatal Depression Scale (EPDS), mais leur utilisation reste inégale.
- Une formation renforcée des sages-femmes, médecins généralistes, gynécologues et pédiatres à la santé mentale périnatale. Trop souvent, les signaux d’alerte passent inaperçus.
- Un suivi prolongé des femmes vulnérables, bien au-delà de la consultation postnatale obligatoire à six semaines. Des rendez-vous à 3, 6 et 9 mois pourraient être systématisés.
- Un soutien social accru, notamment pour les mères isolées ou en situation précaire : visites à domicile, accompagnement par les PMI, accès facilité aux psychologues et psychiatres spécialisés.
Certaines initiatives locales vont déjà dans ce sens, mais elles restent fragmentées. Le rapport de l’ENCMM appelle à une véritable stratégie nationale de prévention des suicides maternels, à la croisée de la santé mentale, de la périnatalité et du soutien social.
Briser le tabou pour sauver des vies
Derrière les statistiques, il y a des vies brisées, des familles endeuillées, des enfants qui grandissent sans leur mère. Le suicide maternel n’est pas une fatalité : c’est un signal d’alarme pour notre système de santé et pour la société dans son ensemble. Parler de ce sujet sans détour, c’est déjà contribuer à le rendre visible et donc à mieux le prévenir.
« Chaque décès maternel est un drame. Mais quand on sait qu’une bonne partie pourrait être évitée, cela devient une responsabilité collective », conclut Santé publique France dans son rapport.
À SAVOIR
En France, la Haute Autorité de Santé (HAS) recommande depuis 2021 un entretien postnatal précoce entre la 4ᵉ et la 8ᵉ semaine après l’accouchement, justement pour repérer les signes de dépression post-partum et prévenir les risques suicidaires.