Contrôlante, narcissique, victime, étouffante, indifférente… Dans les familles, la parole se libère et de nombreuses filles témoignent de l’emprise, inconsciente ou non, que leur mère a (eu) sur elles, conditionnant de manière plus ou moins profonde leur construction vers l’âge adulte. Avec à la clé, dans les cas les plus graves de ces relations toxiques, des dégâts psychologiques très difficiles à surmonter. Dans « Et si c’était votre mère le problème », publié ce 18 septembre 2024, Clémence Biel, coach de vie à Annecy (Haute-Savoie), décortique le mécanisme de cette relation toxique, présente les différents profils de mères toxiques et, surtout, donne les pistes à suivre pour rétablir un lien normal et être enfin soi-même.
Comment savoir si la relation que votre mère entretient avec vous est toxique ? Une maman, dans l’immense majorité des cas, s’efforce de faire de son mieux. Avec ses qualités, son tempérament, sa personnalité, mais aussi avec ses failles.
Certaines mères voient ces failles, très souvent creusées dans leur propre enfance, polluer la relation qui s’instaure avec leurs filles. Généralement sans le savoir. Et les répercussions, sur le long terme, peuvent être terrible.

Clémence Biel, coach de vie à Annecy, en Haute-Savoie, a d’abord créé un compte Instagram @Becomeyourownmama aujourd’hui suivi par 69000 followers. Un chiffre qui atteste de l’ampleur d’un phénomène tapi dans les replis d’une société où le cercle familial abrite toujours de nombreux secrets, entretenus par les différences générationnelles.
Elle compile aujourd’hui son expertise dans un ouvrage intitulé « Et si c’était votre mère le problème », dans lequel elle propose un programme (Become Your Own Mama) pour comprendre le mécanisme d’une relation toxique mère-fille et savoir s’en émanciper.
Mère toxique : des signes qui ne trompent pas
Comment avez-vous réalisé l’ampleur du phénomène des mères toxiques ?
Lorsque j’ai commencé à coacher des personnes individuellement, j’ai constaté que dans les échanges on arrivait toujours au constat que leur enfance avait conditionné leur vie d’adulte.
Je me suis donc penchée sur le sujet des blessures et traumatismes de l’enfance et j’ai été abasourdie de réaliser à quel point la mère a une influence puissante sur la personne que l’on devient, en particulier lorsque l’on est une femme.
À partir de quand peut-on dire qu’une relation est toxique entre deux personnes ?
Tout simplement quand on est dans une relation qui nuit à notre bien-être émotionnel, mental ou physique. Quand cette relation n’est pas un cadre sûr, réconfortant et, dans le cas de la relation mère-fille, encourageant. Cette situation peut alors devenir, selon les cas, une source de stress, un fardeau à porter, une guerre de territoire…
Quels sont les signes qui doivent alerter ?
Dans une relation toxique, le signe le plus important est le sentiment de ne pas avoir la liberté d’être totalement soi-même. Lorsque l’on ressent de l’anxiété, une impression d’être contrôlé… Le sentiment que la relation n’est pas guidée par l’amour, mais par la peur de perdre l’autre, est un exemple de signe important.
Mère toxique : quelles sont les origines de cette relation faussée ?
Pourquoi cette toxicité s’exprime-t-elle particulièrement entre mère et fille ?
C’est le cas le plus fréquent dans le cercle familial. La relation mère fille est très complexe. On est dans le cadre d’une relation entre deux femmes, dans une société plutôt patriarchale, avec des femmes prédisposées au conflit, qui ont le sentiment de toujours devoir se battre pour être choisie, de se sacrifier continuellement. Très souvent, la maman a le sentiment de se sacrifier pour ses enfants, et elle attend, parce que c’est une femme, que sa fille se sacrifie à son tour.
La maman peut avoir évolué en ayant l’impression de ne pas avoir été entendue, de ne pas avoir de pouvoir personnel, ce qui génère une avidité d’attention et une soif de contrôle qu’elle va répercuter sur sa fille. On est dans une société où les mères sont abandonnées à elles-mêmes, sans soutien émotionnel, logistique, financier : cela engendre des attentes et des frustrations qu’elles font inconsciemment peser sur leur fille, par effet miroir.
On est aussi dans une société qui, globalement, est assez immature émotionnellement, sans véritable place pour le dialogue, où l’on préserve sans arrêt le statuquo : on évite le conflit, la remise en question, la colère… Tout cela engendre des émotions bloquées et des besoins inassouvis dans la relation mère-fille, qui viennent la biaiser.
Comment le mécanisme de cette toxicité se met-il en place ?
La maman a ses propres blessures d’enfance, avec des besoins inassouvis qu’elle va essayer de combler en utilisant sa fille. Et ce à plusieurs étapes possibles de la vie. La relation toxique peut s’instaurer dès la naissance, alimentée par le post-partum et le bouleversement émotionnel ressenti lorsque l’on devient maman. Elle peut le devenir à l’adolescence, lorsque la fille veut prendre la place que l’on n’a jamais laissé prendre à sa mère…
Le point essentiel est que les blessures d’enfance de la mère l’empêchent d’aimer sa fille de manière appropriée. Elle l’utilise en réalité pour combler ses propres manques.
Mére toxique : la solution “vient plutôt de la fille”
Cette emprise toxique est-elle délibérée ?
La plupart du temps, ce phénomène est totalement inconscient. Ni la mère, ni la fille, ne se rendent compte du mécanisme, surtout dans un schéma familial qui, parce que la grand-mère a fait la même chose avec la mère, est normalisé et justifié.
Comment réalise-t-on qu’il y a un problème ?
Cela vient plutôt de la fille. C’est une question générationnelle : aujourd’hui, nous avons beaucoup plus d’outils à disposition pour se rendre compte de nos traumatismes d’enfance. Ce sont des sujets dont on parle plus, on est plus ouvert au monde extérieur, moins replié sur le cercle familial et cette dimension sociale sert aussi de révélateur.
Et la nouvelle génération, quand elle se sent mal, a également plus tendance à se rendre chez le psychologue que la précédente. De nombreux symptômes d’une relation mère-fille dysfonctionnelle se révèlent dans la vie adulte de la fille, qui va se questionner et essayer de mieux comprendre cette problématique.
Mère toxique : les sept types les plus courants
Quels sont les différents profils de mère toxique ?
La maman victime : elle joue la victime dont il faut prendre soin. Elle demande à sa fille de jouer le rôle de sauveuse, ce qui est une sorte de narcissisme déguisé car elle est tellement centrée sur son mal-être qu’il n’y a pas de réciprocité.
La maman étouffante : elle aime trop sa fille, ne met pas de limites et lui dit qu’elle est sa raison de vivre. C’est très étouffant pour sa fille, qui suffoque et risque à l’âge adulte de confondre l’amour et la codépendance.
La maman qui a besoin d’être maternée : elle réclame à sa fille l’amour dont elle a manqué lorsqu’elle était enfant. Avec le message principal qui est : « qu’est-ce que je ferais sans toi ? », qui fait peser une très lourde responsabilité sur les épaules de la fille.
La maman contrôlante : elle est convaincue de savoir mieux que sa fille ce qu’elle ressent, ce dont elle a besoin, qui elle est… Cela prive la fille de sa propre voie et d’être elle-même.
La maman narcissique : elle veut être perçue comme supérieure aux autres et utilise souvent ses enfants et leurs réussites pour renvoyer l’image qu’elle est une bonne mère. La fille, du coup, a l’impression d’être aimée que pour ses succès.
La maman indifférente : elle est très mal à l’aise avec la proximité émotionnelle et physique, insensible aux besoins de sa fille qui apprend à être transparente et à ne pas exprimer ses émotions.
La maman imprévisible : elle passe de la mère gentille et complice à la mère impitoyable en un claquement de doigts, sans équilibre émotionnel. La fille grandit alors dans un climat d’hypervigilance, toujours sur le qui-vive, avec le sentiment que les relations sont toujours anxiogènes.
Mère toxique : les solutions pour s’en sortir
Comment réagir ?
Il y a d’abord un gros travail de déconditionnement. Prendre conscience de la toxicité de la relation génère souvent un blocage, avec une difficulté à passer à l’action pour guérir sa blessure.
La fille peut en effet être dominée par une foule de sentiments : la culpabilité, la peur d’être une mauvaise fille, l’impression d’être redevable, l’injonction à « respecter » ses parents, ce qui dans notre société revient souvent à garder le silence et à refouler ses émotions…
Pouvez-vous décrire les pistes pour s’en sortir que propose votre programme Becom Your Own Mama ?
C’est un programme que je décris dans le livre et qui est aussi accessible en ligne.
La première étape est de vivre le processus d’individuation que l’on n’a pas vécu lorsque l’on était enfant, un processus très sain qui permet à l’enfant de prendre son indépendance et devenir un individu à part entière. Quand on ne l’a pas vécu en tant qu’enfant, on peut tout à fait le vivre à 30, 40 ou 50 ans ! Il faut prendre conscience des aspects refoulés de notre identité, des émotions qui n’étaient pas écoutées par notre maman, des besoins qui sont restés ignorés.
La deuxième étape est de comprendre que le besoin d’attachement et d’authenticité ne sont pas en compétition, que l’on peut être soi-même tout en restant en lien avec l’autre. Le problème, dans les relations mères-filles toxiques, est souvent que « je t’aime si tu fais ce que j’attends de toi » : la fille a donc le sentiment que le fait d’être authentique va casser le lien. Là aussi, cela demande un déconditionnement.
La troisième étape est d’acquérir la maturité émotionnelle que l’on n’a pas reçue. Si la maman n’est pas capable d’identifier ses propres besoins, elle ne va pas apprendre à sa fille à le faire.
La quatrième étape est d’apprendre à dire non et de poser des limites à la maman, puis de les faire respecter. Il faut accepter que l’on va décevoir l’autre, ce qui est très inconfortable.
La cinquième étape est de faire face à la réaction maternelle, et d’accepter de se sentir parfois coupable, d’autant plus si l’on a été conditionnée à cette culpabilité.
Et la sixième et dernière étape : maintenant que l’on a débloqué toute cette énergie, on peut vraiment dire oui aux choses importantes, arrêter de rester dans ce qui est familier et confortable, expérimenter les choses que l’on aurait dû expérimenter durant notre enfance.
L’une des finalités est d’arriver à faire le deuil de la maman dont on aurait eu besoin, réconfortante, encourageante, de l’enfance dont on aurait rêvé. Cela n’est pas évident car on a tous en nous cette petite fille en recherche de l’amour maternel et accepter qu’il ne viendra pas n’est pas facile.
Mére toxique : où trouver de l’aide ?
Vers qui se tourner pour être aidé ?
On a souvent besoin de soutien pour avancer, d’où l’intérêt de prendre rendez-vous avec une psychologue ou tout type de thérapeute avec qui on se sent à l’aise : un hypnothérapeute, un coach en thérapie cognitive et comportementale, etc. Il faut d’abord arriver à en parler, à mettre des mots sur les blessures…
Existe-t-il, comme pour les couples, des spécialistes susceptibles d’accompagner ensemble la mère et la fille ?
Il existe des thérapeutes familiaux, mais la fille a souvent d’abord besoin de cheminer seule, pour ensuite pouvoir avancer avec sa mère. Une relation saine se construit à deux, et si certaines mamans vivent le bouleversement de leur fille comme une opportunité de se remettre en question et d’évoluer, d’autres n’arrivent pas à sortir de leur schéma et à respecter les limites posées par leur fille. Dans ce cas, ce sera compliqué de s’engager dans une thérapie commune.
À SAVOIR
Clémence Biel, coach certifiée spécialisée dans la relation mère-fille, a publié “Et si c’était votre mère le problème”, le 18 septembre 2024 aux éditions Albin Michel. Un guide complet comprenant des explications sur le mécanisme de la toxicité, une présentation des sept types de mères toxiques et un programme en 6 étapes pour poser les limites.