Pour des milliers de Français atteints d’une maladie chronique ou d’un handicap, le permis de conduire rime avec autonomie. Mais pour le conserver, ils doivent passer un contrôle médical obligatoire, facturé 36 à 50 € et non remboursé. Une mesure de sécurité légitime, certes, mais vécue par beaucoup comme une injustice.
Conduire exige des capacités physiques, cognitives et sensorielles suffisantes. C’est la raison d’être du contrôle médical d’aptitude à la conduite, prévu par le Code de la route et géré sous l’autorité du préfet. Selon la Sécurité routière, ce contrôle concerne toute personne dont l’état de santé peut influencer la conduite : diabète traité à l’insuline, épilepsie, maladies cardiaques, troubles neurologiques, atteintes visuelles importantes, handicaps moteurs…
Le conducteur doit alors consulter un médecin agréé par la préfecture (différent de son médecin traitant) pour une évaluation spécifique. L’objectif n’est pas de juger la maladie en soi, mais de déterminer si la personne peut conduire sans danger. Dans les cas plus complexes, le dossier est examiné par une commission médicale réunissant deux praticiens. C’est une démarche administrative obligatoire, comparable à une vérification technique… mais sur l’humain.
Problème, cette visite, fixée à 36 € ou 50 € selon les cas, reste entièrement à la charge du patient, sans remboursement de l’Assurance Maladie. Une situation qui interroge, alors que les associations dénoncent une forme de « double peine ».
Pourquoi cette visite imposée reste à la charge des patients ?
Un coût fixé par arrêté… et supporté par les usagers
Le tarif de cette visite est fixé par arrêté ministériel, actuellement à 36 € pour une consultation individuelle et 50 € lorsque le contrôle est effectué en commission médicale.
Ces sommes sont perçues directement par le médecin agréé ou par la préfecture, selon le cas. Et c’est là que le bât blesse. Aucune de ces deux visites n’est remboursée par l’Assurance Maladie, car elles ne relèvent pas d’un acte de soin mais d’une procédure administrative. Le site officiel ameli.fr confirme d’ailleurs que « la visite médicale d’aptitude à la conduite n’ouvre pas droit à remboursement ».
Certaines préfectures (comme celle de la Gironde ou du Cher) précisent que des exonérations peuvent exister pour les personnes handicapées bénéficiant d’une reconnaissance administrative d’invalidité, mais cela reste rare et inégalement appliqué.
Contrôle médical : une obligation perçue comme injuste
Pour les associations de patients, cette absence de remboursement pose un problème de principe. Car si le contrôle est imposé par l’État, pourquoi doit-il être payé par les personnes qu’il concerne ?
Selon la Fédération Française des Diabétiques, qui s’est exprimée à plusieurs reprises sur le sujet, « les personnes vivant avec un diabète doivent payer pour prouver qu’elles peuvent conduire ». Le ton est amer, d’autant que ce contrôle ne découle pas d’une faute mais d’une condition médicale permanente.
À cela s’ajoute un contexte social lourd. Selon les données de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), le reste à charge moyen en santé pour un Français est d’environ 1 500 € par an, et dépasse 8 000 € pour les 10 % les plus malades. Dans ce paysage, devoir payer encore pour « garder le droit de conduire » apparaît comme la goutte de trop.
Entre sécurité publique et équité sociale
Du côté des pouvoirs publics, l’argument est clair. La visite médicale est une garantie de sécurité routière, pas un soin, et c’est donc au conducteur de la financer. Une logique qui s’applique d’ailleurs aussi aux conducteurs ayant vu leur permis suspendu ou annulé, quelle qu’en soit la raison.
Mais pour les patients, cette position entretient un malaise. Elle crée un écart symbolique entre ceux qui conduisent librement et ceux qui doivent régulièrement prouver qu’ils en sont capables.
Les associations dénoncent une forme de « stigmatisation administrative ». Un citoyen malade doit payer pour rassurer l’administration sur sa fiabilité, là où d’autres ne sont jamais contrôlés.
Contrôle médicale obligatoire : un débat qui pourrait évoluer
À ce jour, aucune réforme officielle n’a été annoncée pour modifier la règle du non-remboursement. Les tarifs de 36 € et 50 € sont en vigueur depuis plusieurs années, mais certains territoires évoquent des ajustements. Les associations craignent une hausse générale et plaident pour une prise en charge intégrale du contrôle médical, du moins pour les personnes souffrant de maladies chroniques ou reconnues invalidantes.
Elles rappellent qu’il s’agit d’un contrôle d’intérêt public, et non d’un luxe individuel. Car la sécurité routière n’est pas seulement l’affaire des conducteurs valides, elle concerne tout le monde, y compris ceux qui vivent avec une maladie au long cours.
Nouvelle donne européenne : vers un contrôle médical pour tous les conducteurs ?
Le débat a pris une nouvelle tournure à l’échelle européenne. Le Parlement européen a adopté, le 21 octobre 2025, un texte prévoyant qu’un contrôle médical pourrait devenir obligatoire tous les quinze ans pour l’ensemble des titulaires du permis de conduire, et même plus fréquemment pour les conducteurs âgés de 65 ans ou plus.
Jusqu’à présent, ces visites ne concernaient donc en France que ceux touchés par une pathologie, les professionnels du transport ou les personnes dont le permis a été suspendu. Cette évolution envisagée élargirait donc considérablement le dispositif.
Reste à savoir comment ce contrôle généralisé serait appliqué : sera-t-il payant ? Qui en fixera le tarif ? Et surtout, comment éviter que cette mesure ne pèse davantage sur les personnes déjà confrontées à des frais de santé ?
Autant de questions qui alimentent les craintes d’une nouvelle contrainte administrative et financière, à l’heure où beaucoup d’automobilistes peinent déjà à absorber les coûts liés à la mobilité.
À SAVOIR
Chaque année, près de 350 000 visites médicales du permis de conduire sont effectuées en France, selon la Sécurité routière. Ces examens peuvent conclure à une aptitude ou une inaptitude, décision transmise à la préfecture. Conduire sans avoir effectué ce contrôle expose à une annulation du permis et jusqu’à 4 500 € d’amende (article R221-14 du Code de la route).








