La pollution atmosphérique accroît de manière certaine le risque de cancers du poumon. Un lien, plus mesuré, existe également avec le cancer de la vessie, selon le professeur Béatrice Fervers, coordinatrice du service cancer et environnement au Centre Léon Bérard.
Depuis quand fait-on le lien entre pollution de l’air et cancer ?
En consultant une publication anglaise de 1952, j’ai pu constater que l’on se posait déjà la question à l’époque. En 2013, le Centre International de Recherche sur le Cancer a revu l’ensemble des données scientifiques disponibles et conclu que la pollution atmosphérique en tant que mélange, ainsi que les particules fines contenues dans l’air, étaient bien cancérogènes, avec un lien causal sur le cancer du poumon. Ce classement est basé sur une vingtaine d’études épidémiologiques, des données expérimentales chez l’animal et des études in vitro.
Cette reconnaissance du lien sur le cancer n’est-elle pas tardive ?
Avec la pollution atmosphérique, nous ne sommes pas sur un niveau de risque équivalent à certains autres facteurs comme le tabagisme, qui voit multiplier par dix, voir plus, le risque de cancer du poumon. En ce qui concerne la pollution, cette augmentation du risque est de l’ordre de 10 à 20%. On aurait sans doute pu gagner quelques années sur ce classement. Mais il faut reconnaître que l’on avait besoin de longues études épidémiologiques, d’autant plus rigoureuses qu’il fallait les ajuster à d’autres facteurs, notamment le tabagisme, pour révéler clairement les effets de la pollution sur le cancer.
Cancer et pollution, les grandes villes sous la menace
Peut-on mesurer précisément l’effet de la pollution sur le cancer ?
Selon le CIRC, qui mène actuellement des recherches à ce sujet, la part des cancers du poumon attribuables à la pollution s’établirait entre 2 et 5%. C’est une moyenne, qui tient compte de niveaux d’exposition variables : en France, les seuils européens en matière d’émissions de particules fines et de dioxyde d’azote sont ainsi dépassés dans une vingtaine d’agglomérations. L’équipe du docteur Rémi Slama, épidémiologiste à Grenoble, a pu estimer qu’à Lyon et à Grenoble 6 à 7% des cancers du poumon étaient imputables à la pollution atmosphérique.
Quelles sont les substances ou matières cancérigènes contenues dans l’air que l’on respire ?
La pollution de l’air est un mélange complexe, variable dans le temps et l’espace. Les particules fines sont classés cancérigènes, comme un certain nombre de substances et d’agents présents à des proportions variables, à l’instar des dioxines, dont on parlait beaucoup au début des années 2000 mais dont les émissions ont depuis diminué de 95% ! Cela démontre, au passage, que les actions des pouvoirs publiques ont un impact et que la lutte n’est pas vaine, même s’il reste fort à faire. Aujourd’hui, on trouve dans l’air des dioxydes d’azote (NO2), de HAP (Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques, NDLR) associées aux gaz d’échappement des moteurs diesel, de benzène, PCB (Polychlorobiphényles, NDLR), mais aussi des pesticides… Pour ces derniers, on les trouve principalement à la campagne, mais pas seulement : à titre d’exemple, ATMO Rhône-Alpes Auvergne en a relevé des traces au cœur de Valence Ville.
Des effets aussi sur le cancer du sein et la leucémie de l’enfant ?
Quels types de cancers sont-ils concernés ?
On sait aujourd’hui qu’il y a un lien causal entre une exposition à la pollution atmosphérique et le risque de cancer du poumon. Les données sont plus limitées, mais des études tendent à démontrer un lien avec le cancer de la vessie. Un lien est également suspecté avec le cancer du sein et la leucémie de l’enfant, mais les données disponibles sont encore insuffisantes pour le confirmer.
Comment déterminer la part de responsabilité de la pollution ?
C’est très difficile à déterminer : nous sommes tous exposés depuis notre naissance à une multitude de substances. On peut tout de même dire que 80% des cancers du poumon sont principalement liés au tabac, qu’environ 15% le sont à des facteurs professionnels et donc que 4 à 5% pourraient être liés aux pollutions.
La tendance est-elle à une augmentation de cette proportion ?
Pas forcément. Mais ce qui doit alarmer et nous faire agir tous c’est que les études épidémiologiques ayant permis le classement au CIRC sont presque toutes réalisées dans des régions affichant des niveaux moyens annuels d’exposition situés dans le tiers inférieurs des expositions à travers le monde. Ces études révèlent une augmentation du risque même à des concentrations inférieures aux normes réglementaires, qui sont loin d’être respectées !
Quel est le profil des personnes les plus exposées ?
Les personnes fragiles ou ayant déjà été victimes de pathologies sont comme toujours les plus sensibles. Mais il existe d’autres facteurs, géographiques ou sociaux. L’École de Santé Publique de Rennes s’est notamment intéressée à la mortalité liée à des pics de pollution au NO2 (dioxyde d’azote, NDLR) en région parisienne. L’étude montre qu’à niveau d’exposition égale, l’impact en terme de mortalité était plus important chez les populations défavorisées. Cette observation nécessite d’être confirmée mais pourrait s’expliquer par un concours de plusieurs facteurs : une santé générale moins bonne, un tabagisme accru, une exposition continue dans leur travail ou par le fait que les populations défavorisées n’ont pas les moyens de passer un certain temps de l’année (week end, vacances) en dehors de l’exposition… Autre constat à prendre avec des pincettes, on relèverait en Chine, où la pollution est autrement plus importance, des cas de plus en plus jeunes de cancers liés à la pollution atmosphérique.
Comment se prémunir des risques ?
La prise en charge collective du problème relève de politiques publiques qui ne sont pas toujours appliquées, comme le démontre tristement ces dépassements de seuils observés dans une vingtaine de villes en France. Après, on peut se protéger de certains facteurs environnementaux de manière individuelle, tout d’abord en arrêtant de fumer, en se protégeant au travail… Et chaque citoyen peut aussi contribuer individuellement à une prise de conscience collective, à travers des actions simples : limiter l’utilisation des véhicules particuliers et s’assurer de leur bon entretien, prendre le vélo ou les transports en commun, éviter la combustion en foyer ouvert de matières organiques telles que le bois ou les déchets végétaux, réduire la production des déchets ou encore permettre une bonne ventilation du domicile pour réduire la pollution de l’air intérieur.
Pour en savoir plus
ATMO Auvergne-Rhône-Alpes, créé en juin 2016 par la fusion des deux observatoires de la qualité de l’air Air Rhône-Alpes et Atmo Auvergne, est l’organisme chargé de la mesure de la qualité de l’air et de la diffusion de l’information.
Pour en savoir plus : www.atmoauvergne.asso.fr
Les sites internet de l’Agence Nationale de Santé Publique (ex-Institut National de Veille Sanitaire) et de l’Ademe (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie) recèlent également de nombreuses informations.
À SAVOIR
On estime à 48 000 le nombre de décès évitables chaque année, si le niveau d’exposition aux pollutions de l’air dans les grandes villes était aligné sur celui des villes les moins exposées. En outre, une étude a également suggéré un gain moyen d’espérance de vie à l’âge de 30 ans de près de 6 mois par habitant, si le niveau moyen annuel des PM2,5 qui sont les particules les plus fines (égal à 16,5 µg/m3 à Lyon, Paris, Strasbourg ou encore Lille) était ramené au niveau du seuil fixé par l’Organisation Mondiale de la Santé (moins de 10 µg/m3).