Si la majeure partie du monde a découvert l’anosmie avec le Covid, la perte d’odorat est une affection ancienne et terriblement handicapante. Il s’agit de l’un des symptômes les plus pénibles de la polypose nasale, une maladie chronique sous-diagnostiquée touchant pourtant plus d’un million de patients en France. La prise en charge thérapeutique, à base de corticoïde, enregistre généralement de bons résultats. Mais elle reste encore embryonnaire, au grand désarroi des patients pour qui la perte d’odorat peut engendrer de terribles répercussions physiques et psychologiques.
Perte d’odorat ? Le Covid-19 n’est pas forcément le responsable. Et peut-être souffrez-vous de polypose nasale, une maladie inflammatoire touchant à la muqueuse des fosses nasales et des sinus. Liée à la constitution de polypes (tumeurs non cancéreuses), cette pathologie chronique également appelée polypose naso-sinusienne se manifeste en cas de rhinosinusite par une obstruction des voies nasales, des difficultés respiratoires et un nez qui coule sans interruption (rhinorrhées). S’ajoutent également des douleurs faciales, des maux de tête, des crises d’éternuement et, souvent, une perte de l’odorat et/ou du goût.
Ce sont d’ailleurs ces anosmies et agueusies, dont on a beaucoup parlé depuis le début de l’épidémie de Covid-19, qui forment les symptômes les plus handicapants de la maladie. « Le Covid a été une mise en lumière », confirme Jean-Michel Maillard, fondateur de l’association de patients Anosmie.org. « L’épidémie a démontré que l’on avait négligé l’odorat durant des années. Parce que perdre l’odorat, c’est le découvrir ». On mesure en effet trop mal les conséquences terribles d’une perte d’odorat pour le quotidien. Un calvaire dont souffriraient de près ou de loin plus d’un million de malades en France.
Perte d’odorat : de lourdes répercussions pour les malades
La perte partielle ou totale d’un sens, et notamment celui de l’odorat qui influe énormément sur le goût, n’a rien de neutre. Les odeurs sont un vecteur important d’émotions, qu’il s’agisse du parfum d’un être cher ou d’un plat appétissant. Elles contribuent aux souvenirs, à la qualité d’un instant vécu. « Perdre l’odorat donne le sentiment de passer d’un monde de couleurs à un monde en gris », témoigne Jean-Michel Maillard.
L’odorat est un détecteur qui protège aussi du danger d’une fuite de gaz, d’un incendie ou, plus régulièrement, d’un aliment avarié. Et ce sens, lié à celui du goût, a aussi une connotation sociale. L’anosmie isole, et notamment au moment des repas. « On s’éloigne progressivement des temps de partage, le repas devient une torture », soulève le président de l’association Anosmie.org. Avec à la clé une foule de fortes répercussions aux origines psychologiques, entre baisse du moral, perte ou prise de poids, dépression, troubles du sommeil… influant sur l’état de santé du malade.
D’où vient la perte d’odorat ?
Symptôme majeur de la polypose nasale (lire À SAVOIR), la perte d’odorat (hyposmie lorsqu’elle est partielle, anosmie lorsqu’elle est totale) est encore difficile à expliquer, et donc à diagnostiquer. Selon le Dr Clémentine Daveau, ORL au CHU de la Croix-Rousse (Hospices Civils de Lyon), il faut toutefois distinguer « l’hyposmie de transmission, quand les odeurs ne parviennent pas aux récepteurs, et l’hyposmie de perception, lorsque les odeurs ne sont pas interprétées. L’ORL effectue un examen endoscopique pour examiner les structures nasales, les sécrétions, les muqueuses… Puis il détermine s’il s’agit d’une hyposmie ou d’une anosmie ».
Quels traitements ?
Les traitements actuels ne guérissent pas la polypose nasale. Mais ils en atténuent efficacement les symptômes, dont la perte d’odorat. Le traitement thérapeutique, à base de corticoïdes, se fait par palier, en fonction de l’évolution de la maladie. On débute par des pulvérisations nasales, associées au lavage de nez (sérum physiologique ou eau de mer). On peut ensuite recourir à des cures de corticoïdes oraux, efficaces mais susceptibles d’engendrer des effets indésirables : c’est la raison pour laquelle ces cures sont limitées (une à deux par an).
« Si ces traitements ne suffisent pas, on opère pour désobstruer le nez », explique le Dr Daveau. « Cela permet, en le rendant plus favorable au spray nasal, d’optimiser le traitement et donc d’améliorer le quotidien des patients ».
Pour les cas les plus sévères, l’ORL peut prescrire une biothérapie. Il s’agit d’injections d’anticorps monoclonaux (Dupixent dupilumab, Nucala Mepolizumab) réalisées toutes les deux semaines. Ces traitements biologiques sont généralement très efficaces.
« La majorité des patients récupèrent leur odorat », assure le Dr Daveau. Le principal écueil réside dans la méconnaissance des traitements d’une maladie qui plus est sous-diagnostiquée. Et, ces traitements, même après un diagnostic, ne sont pas toujours suivis. 19% des malades ne sont pas suivis par un professionnel de santé, selon une étude Ifop réalisée en 2021 pour Sanofi Genzyme…
Retrouvez ici le témoignage du restaurateur Michel Doriez, anosmique et agueusique depuis 20 ans.
À SAVOIR
On sait encore peu de chose sur la polypose nasale, dont les origines peuvent aussi bien être congénitales (de naissance), que traumatiques ou virales (Covid-19). Chez la plupart des patients (87%), elle est associée à d’autres maladies comme des allergies, de l’asthme ou encore de l’eczéma (dermatite atopique). De nombreux asthmatiques et de patients souffrant de rhinosinusite chronique développent une polypose nasale.
Son diagnostic est souvent tardif (40-50 ans), mais la maladie se développe bien plus tôt, ce qui a le temps d’infliger d’infinies souffrances physiques et morales à ceux qui en sont les plus fortement atteints.