
Professeur de santé publique à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne (Loire), Franck Chauvin a aussi été président du Haut Conseil de la Santé Publique (2017/2022) et membre du comité scientifique durant la crise Covid. Plus récemment, il a été présenté comme le « monsieur soins palliatifs » lors du débat sur la fin de vie. Le cancérologue ligérien évoque son combat pour optimiser notre système de santé, favoriser une démarche préventive et améliorer la prise en charge des malades en fin de vie.
Le Pr Franck Chauvin a été placé sous les projecteurs, au printemps dernier, lors du débat sur la fin de vie en votre qualité d’expert en matière de soins palliatifs.
Le cancérologue stéphanois est un spécialiste de la question : en 2023, il avait déjà été chargé par la ministre de la santé Agnès Firmin le Bodo de produire un rapport sur l’évolution de la prise en charge durant la fin de vie « Vers un modèle français des soins d’accompagnement ». Entretien.
Fin de vie : « le défi qui nous attend est immense »
Les deux textes débattus et adoptés par le Parlement constituent-ils une réponse adéquate à la problématique d’accompagnement des malades en fin de vie ?

Oui, en grande partie. Sur la partie des soins palliatifs, la ministre Catherine Vautrin a repris l’essentiel des propositions que j’avais faites dans mon rapport. Le défi qui nous attend est immense. Dans dix ans, le nombre de patients qui vont décéder d’une maladie chronique, et donc passer au préalable par une phase dite terminale, sera considérable.
Déjà, en France, 80% des décès sont liées à des maladies chroniques. Cela représente 480 000 décès par an. Voilà pourquoi, avec le vieillissement de la population et l’évolution démographique, il faut se préparer à une lame de fond qui exigera des structures adaptées.
Schématiquement, quels sont les grands axes d’amélioration que vous préconisez ?
Il faut sortir de l’approche purement hospitalière de la fin de vie. On a médicalisé la mort alors que 70% des Français veulent décéder chez eux. Il ne sert à rien de muter des personnes âgées dépendantes pour les maintenir en vie quelques jours à l’hôpital dans des conditions peu adaptées.
L’idée est donc de créer des structures intermédiaires appelées maisons de soins palliatifs et d’accompagnement, sorte de sas entre le domicile et l’hôpital. Il en existe déjà une à Lyon en mode associatif.
On a le sentiment que le terme d’euthanasie a été volontairement occulté des débats. Pourquoi ? Parce qu’il fait peur ? N’est-ce pas une forme d’hypocrisie ?
Bien sûr. L’euthanasie s’est toujours pratiquée, d’une manière ou d’une autre. Les médecins ont toujours aidé leurs patients à décéder pour abréger leurs souffrances. En revanche, cette pratique n’était pas légale. Il faut donc d’abord considérer cette loi comme un cadre qui protège les médecins et les soignants tout en aidant les patients à partir quand ils le demandent.
Cette loi, c’est une fin en soi ou une première étape ?
À plus ou moins long terme, on ira forcément plus loin car c’est une demande forte des citoyens de faire avancer les mentalités et donc la loi. C’est le propre de la loi que de s’adapter aux attentes de la population.
Notre système de santé… « n’est pas en bonne santé »
Outre votre expertise en matière de soins palliatifs, vous êtes aussi un observateur avisé de l’évolution de notre système de santé*. Un système de plus en plus critiqué, voire décrié. Quelles solutions préconisez-vous pour sortir du « gouffre de la Sécu » ?
Une modification en profondeur de notre système de santé ! On doit sortir du système productiviste prôné depuis des décennies. En d’autres termes, on produit des soins mais finalement pas beaucoup de santé. Car il faut être honnête, la France n’est pas un pays en bonne santé.
Pourquoi dites-vous cela ?
Parce qu’en France, l’espérance de vie est plutôt bonne, mais l’espérance de vie en bonne santé vraiment médiocre. C’est l’assurance, à terme, d’une saturation du système de santé. Notre système se grippe progressivement en raison de l’augmentation des maladies chroniques.
Il faut donc réadapter notre système de santé aux besoins et à la demande. Bref, c’est un changement complet de logiciel qu’il faut engager pour ne pas aller dans le mur.
Plus simplement, ne faut-il passer d’un système du tout curatif à un modèle privilégiant le préventif ?
C’est effectivement un impératif pour assurer la soutenabilité de notre système. Nous n’avons plus le choix. Un système dont l’unique objectif est de faire vivre de plus en plus vieux est condamné à terme. Aujourd’hui, en France, le problème n’est pas la pénurie de médecins mais le nombre de malades. Et pour réduire le nombre de ces malades, il faut agir en amont.
Deux chiffres résument ce propos : en France, la santé représente plus de 20% des dépenses publiques alors que l’éducation représente moins de 9%. En d’autres termes, notre pays dépense deux fois et demi plus pour soigner que pour éduquer. Résultat, depuis 35 ans, l’espérance de vie stagne chez les enfants et les jeunes adultes, alors qu’elle ne cesse de progresser chez les plus âgés. Pour résumer un peu brutalement : on a donc produit un système financé par les jeunes pour faire vivre plus longtemps les vieux ! Cela mérite un accord de la population.
D’autres pays ont pris conscience depuis longtemps du problème, en particulier dans pays nordiques. En Scandinavie, le modèle « five/five », ce n’est pas plus de 10% du PIB consacré à la santé, dont la moitié pour la prévention et l’autre moitié pour le curatif.
Quelles sont les actions à mener en priorité ?
50% des cancers sont évitables, idem pour les diabètes et l’hypertension. Or, ce sont avec les maladies psychiatriques, les principaux postes de dépense de santé en France. Il faut donc changer les modes de vie pour réduire la part de ces maladies chroniques et les dépenses inhérentes à ces pathologies. Cela passe par l’éducation et la prévention.
Concrètement, quelle forme peut prendre cette prévention ?
Il y a plusieurs volets. La priorité, c’est de modifier les comportements. Les campagnes de sensibilisation sont assez peu efficaces.
En revanche, la modification de certains environnements permet de modifier massivement les comportements et est à privilégier pour mener ces actions de prévention. À savoir là où l’on apprend, en l’occurrence l’école, là où l’on vit, là où l’on travaille et là où l’on vieillit. On n’agit pas sur les individus mais sur leur environnement afin de modifier les comportements.
« Il est peu probable que l’on fasse disparaître le cancer »
Vous êtes aussi le fondateur d’Hygée, plateforme de santé publique du cancéropôle Lyon Auvergne Rhône-Alpes, dédié à la prévention des cancers. Comment faire pour faire reculer cette maladie dans notre pays ?
L’incidence de tous ces cancers est liée à trois facteurs : le vieillissement de la population, le recul des autres causes de mortalité, ce qui fait du cancer la première cause de mortalité en France et enfin, l’évolution des facteurs de risques et des environnements. On ne peut pas beaucoup agir sur les deux premiers facteurs. En revanche, il y a beaucoup d’actions à mener sur le dernier facteur, qu’il s’agisse du tabac, de l’activité physique, de l’alimentation ou de l’obésité. C’est la seule façon de faire reculer le cancer.
Par ailleurs, on peut faire évoluer la gravité de ces cancers. Cela passe par les campagnes de dépistage malheureusement trop peu suivies en France, à la différence des pays d’Europe du Nord. C’est notamment vrai pour le cancer du colon et le cancer du sein. Cette faible adhésion aux campagnes est dramatique !
Parviendra-t-on un jour à vaincre le cancer ?
Ce serait vraiment étonnant car cette maladie existe depuis le début de l’humanité. Sachant que c’est un dérèglement du vieillissement, il est peu probable que l’on fasse disparaître le cancer. En revanche, on arrive aujourd’hui à trouver de nouvelles thérapies pour rendre les traitements plus efficaces. Je pense notamment à l’immunothérapie. Mais ces traitements de pointe sont de plus en plus onéreux car de plus en plus spécifiques, donc difficiles à rentabiliser par l’industrie pharmaceutique. Il faut donc nécessairement réduire le nombre de malades pour que ces traitements continuent d’être financièrement soutenables par la collectivité.
Sinon, la seule façon de s’en sortir, sera de s’orienter vers un système assuranciel de type américain. Mais je ne suis pas sûr que les Français y soient favorables. Voilà pourquoi il faut absolument produire plus de santé et donc moins de malades pour pouvoir continuer à traiter les autres…
* À la demande d’Olivier Véran, à l’époque ministre de la Santé, le Pr Chauvin a rendu en mars 2022, juste après la crise Covid, un rapport intitulé « Dessiner la santé publique de demain » (consultable sur le site du ministère de la santé). Il a par ailleurs piloté le groupe de travail du Haut Conseil de la santé publique qui a rédigé le rapport demandé par la ministre de la Santé pour préparer la Stratégie Nationale de Santé 2024-2034 (consultable sur le site du HCSP).
À SAVOIR
Au terme de débats tendus ponctués par l’examen de plus de 2 500 amendements, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture, le 27 mai 2025, deux propositions de loi, l’une renforçant l’accès aux soins palliatifs, l’autre actant un « droit à l’aide à mourir ». Sur ce dernier point, la loi a énoncé cinq conditions indispensables pour recourir à cette aide active à mourir, à savoir être :
– majeur
– français ou résidents étrangers réguliers et stables en France
– apte à manifester leur volonté de façon libre et éclairée
– atteint d’une maladie grave et incurable avec un pronostic vital engagé à court ou à moyen terme
– victime de souffrances réfractaires (qu’on ne peut pas soulager) ou insupportables







