A travers l’émotion de plaisir qu’elle procure, la musique permet de diminuer la sensation de douleur chez certains patients. Le docteur Gérard Mick, neurologue à l’hôpital de Voiron en Isère et neurobiologiste, revient sur les vertus de la musicothérapie.
Comment vous êtes-vous intéressé aux liens entre musique et cerveau ?
Je suis moi-même mélomane et musicien. La musique, porteuse d’émotions incroyablement fortes, occupe une place fondamentale dans la vie humaine. Elle est capable de rassembler les individus , de leur procurer des frissons en rapport avec le plaisir induit par l’écoute, peut les mener vers un ressenti commun, voire les unir pour un objectif commun : la musique exerce ainsi une force de cohésion sociale, et ce n’est pas pour rien que tous les dictateurs du monde ont toujours utilisé la musique pour entraîner les foules!
La musique a-t-elle une réelle influence sur la douleur ?
Il a été clairement démontré que la musique pouvait aider certains patients à lutter contre leur douleur. Chez certaines personnes souffrant de douleurs chroniques, des écoutes régulières peuvent offrir de véritables fenêtres d’accalmie, éventuellement vectrices de changements comportementaux, comme de se mobiliser quand on a mal au dos. Si, dans la réalité, un médicament soulage assez bien, souvent à court terme, la musique a l’avantage d’agir sans aucun effet secondaire : c’est écologique et vient en plus du médicament.
Distraire le patient pour réduire sa perception douloureuse
Par quel mécanisme cette influence s’exerce-t-elle ?
La douleur est à la fois une sensation corporelle aversive et une sensation de désagrément, deux dimensions sensorielles que le cerveau est capable de différencier. Il est possible de distraire un individu et de refocaliser son attention pour réduire sa perception conscience de la douleur, bien plus en lui faisant écouter de la musique plaisante qu’en lui faisant penser à autre chose. Un autre effet est d’ordre émotionnel : induire une émotion positive, par exemple en faisant écouter une musique qui donne des frissons, permet de contrebalancer le ressenti négatif liée à une douleur.
Comment passe-t-on de la théorie à la pratique ?
Dans un service d’urgence, par exemple, une personne victime d’un traumatisme pourra voir son stress et sa douleur réduits si elle est placée dans une ambiance musicale apaisante. C’est évident, mais cela nécessite un minimum d’organisation, car tous les patients ne sont pas sensibles aux mêmes musiques. Dans certains hôpitaux, comme au CHU de Montpellier, on fait déjà bénéficier aux patients d’une écoute musicale « à la carte » : le style qu’ils aiment, quand ils le souhaitent, dans leur chambre. Cette technique dite de musicothérapie réceptive est également utilisée en services de réanimation ou en soins palliatifs.
30 à 60% de médicaments en moins grâce à la musique
La musique est-elle une alternative sérieuse à la prise de médicaments ?
En fonction de l’individu, on sait aujourd’hui que l’on peut réduire de 30 à 60% la consommation d’antalgiques en écoutant de la musique plaisante. De nombreux travaux scientifiques ont montré que la moitié des patients écoutant de la musique ressentaient une réduction significative de la douleur, avec un plaisir associé à l’écoute : autant de patients qui vont donc consommer moins de médicaments.
Pourquoi avez-vous le sentiment de prêcher encore dans le désert ?
Parce que l’argent étant toujours le nerf de la guerre, mettre en place de la musicothérapie a un coût, même si il est largement moindre que certaines techniques de soins aujourd’hui utilisées au quotidien à l’hôpital : écouter de la musique reste pour beaucoup un loisir et non un outil thérapeutique. Imaginez le bienfait d’un véritable violoncelle dans une chambre d’hôpital, en soins palliatifs, comme cela se fait dans un service bien connu à Paris, expérience dont le patient se souviendra comme d’un cadeau ultime donné par la vie. Mais qui rémunérera le musicien professionnel ? L’autre écueil tient à la subjectivité du processus : les effets différent en fonction de chaque individu, et cela ne convient pas à notre médecine anglo-saxonne, très formatée. En Asie, ce sont pourtant des principes de traitements reconnus de très longue date.
A SAVOIR
La Fondation APICIL contre la douleur, fondée en 2004 et reconnue d’utilité publique, accompagne et finance des projets d’intérêt général dans le domaine de la lutte contre la douleur : campagnes de sensibilisation, développement de techniques alternatives, projets de recherche, création de centres anti-douleur… En 12 ans, la Fondation a financé plus de 500 projets pour plus de 7,5 millions d’euros.