Un bébé atteint d'une trouble du développement à cause de la Dépakine que son père a prise.
Entre 2 150 et 4 100 enfants sont nés avec au moins une malformation congénitale majeure attribuable au valproate, selon l'ANSM. © Freepik

Pendant des décennies, on a parlé, à juste titre, des médicaments que les femmes ne doivent pas prendre avant ou pendant la grossesse. Mais une étude française vient apporter une autre précision. Elle montre que la prise de Dépakine par le père, dans les mois précédant la conception, pourrait aussi augmenter le risque de troubles du développement chez l’enfant.

La Dépakine, ou valproate de sodium, est un antiépileptique utilisé depuis les années 1960, également prescrit dans certains troubles bipolaires. En France, il reste irremplaçable pour de nombreux patients. Mais son histoire est entachée par un lourd scandale sanitaire. Depuis la fin des années 1990, on sait qu’une exposition in utero à ce médicament peut provoquer de graves malformations et des troubles neuro-développementaux chez l’enfant.

L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) estime qu’entre 16 000 et 30 000 enfants seraient concernés en France depuis la commercialisation du valproate. Ce constat dramatique avait conduit à un encadrement très strict de sa prescription chez les femmes en âge de procréer : formulaire de consentement, ordonnances limitées, surveillance renforcée.

Jusqu’à récemment, on pensait donc que les risques de la Dépakine concernaient uniquement les mères. Or, une étude française vient d’apporter une nuance inattendue : la santé du père pourrait, elle aussi, jouer un rôle.

La Dépakine n’est jamais neutre

C’est le groupement Epi-Phare, créé par l’ANSM et la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), qui a conduit ce travail colossal. Les chercheurs ont passé au crible les données de plus de 2,8 millions d’enfants nés en France entre 2010 et 2015. Parmi eux, 4 773 avaient un père traité par du valproate dans les quatre mois précédant la conception, la période critique pendant laquelle se forme le sperme.

Les résultats, publiés le 6 novembre 2025, sont prudents mais significatifs. Les enfants nés de ces pères présentent un risque accru de troubles neuro-développementaux (TND) comparé à ceux dont les pères étaient traités par d’autres antiépileptiques (lamotrigine ou lévétiracétam).

Ce sur-risque est estimé à environ +24 % selon Epi-Phare, ce qui signifie qu’il reste relativement faible à l’échelle individuelle, mais statistiquement réel à l’échelle de la population. L’étude précise toutefois qu’il s’agit d’une corrélation, pas d’une preuve de causalité. 

Dépakine : les autorités de santé alertent sur les dangers potentiels

Ni Epi-Phare ni l’ANSM ne parlent d’une preuve définitive que le valproate pris par le père cause directement les troubles de l’enfant.

L’ANSM indique qu’il s’agit d’une étude observationnelle montrant une association entre l’exposition paternelle au valproate et l’augmentation du risque de TND. L’agence parle d’un « risque accru » et d’« une augmentation du risque de troubles neurodéveloppementaux, en particulier du trouble du développement intellectuel ».

Au niveau européen, l’Agence européenne du médicament (EMA), via son comité de pharmacovigilance (PRAC), évoque depuis janvier 2024 un « potential risk » de troubles neuro-développementaux chez les enfants nés de pères traités par valproate dans les trois mois précédant la conception, et a recommandé des mesures de précaution dans l’attente de données complémentaires.

En 2023 déjà, une première étude européenne avait suggéré ce risque potentiel, avec des chiffres de TND allant de 5,6 % à 6,3 % chez les enfants de pères exposés, contre 2,5 % à 3,6 % chez ceux dont les pères étaient traités par lamotrigine ou lévétiracétam.

Dépakine : comment expliquer un tel effet ?

Comment un médicament pris par le père, avant même la conception, pourrait-il influencer le développement du cerveau d’un futur enfant ?

Les chercheurs évoquent une piste biologique appelée épigénétique. Certains médicaments, dont le valproate, pourraient modifier la manière dont les gènes s’expriment dans les spermatozoïdes, sans altérer l’ADN lui-même. Ces “marques épigénétiques” peuvent ensuite être transmises à l’embryon au moment de la fécondation.

Ces hypothèses sont appuyées par quelques travaux de biologie cellulaire, mais rien n’est encore prouvé chez l’humain. Les scientifiques sont encore aux débuts de la recherche sur l’épigénétique paternelle. Alors, aujourd’hui, il ne s’agit pas de dire que le père transmet une anomalie, mais plutôt que certains médicaments pourraient influencer l’environnement génétique du spermatozoïde.

Concrètement : que doit faire un homme traité par Dépakine ?

Les experts sont unanimes : il ne faut surtout pas interrompre un traitement antiépileptique sans avis médical. Les conséquences d’un arrêt brutal de la Dépakine peuvent être graves : reprise de crises d’épilepsie, déséquilibre psychiatrique, hospitalisations.

Le message de l’ANSM est donc clair :

  • Ne pas arrêter seul le traitement.
  • En parler au médecin ou au neurologue avant tout projet d’enfant.
  • Évaluer, au cas par cas, la possibilité d’un traitement alternatif.

Depuis fin 2024, la France a d’ailleurs étendu le programme de prévention Dépakine aux hommes. Désormais, les prescripteurs doivent informer les patients masculins du potentiel risque pour la descendance et s’assurer que le message est compris, exactement comme cela se fait déjà pour les femmes en âge de procréer. Une évolution importante, et une première mondiale.

En filigrane, cette histoire de Dépakine paternelle raconte une petite révolution : celle de la prise en compte, enfin, de la santé du futur père dans les politiques de prévention.

Les auteurs d’Epi-Phare rappellent que, jusqu’ici, on connaissait surtout le risque énorme d’exposition maternelle (30 à 40 % de Troubles du Neuro-Développement chez les enfants exposés in utero), alors que le risque lié au père, lui, se situe plutôt dans une fourchette de 5 à 6 % selon les premières études.

Le message n’est donc pas : “tous les enfants seront atteints”, mais plutôt :

  • la prise de valproate par le père n’est pas neutre ;
  • la prévention ne doit plus se limiter à la mère ;
  • la médecine doit désormais inclure les hommes dans la discussion sur les risques médicamenteux avant conception.

À SAVOIR

Le mode de vie, certains médicaments ou encore l’âge paternel peuvent influencer la qualité du sperme et, parfois, le développement de l’enfant selon l’INSERM et l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les enfants de pères âgés de plus de 45 ans présentaient un risque accru d’environ 25 % de troubles du spectre autistique.

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Marie Briel
Journaliste Ma Santé. Après un début de carrière en communication, Marie s’est tournée vers sa véritable voie, le journalisme. Au sein du groupe Ma Santé, elle se spécialise dans le domaine de l'information médicale pour rendre le jargon de la santé (parfois complexe) accessible à tous.

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