Leaders mondiaux de l’homéopathie, les Laboratoires Boiron ont vécu un véritable séisme avec le déremboursement de l’essentiel de leurs produits début 2021. Deux ans plus tard, Valérie Lorentz-Poinsot, directrice générale de Boiron, revient sur cette crise inédite et évoque la stratégie du groupe lyonnais ainsi que l’avenir de l’homéopathie.
Les Laboratoires Boiron ont soufflé cette année leurs 90 ans. Quel est le secret de cette longévité ?

D’abord, l’ADN de l’entreprise, son positionnement qui consiste à répondre aux besoins des patients. Plus que jamais, en France comme dans le reste du monde, les patients ont envie de se faire soigner en toute sécurité. C’est ce qui fait la force de Boiron : de l’efficacité associée à la sécurité.
Voilà pourquoi de nombreux patients viennent à l’homéopathie, soit parce qu’ils ne trouvent pas de traitement adapté à leur pathologie, soit parce qu’ils souffrent de maladies chroniques nécessitant des traitements de fond.
La longévité de l’entreprise est aussi liée à la passion de ses fondateurs puis de tous ceux, dirigeants et salariés, qui se sont relayés jusqu’à aujourd’hui pour faire de Boiron un leader mondial en misant sur l’innovation.
Avez-vous craint que le groupe ne puisse célébrer cet anniversaire à l’annonce du déremboursement des traitements homéopathiques en France ?
Non, je n’ai pas imaginé une seule seconde que l’aventure Boiron puisse s’arrêter. Nos patients ont besoin de l’homéopathie comme le confirme un récent sondage Harris Interactive. Cette enquête révèle que 79% des Français se soignent ou se sont soignés avec de l’homéopathie. Par ailleurs, un Français sur deux estime qu’il peut améliorer son immunité avec l’homéopathie. Voilà pourquoi on a toujours gardé le cap en maintenant une politique d’innovation, même si on a forcément souffert durant cette période de dénigrement.
“Il faut continuer de militer pour une prise en charge de l’homéopathie”
Avec du recul, comprenez-vous la décision prise à l’époque par le gouvernement d’Edouard Philippe et sa ministre de la Santé, Agnès Buzin, arguant du fait qu’aucune étude scientifique ne démontrait l’efficacité de l’homéopathie ?
Je suis toujours très en colère… comme les patients d’ailleurs ! À mon sens, l’avis rendu était biaisé. La HAS (Haute Autorité de Santé) n’a pas correctement analysé l’étude réalisée par un comité d’experts et de scientifiques. La preuve, une contre-expertise a été réalisée et nous a donné raison. Il n’y avait donc aucun intérêt à dérembourser, ni pour la santé publique, ni pour les patients, ni pour les comptes de la sécurité sociale. Il faut continuer de militer pour une prise en charge de l’homéopathie.
Depuis deux ans, quels ont été les leviers pour assurer la pérennité du groupe ?

Dans un premier temps, il a fallu anticiper et mettre en place un plan de réorganisation pour compenser la baisse de 160 millions d’euros de chiffre d’affaires entre 2018 et 2021. Cela s’est traduit par un PSE (Plan de Sauvegarde de l’Emploi) qui a concerné 512 personnes avec la fermeture de treize sites, dont un site de fabrication.
Malgré cette restructuration, on n’a jamais cessé d’innover en homéopathie mais aussi hors homéopathie. On a ainsi déposé de nombreux dossiers de mise sur le marché qui ont tous été acceptés par l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé).
Parallèlement, l’entreprise s’est diversifiée en lançant des probiotiques, des extraits de plantes, des compléments alimentaires et en rachetant une société spécialisée dans les cosmétiques personnalisés.
Crise Covid : Boiron en première ligne pour les autotests
La crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 a-t-elle aggravé la situation ?
Forcément, dans la mesure où l’annonce du PSE est intervenue quelques jours avant le premier confinement. Il a fallu gérer simultanément la restructuration de l’entreprise, le plan social et l’impact de la crise sanitaire. On a donc réagi très vite, en 48 heures. D’abord en mettant près de 600 personnes en télétravail. Puis, en maintenant une activité avec la production d’une solution hydroalcoolique pour nos salariés et pour l’Établissement Français du Sang. Boiron a aussi apporté sa contribution pour assembler et diffuser des autotests Covid.
Boiron s’est rapproché du groupe britannique Emmac Life Sciences – depuis racheté par le géant américain Curaleaf – pour développer le cannabis thérapeutique. De son côté, l’Agence nationale de sécurité du médicament a lancé une vaste expérimentation sur le cannabis médical (1). Est-ce vraiment une voie d’avenir ?
Oui. Le cannabis médical est produit à base de plantes. Et Boiron est un spécialiste des plantes. On en référence environ 600 différentes dans nos laboratoires, dont quelques plantes stupéfiantes. Il est donc apparu comme une évidence de participer à l’expérimentation en France. C’est une piste prometteuse car ce médicament peut vraiment aider les patients souffrant de douleurs chroniques, de formes d’épilepsie sévères et d’autres pathologies précises. Mais le cannabis médical n’est pas un médicament anodin. Il faut donc donner le meilleur de la plante tout en garantissant la sécurité du patient. Voilà pourquoi l’expertise de Boiron, spécialiste des plantes, a été retenue pour cette expérimentation.
(1) Cette étude de l’ANSM vise à éprouver l’efficacité et les effets indésirables du cannabis thérapeutique sur 3000 patients souffrant de certaines affections, notamment de douleurs chroniques. Les résultats de cette étude seront connus avant fin 2023.
Vous avez évoqué la stratégie de diversification de Boiron. Aujourd’hui, plus de 13% du chiffre d’affaires du groupe provient d’activités hors homéopathie. Est-ce une tendance qui va s’accélérer ?
C’est vrai que les nouvelles activités développées depuis 2020 pèsent 61 millions d’euros sur un chiffre d’affaires de 455 millions d’euros en 2021. En fait, notre stratégie est double. D’une part, retrouver une dynamique positive en homéopathie pour répondre à l’attente des patients. Cela passe par un accompagnement accru de professionnels de santé (médecins, pharmaciens, sage-femmes) qui maîtrisent l’homéopathie. D’autre part, miser sur la notoriété et la caution de la marque Boiron pour concevoir et commercialiser d’autres produits, qu’il s’agisse de probiotiques, de compléments alimentaires ou de cosmétiques.
C’est cette démarche de diversification qui vous a incité à acquérir la société ABBI ?
Oui. Cette start-up qui part du principe que chaque peau est unique. Un constat en phase avec le concept de l’homéopathie pour qui chaque personne est unique. Voilà pourquoi Boiron, avec ABBI, souhaite développer des produits sur-mesure, dénués de tout effet délétère, grâce à l’intelligence artificielle. Un simple selfie qui va diagnostiquer votre peau et concevoir une formule adaptée à ses caractéristiques.
De nombreuses incertitudes planent sur l’année 2023. Comment envisagez-vous l’avenir à court et moyen terme ?
Boiron vient d’essuyer trois crises en trois ans. On vit dans un monde incertain. Complexe. Il faut vivre avec et s’adapter. La période exige de la réactivité, de l’agilité, de la résilience… et une bonne dose d’optimisme. C’est ce qui a permis à Boiron de trouver les ressources pour rebondir.
À SAVOIR
En l’espace de 90 ans, une petite pharmacie familiale est devenue un leader mondial. Dès 1932, les frères Jean et Henri Boiron conçoivent une gamme de médicaments homéopathiques. Au fil des ans, leur descendance contribuera à la prospérité de la marque, notamment Christian Boiron à la tête de l’entreprise pendant plus de 40 ans. Valérie Lorentz-Poinsot, qui lui a succédé en 2019, est aujourd’hui à la tête d’un groupe de 2 769 salariés, dont 120 pharmaciens, qui commercialisent, développent et fabriquent les médicaments homéopathiques sur les sites de Messimy, siège social et principale unité de production, et Montévrain (Seine-et-Marne). Les produits sont ensuite acheminés vers une cinquantaine de pays à travers le monde.