Kétamine, Topiramate, Tramadol… Tous ces médicaments, auxquels on peut également ajouter les dérivés du cannabis médical, font partie des antidouleurs les plus fréquemment prescrits. Mais leur efficacité ne doit pas faire oublier les dangers qui peuvent découler de ce type de traitements, entre effets secondaires potentiellement lourds et développement d’addictions. Les explications (et mises en garde) du Pr Nicolas Authier, pharmacologue et spécialiste du traitement de la douleur au CHU de Clermont-Ferrand, sur plusieurs médicaments antidouleurs parmi les plus souvent prescrits.
La prise en charge de la douleur, en tant que maladie chronique, est l’un des grands enjeux médicaux de notre temps. ‘‘La douleur est un phénomène de société, tant par le nombre de personnes concernées que par l’importance des enjeux qu’elle soulève”, confirme le Dr Valéria Martinez, présidente de la Société Française d’Étude et de Traitement de la Douleur. “Elle touche toutes les catégories socio-professionnelles et tous les âges. Premier motif de consultation, dans les services d’urgences et chez le médecin généraliste, la douleur concerne près de 12 millions de Français soit plus de 20 % de la population ! Moins de 3 % des patients douloureux bénéficient d’une prise en charge dans une structure douleur spécialisée. Près de 20 % des patients opérés gardent des séquelles douloureuses après une intervention chirurgicale. »
Cette prise en charge s’appuie notamment sur des traitements médicamenteux qui ont fait leur preuve. Principalement des antalgiques (paracétamol, aspirine, codéine, opioïdes, morphine en fonction de l’intensité des douleurs), mais également des antidépresseurs, anesthésiques, antispasmodiques, myorelaxants ou antiépileptiques.
Mais ces médicaments antidouleurs peuvent également engendrer d’autres problématiques liées à leur mésusage, entre effets indésirables et risques d’addiction. Le Professeur Nicolas Authier, psychiatre, chef de service de pharmacologie et du centre de traitement de la douleur au CHU de Clermont-Ferrand, fait le point sur la vigilance à observer auprès de quatre familles de médicaments antidouleurs.
Kétamine : des effets indésirables à surveiller
La Kétamine est un médicament bien connu des anesthésistes. Elle est utilisée depuis plusieurs années dans le domaine de la douleur, et notamment dans les douleurs chroniques réfractaires. Son usage est encadré par des recommandations de l’ANSM, l’agence nationale de sécurité du médicament, avec laquelle travaille la SFETD pour mettre au point un document d’informations destiné aux patients. Le but est d’améliorer la connaissance de ce médicament, ses objectifs thérapeutiques et les risques associés à sa prescription contre la douleur, généralement répétée à travers des perfusions hebdomadaires ou mensuelles.
Certaines informations de pharmacovigilance témoignent en effet de possibles risques rénaux, hépatiques et endocriniens. Il est donc plus que nécessaire d’être rigoureux dans la prescription. Celle-ci se fait dans les centres de traitement antidouleurs mais aussi à domicile, avec des structures qui viennent chez les patients pour assurer les perfusions. L’idée, bien sûr, n’est pas d’interdire sa prescription, mais de surveiller les éventuels effets indésirables et d’émettre d’éventuelles contre-indications chez certains patients à risque.
Topiramate : vigilance en cas de grossesse
Le Topiramate est un antiépliléptique utilisé de longue date contre la douleur. Il est notamment prescrit en première intention en cas de migraine chronique, en traitement de fond. Il sert à prévenir les migraines et peut même remplacer les métabloquants lorsque ceux-ci sont contrindiqués. Des données scientifiques récentes ont rapporté des complications complémentaires à celles déjà connues en cas d’exposition, durant la grossesse, pour l’enfant à naître. Notamment en termes de neurodéveloppement, avec une possible apparition de troubles autistiques, voire de déficiences intellectuelles.
L’ANSM, depuis le 2 mai 2023, a décidé que toute femme en âge de procréer ou enceinte ne pourra bénéficier du topiramate qu’après une primoprescription par un neurologue ou un pédiatre. Le renouvellement annuel de l’ordonnance ne pourra également se faire que pr un neurologue ou un pédiatre.
Ce sont des médicaments très importants pour traiter les douleurs chroniques, dont les migraines font partie. Or dans les centres anti-douleur, il n’y a pas que des pédiatres ou des neurologues et cela pose la question de la restriction de la prescription de ces spécialités qui peut perturber le parcours de soins des patients souffrant de migraines et déjà pris en charge et devant aller consulter en plus un pédiatre ou un neurologue.
Il y a une vigilance, mais on espère que ce médicament pourra rester accessible et utilisable en traitement contre la douleur.
Antidouleurs opioïdes : attention au risque d’addiction !
Le Tramadol est l’antalgique opioïde le plus prescrit, à plus de 6 millions de Français chaque année. Ce nombre a tendance à diminuer d’année en année. Ce médicament apparaît en numéro 1 dans les décès liés à la prise d’antalgiques en général, selon une enquête DTA de l’ANSM et du réseau d’addicto-vigilance. Une première place logique, puisqu’il s’agit du plus prescrit. Mais cela ne signifie pas qu’il s’agit du plus dangereux.
Autre médicament opioïde dont on parle beaucoup en ce moment : l’oxycodone. Cet antalgique a fait l’objet d’une annonce de pharmacologues bordelais, qui ont repéré une prescription plus importantes d’oxycodone en Nouvelle Aquitaine et qui s’inquiétaient de cette tendance. En France, sa prescription est plutôt stable depuis 2008, mais il y a des particularités territoriales, et notamment une prescription plus important en Bretagne et en Nouvelle Aquitaine, données qui méritent l’attention. 50% de ces prescriptions sont uniques, avec une seule ordonnance par an, le plus souvent en cas de douleurs aigües et non chroniques. Mais on se rappelle que dans la crise des opioïdes nord-américaine, le boom des prescriptions s’est développé par l’intermédiaire des douleurs aigües. Il faudra donc être vigilant.
L’HAS, dans ses recommandations de mars 2022, rappelle l’utilité d’une prescription de “l’antidote” aux opioïdes pour certains patients à risque d’abus d’usage non conventionnel. L’objectif ? Prévenir les surdoses et diminuer ainsi la mortalité liée aux surdoses d’opioïdes, en prescrivant notamment des kits de naloxodes.
Cannabis médical ou cannabinoïdes : des antidouleurs efficace pour près d’un patient sur deux
Depuis mars 2021, on expérimente par l’intermédiaire de l’ANSM l’accès à des médicaments contenant du THC ou du CBD, ou les deux. 2600 patients en tout ont déjà été traités. Il faut savoir que sur les 1600 toujours en cours de traitement, plus de 900 le sont pour douleur neuropathique réfractaire, première indication en nombre de patients traités. Ce qui n’a rien d’anormal, puisque 6 à 7% de Français souffrent de douleurs neuropathiques, avec des traitements efficaces au mieux dans un tiers des cas. Après échec des traitements antidouleurs en première et deuxième intention (antidépresseur, antiépiléptique, tramadol…), il est donc possible dans le cadre de cette expérimentation de prescrire des médicaments à base de THC ou CBD. La majorité des patients reçoivent les deux. 40% d’entre eux rapportent une amélioration importante à très importante, 30% des patients ont quitté l’expérimentation pour inefficacité ou effets indésirables.
Rappelons qu’en cas de douleurs réfractaires, il est toujours utile de pouvoir bénéficier de nouveaux médicaments antidouleurs. On souhaite sortir des conditions limitantes de l’expérimentation, ce qui passera probablement par un nouveau texte de loi qui permettra ainsi d’élargir l’arsenal thérapeutique sans pour autant être une panacée, car cela n’existe pas en médecine.
À SAVOIR
En France, 10 à 11 millions de Français se voient prescrire chaque année une ordonnance d’antalgiques opioïdes, principaux médicaments antidouleurs, dont 6 millions sous forme de Tramadol.