Champion du monde ! Alexandre Germain, kinésithérapeute du Football Club Villefranche Beaujolais et de l’Équipe de France, a vécu de l’intérieur la folle épopée tricolore en Russie. De retour en terres lyonnaises, il raconte ces ‘’57 jours de bonheur absolu’’.
Comment devient-on kiné de l’Équipe de France ?
J’ai travaillé avec les clubs de La Duchère, de Chasselay, puis depuis 4 ans de Villefranche-sur-Saône. Je m’occupe à 90% de footballeurs, pour la plupart amateurs. C’est un petit milieu, où tout le monde se connaît. Des postes se sont libérés en 2014 dans le staff médical de l’Équipe de France. J’ai candidaté une première fois. J’ai eu plus de succès en 2016, lorsqu’un nouveau poste s’est libéré et que la fédération m’a recontacté.
Avez-vous été consulté pour le choix des joueurs ?
Il y a des discussions au niveau médical pour voir si le joueur est apte, et on donne notre avis. Mais la décision finale relève évidemment du sélectionneur, Didier Deschamps.
Comment avez-vous vécu ces deux mois de compétition ?
Ce furent 57 jours de bonheur absolu, 57 jours extraordinaires. J’ai connu de nombreux rassemblements sportifs, notamment sur le Tour de France ou avec l’Équipe de France de hockey, mais je n’ai jamais connu une telle entente. Il n’y a jamais eu de tension, ce qui est incroyable pour un groupe de 50 personnes, joueurs et membres du staff compris. Il y a des choses qui ne s’expliquent pas. L’alchimie a pris du début à la fin, et le sélectionneur, qui a su choisir ses hommes et ses joueurs, y est pour beaucoup. C’est l’une des raisons principales du succès. En sport collectif, ce ne sont pas les meilleurs joueurs qui gagnent, mais le meilleur collectif.
« On peut être fiers du travail accompli »
N’avez-vous pas directement contribué à une autre clé du succès : l’absence de blessures ?
On est heureux d’être champions du monde, mais on peut être également fiers du travail accompli. Sur les sept matchs disputés, il n’y en a eu qu’un seul où Didier Deschamps n’a pu compter que sur 22 de ses 23 joueurs. La Belgique et la Croatie, qui figuraient dans le dernier carré, ont été dans le même cas, ce qui montre bien que cela contribue au résultat final. Au très haut niveau, ce sont les choses qui font la différence.
Quels furent les rares pépins auxquels vous avez dû faire face ?
La seule blessure recensée fut celle de Benjamin Mendy, qui a donc été arrêté 10 jours en raison d’une lésion musculaire minime. Mais il a rapidement été remis sur pieds et à disposition du sélectionneur. On a également fait en sorte que Benjamin Pavard, après le gros tampon reçu face à l’Uruguay en quarts de finale, soit en état de jouer dès le mach suivant.
En quoi consistait votre quotidien ?
Il nous a fallu d’abord remettre sur pied des joueurs fatigués physiquement et mentalement par une longue saison. Les installer dans les meilleures conditions passe par un travail de prévention, capital pour éviter certaines blessures, par des exercices voués à renforcer des zones clés, par des travaux d’assouplissement… Une fois la compétition commencée, l’enchaînement des matchs empêche de faire ce que l’on veut. C’est un sport de contact et notre priorité était de faire en sorte que les bobos durent le moins longtemps possible, à travers différentes techniques de soins et de récupération.
« On savait qu’on pouvait aller au bout »
Avez-vous développé des liens particuliers avec certains joueurs ?
Il y a des affinités qui se créent. Si aucun de nous n’était attitré à un ou plusieurs joueurs, certains sont plus réceptifs à certains kinés, et vice-versa. Des habitudes ont pu se prendre, mais lorsqu’il le fallait, on passait le relais à un collègue.
Avez-vous senti cette force irrésistible vers la victoire ?
Je ne suis pas parti pour aller à la coupe du monde, mais pour gagner la coupe du monde. C’est un état d’esprit qui nous habitait tous, individuellement et collectivement. On savait qu’on avait les moyens d’aller au bout. Le fait que le groupe vive bien a amplifié ce sentiment, tout comme la bonne préparation effectuée. Après, le facteur chance a joué, mais il n’y a pas que ça.
Comment avez-vous vécu les critiques relatives à la qualité de son jeu ?
On savait que l’on ne pratiquait pas du beau jeu en phase de poule, mais le public doit se rendre compte qu’il n’y a plus de petites équipes en football. On a battu l’Australie, puis le Pérou avant de faire match nul contre le Danemark, et on a terminé premier de notre groupe. Les autres nations ont elles fait mieux ? Rien ne sert de gagner un match 4-0, si c’est pour se faire éliminer en huitièmes de finale !
« Sept kinés français champions du monde »
Cette équipe a donc bel et bien su forcer son destin ?
L’Argentine fut une bascule : on jouait contre une grande nation du foot, contre l’un des meilleurs joueurs de l’histoire, dans un stade qui n’était pas acquis à notre cause… Et il y a eu la réussite du champion. C’est d’ailleurs la seule fois de toute la coupe du monde où nous avons été menés, et cela n’a duré que 10 minutes. Les statistiques ne mentent pas : mettre onze buts en phase finale, n’être menés que 10 minutes, ne pas jouer une seule prolongation… Tout cela n’avait pas été réalisé par un champion du monde depuis des années ! Et dans 20 ans, qui se rappellera de la qualité du jeu ?
Avez-vous pris conscience que vous étiez champion du monde ?
Je ne réalise pas encore totalement ce qui m’arrive. J’ai vécu quelque chose d’exceptionnel, que peu de gens ont vécu. En comptant ceux de 1998, nous ne sommes que sept kinés français champions du monde. Sept. J’espère qu’il y en aura d’autres, mais pour l’instant nous ne sommes que sept ! Pour moi, au départ, ce n’étaient que les joueurs qui l’étaient. Nous avons réalisé que c’était aussi notre victoire.
Votre vie a-t-elle changé le 15 juillet 2018 ?
Il est évident qu’il y a un effet coupe du monde, avec de nombreuses sollicitations médiatiques et professionnelles. Nous sommes des gens de l’ombre, et nous n’en avons pas l’habitude. Le coach (Didier Deschamps, NDLR) nous a prévenu que notre vie allait changer. Les anciens de 1998 aussi nous ont dit que nous changions de statut : nous sommes champions du monde pour toujours.
Comment avez-vous vécu le retour à l’ordinaire ?
Je souhaite avant tout rester simple, ne pas prendre la grosse tête. Mais mes proches veillent au grain ! On ne peut pas empêcher le regard des autres d’évoluer, mais il faut savoir d’où on vient. En tout cas je vais poursuivre ma mission avec le club de Villefranche.
Quelles images resteront gravées à jamais dans votre esprit ?
Être sur la pelouse avec mes enfants, ma chérie et la coupe du monde, car c’est un peu leur victoire à eux. Et cette joie collective, qui a consacré notre parcours. C’est peut-être cela le plus beau, cette aventure humaine que l’on a vécue ensemble. On est une famille, liée pour la vie.
A SAVOIR
Natif de Tours (Indre-et-Loirs), Alexandre Germain, 41 ans, a toujours eu l’objectif de devenir kiné du sport. Après ses études dans le Nord, il intègre à 23 ans le milieu professionnel, au sein du club de football de Sedan, qui vient d’accéder à la Ligue 1. L’année suivante, il rallie la région lyonnaise, où réside sa compagne, pour collaborer successivement avec les clubs de La Duchère, Chasselay et Villefranche-sur-Saône. Il accompagne également sept ans durant l’équipe de France de hockey et travaille avec le docteur Jean-Marcel Ferret, ancien médecin de l’Olympique Lyonnais et de l’Équipe de France, au Centre de Médecine du Sport situé à Gerland. Suite à la création du Centre de Kiné du Sport de Lyon, il développe l’antenne de la Clinique de la Sauvegarde, à Vaise, où il exerce à plein temps.