Une collègienne consultant son smartphone en cachette durant la nuit.
Le manque de sommeil est l'un des premiers signes d'une utilisation trop abusive du smartphone par les adolescents. Avec de lourdes répercussions sur leur facultés de concentration en classe. ©DepositPhoto

Épuisement, perte de concentration, baisse du niveau scolaire, bulle virtuelle, cyberharcèlement, addiction à la pornographie… Alors que l’entrée au collège coïncide désormais souvent avec l’achat du premier smartphone, de plus en plus d’enseignants s’inquiètent des ravages occasionnés par cette invasion numérique chez leurs élèves, face à des parents qui perdent peu à peu le contrôle. Témoignages de professeurs, mais aussi de la Lyonnaise Marie-Alix Le Roy, cofondatrice du groupe Facebook des “Parents unis contre le smartphone avant 15 ans”.

Les smartphones seraient-ils de véritables bombes à retardement lâchées dans nos collèges ? Est-on réellement en train, en une petite dizaine d’années, de voir émerger une génération perdue par la surexposition aux écrans ? Certains n’hésitent plus à parler de mal du siècle, et les témoignages effarants issus de la communauté enseignante, au-delà de faire froid dans le dos, interpellent sur l’ampleur d’un phénomène dont les ravages se mesurent chaque année un peu plus.

Les témoignages d'enseignants sur les ravages des smarphones dans les collèges se multiplient.

« La situation a clairement empiré depuis 8 ou 9 ans », confirme Virginie, professeur dans un collège public de la région lyonnaise. « Je n’ai plus que deux ou trois enfants sans portable par classe, et ce dès la 6e. Certains élèves entrent au collège en sachant à peine lire et écrire, avec un vocabulaire très limité et une rédaction typique de la téléphonie. Le déficit d’attention et de concentration est flagrant. Cette génération s’est tellement habituée à l’image qu’elle n’accroche plus si le cours n’est pas délivré sous forme de vidéo ou d’image mobile. Sinon, on les perd. On est en train de les sacrifier ». 

Smartphones : « on leur a mis des bombes entre les mains »

Les dangers des écrans sont connus, mais les effets sur le niveau scolaire semblent clairement sous-estimés. « Les élèves mangent avec leur téléphone, dorment avec…» constate Éléonore, qui enseigne dans un lycée professionnel du Rhône. « Ils ne déconnectent jamais et en classe, c’est devenu impossible de leur faire ranger. La règle, c’est dans le cartable et en mode avion. Mais ils le ressortent très vite, car ils s’ennuient, et sont tellement absorbés qu’ils ne remarquent même pas qu’on les regarde ! On leur a mis des bombes entre les mains et on est totalement impuissants ».

La prise de conscience des répercussions de l’hyperconnexion dans les établissements scolaires reste très lente, malgré les signes d’alerte. Derniers en date, les cas de reproduction plus ou moins fictive dans les cours de récréation, cet automne, des jeux mortels de Squid Game. La série événement sud-coréenne est pourtant interdite au moins de 16 ans (lire À SAVOIR), ce qui en dit long sur le laxisme parental, volontaire ou non.

Certains parents tentent pourtant de résister à la pression, à l’image de la Lyonnaise Marie-Alix Le Roy. Échaudée par sa propre expérience, cette mère de deux enfants a choisi de sensibiliser le plus largement possible au problème. Pour fédérer les énergies, rompre l’isolement des parents et donner plus de poids aux appels aux pouvoirs publics. Lancé à l’automne 2019, le groupe Facebook des ‘’Parents unis contre le smartphone avant 15 ans’’ compte désormais plus de 14 000 membres.

Marie-Alix Le Roy, comment avez-vous été confrontée au problème ?

« Ma fille aînée, alors âgée de 8 ans, est revenue de l’école en demandant ce qu’était une fellation, en des termes bien plus crus. Après enquête, il s’est avéré qu’un petit garçon de sa classe avait vu un film pornographique sur le téléphone de son cousin. Le fait d’être confrontée à cette question de la part d’un enfant de cet âge m’a profondément interpellée. Nous, parents, n’étions pas méfiants. Elle, de son côté, n’était absolument pas préparée à cela : nous ne lui avions pas encore parlé de ces dangers, ni entamé cette éducation… »

Qu’est-ce qui vous a poussé à mener la fronde des ‘’parents opposés au smartphone avant 15 ans’’ ?

Protégeons nos enfants des écrans, un ouvrage de Marie-Alix Leroy.
Marie-Alix Le Roy a publié en septembre 2020 le livre ‘’Protégeons nos enfants des écrans’’ (éditions Mame). ©DR

« Deux ans après, à l’entrée en sixième, elle m’a réclamé un téléphone portable. J’ai refusé, même si elle me disait qu’elle était l’une des seules dans ce cas et que personne ne voulait être son amie. C’est là que j’ai réalisé que nombre de parents cédaient à cette pression sociétale, pour des raisons compréhensibles. Mais que s’ils s’unissaient, ils seraient plus forts et les enfants sans smartphone seraient moins isolés. L’idée est de fédérer ceux qui essaient de résister et qui, malheureusement, ne trouvent que très peu d’aides ».

Pourquoi focaliser sur l’âge de 15 ans ?

« C’est l’âge de la majorité numérique en France. Et les psychologues s’accordent pour dire qu’à un moment, il faut savoir ‘’lâcher’’ son enfant. À 15 ans, on a eu le temps de le former à la gestion du téléphone, de passer en revue tous les sujets, comme celui du cyberharcèlement, d’avancer dans son éducation sexuelle… »

Comment et pourquoi résister à un ado ?

Ils sont très fort pour nous faire culpabiliser. Ils nous disent qu’ils seront seuls, et on croit alors les isoler. Mais il faut tenir bon ! Bien sûr, avec des exceptions, car il est compliqué de refuser cela à un enfant qui est réellement exclu de tout. En vérité, dans la majorité des cas, les parents pensent rendre leur enfant heureux, alors que c’est l’inverse ! Nombreux sont les parents qui, un jour, ont dit oui au jeu vidéo Fortnite et s’en mordent aujourd’hui les doigts ».

Le harcèlement est l'une des conséquences directes de la surexposition aux écrans.
Le cyberharcèlement, un phénomène aux conséquences terribles. © DepositPhoto

Pourquoi cette problématique s’aggrave-t-elle au fil des années ?

« Parce que les enfants auront toujours un temps d’avance sur leurs parents, même pour les digital natives. Parce que les parents, aussi, sont eux-mêmes addicts et ne montrent pas le bon exemple. Et, bien sûr, parce que les contenus accessibles sur le web sont de plus en plus glauques et violents. Les adolescents se construisent à travers une comparaison constante et le risque de perte de l’estime de soi est terrible. Celui qui n’a pas de like sur sa publication le vit très mal. C’est pourquoi le Canada, par exemple, effectue actuellement des tests sur la suppression de cette fonction like. »

La France se mobilise-t-elle sur le sujet ?

« Dans notre pays, il n’y a actuellement aucune réponse des pouvoirs publics. Au contraire, on est plutôt sur un modèle de ‘’numérisation à mort’’. On dit que doter tous les élèves d’une tablette permet de réduire les inégalités sociales. Mais c’est faux ! En réalité, cela complique la tâche des professeurs, confrontés à des élèves inattentifs, qui ne savent plus écrire avec un crayon et qui ne font même plus l’effort de taper sur un clavier tant ils sont habitués à la saisie vocale… »

Faut-il être inquiet pour l’avenir de nos enfants ?

« Oui, c’est évident. Lorsque j’évoque le sujet avec des spécialistes, tous me disent qu’un retentissement est inévitable d’ici 15 ou 20 ans. On le mesure déjà dans les cabinets d’orthophonistes, où les problèmes d’acquisition du vocabulaire et de concentration sont de plus en plus fréquents. Le confinement a aussi accentué la dépendance aux écrans, aux jeux vidéo, avec à la clé des dommages psychiatriques exacerbés : des addictions, notamment à la pornographie, des troubles du comportement, des jeunes filles de plus en plus complexées et en proie à de l’anorexie… Récemment, un pédopsychiatre me confirmait également que les cas d’agressions sexuelles étaient de plus en plus courants dans les écoles primaires ! »

Quels conseils donneriez-vous aux parents d’élèves souhaitant ‘’résister’’ ?

D’abord, de bien se renseigner : il existe des contenus qui évoquent les méfaits de la surexposition aux écrans, que l’on peut regarder en famille. Ensuite, de montrer l’exemple, car les enfants se construisent par mimétisme. Le téléphone, à la maison, ne doit pas entrer dans la chambre. Mieux vaut aussi garder sous clé nos vieux téléphones, car les enfants sont en effet tout à fait capables de se procurer des cartes Sim à l’insu de leurs parents.

Pour répondre à leur demande, on peut aussi donner accès à certaines applications sur nos propres téléphones, ce qui permet de surveiller directement ce qui se passe.

Mais le premier conseil que je délivrerai, et c’est peut-être le plus dur, c’est de ne pas craquer à la première larme. Ne serait-ce que parce que les enfants gagnent en maturité. Ma fille, qui est aujourd’hui en quatrième, est bien plus à même de comprendre notre raisonnement. Les enfants, en grandissant, prennent conscience que nous ne sommes pas uniquement de vieux rétrogrades, mais qu’il y a bien une triste réalité derrière tout cela ».

BESOIN D’INFOS ?

Le CoSE (Collectif surexposition écrans), a été fondé par des pédiatres, pédopsychiatres, psychologues, thérapeutes familiaux soucieux de donner l’alerte et de partager témoignages, conférences et conseils.

À SAVOIR

Squid Game est une série sud-coréenne diffusée cet automne sur Netflix et devenue virale dans le monde entier. Elle met en scène des candidats qui tentent de remporter le gros lot en survivant à des épreuves mortelles inspirées de jeux d’enfants comme ‘’1, 2, 3 soleil’’. Alors que la série est interdite aux moins de 16 ans, des reproductions de ces jeux violents ont été identifiés dans de nombreuses établissements scolaires, conduisant parfois à de sérieux dérapages comme à Toulouse, où un élève de 5eme a été passé à tabac par ses camarades.

Inscrivez-vous à notre newsletter
Ma Santé

Article précédentCovid-19 à Lyon : la vaccination des enfants a débuté à Gerland
Article suivantCovid-19 à Lyon : avant les fêtes, Boiron décuple sa production d’autotests
Journaliste expert santé / Rédacteur en chef adjoint du Groupe Ma Santé. Journaliste depuis 25 ans, Philippe Frieh a évolué dans la presse quotidienne régionale avant de rejoindre la presse magazine pour mettre son savoir-faire éditorial au service de l'un de ses domaines de prédilection, la santé, forme et bien-être. Très attaché à la rigueur éditoriale, à la pertinence de l'investigation et au respect de la langue française, il façonne des écrits aux vertus résolument préventives et pédagogiques, accessibles à tous les lecteurs.

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here