La consommation de tabac, alcool et drogues est fortement déconseillée chez la femme enceinte, mais certaines en consomment malgré le danger. Les conseils du Dr Brigitte David, responsable de la consultation ‘’grossesse et addictions’’ à l’hôpital de la Croix-Rousse, à Lyon.
Quels sont les principaux dangers d’une consommation de tabac, alcool ou drogues chez la femme enceinte ?
Le tabac influe sur la croissance in utero et sur le poids de naissance, qui est plus faible que le poids habituel. L’alcool est toxique tout au long de la grossesse, entraînant des malformations et des troubles psychomoteurs et du comportement. Concernant les drogues, l’impact dépend de la drogue consommée. Le cannabis peut être à l’origine de troubles du comportement / du sommeil et d’hyperactivité. La cocaïne peut provoquer des complications obstétricales sévères, voire la mort du fœtus in utero. Dans le cas de l’héroïne, c’est le manque qui est nocif pour le fœtus, entraînant une souffrance fœtale aigue ou chronique tandis qu’à la naissance peut apparaître un syndrome de sevrage néonatal plus ou moins prononcé.
Parmi ces produits, lesquels sont les plus dangereux ?
L’alcool et la cocaïne sont les produits les plus dangereux pendant la grossesse.
L’arrêt de la consommation de ces produits est-elle une solution efficace ?
Le sevrage brutal peut entraîner une fausse couche ou un accouchement prématuré. Il doit donc être conduit avec prudence. Si la patiente consomme des opioïdes, il est préférable de mettre en place un traitement de substitution – par Méthadone ou Buprénorphine – qui évitera au fœtus le stress du sevrage et permettra à la femme de mener sa grossesse à son terme.
Grossesse et drogue : “je pensais empoisonner mon bébé“
Comment s’organise la prise en charge des femmes enceintes à l’hôpital de la Croix-Rousse ?
Il n’y a pas de protocoles préétablis, la prise en charge est ajustée à chaque situation individuelle. Lorsque les patientes ne peuvent se déplacer, nous répondons aux questions par téléphone ou par mail. Les patientes, selon leurs besoins, peuvent venir en consultation une seule fois pour s’informer ou très régulièrement tout au long de leur grossesse. Cette mise à disposition a pour but d’aider un maximum de femmes sans que ces dernières ne connaissent de contraintes.
Comment se passent les premiers échanges ?
Le premier échange est très important et détaillé pour permettre de connaître la vie de la femme et ainsi élaborer un plan d’action le plus adapté possible. Je réalise le premier entretien seule avec la patiente, qui peut ainsi parler librement sans influence de son entourage. Ce premier échange me permet aussi de savoir ce qui pourra être partagé avec l’entourage si la femme vient accompagnée lors d’autres rendez-vous. Lorsque la femme revient pour un deuxième échange, je fais un retour sur les informations retenues ainsi que la consommation réelle notée dans un carnet par la patiente. Pour certaines, un traitement de substitution peut être alors proposé s’il ne l’a pas déjà été lors du premier rendez-vous.
Comment se sentent les femmes qui viennent pour la première fois ?
Elles se sentent, le plus souvent, coupables et honteuses. Elles savent qu’elles ont besoin d’aide. Elles ont aussi peur que leurs enfants leur soient retirés. Il est fréquent d’entendre des témoignages comme « J’étais morte de honte et de peur, je pensais empoisonner mon bébé » , ou encore « J’étais perdue car j’étais seule ».
Grossesse et addictions: “chaque prise en charge est unique”
Ce sentiment évolue-t-il rapidement ?
Elles savent qu’elles seront aidées et se sentent soulagées, apaisées et réassurées. L’une d’elles a résumé sa vision du CAPSA comme « une oasis dans le désert, une oasis où je sais que je peux venir m’abreuver quand j’en ai besoin ».
Comment prenez-vous en charge une femme n’ayant pas de domicile fixe ?
Il n’y a pas une prise en charge définie puisque chaque prise en charge est unique. Il faut alors essayer d’assurer le meilleur étayage possible, de constituer un réseau soutenant avec l’aide de la PMI. Il peut être parfois nécessaire d’accueillir en foyer la mère et l’enfant ou l’enfant seul pendant quelques temps.
Comment l’entourage accompagne-t-il la patiente dans cette démarche ?
Pour certaines femmes ayant un conjoint, il arrive que ce dernier soit aussi un consommateur. Le médecin essaie de le sensibiliser à l’intérêt d’arrêter sa consommation ou, au moins, de s’organiser de manière à éviter la moindre tentation à sa femme.
Quels avantages offre votre service ?
Le premier est de se situer au sein du CSAPA, ce qui facilite la continuité des soins et permet le recours à une équipe pluridisciplinaire : médecins, psychologues, infirmiers, assistantes sociales. Le service permet d’aider les femmes sur les deux plans, addiction et grossesse. La patiente garde toute liberté de quitter le service quand elle le souhaite sans l’obligation d’être suivie tout au long de sa grossesse. Ainsi une femme qui souhaite être suivie au début de sa grossesse pour être rassurée, peut, quand elle se sent prête, arrêter d’être suivie ou encore venir occasionnellement afin de se rassurer ou de s’informer pour appréhender au mieux sa grossesse. Lors de consultation, les patientes apprennent aussi à utiliser leur réseau personnel pour les accompagner dans leur grossesse, et même après. En effet, si elles le souhaitent, les femmes peuvent continuer à venir et être suivies après leur accouchement aussi longtemps qu’elles le désirent. C’est ainsi que j’ai pu voir certains bébés des toutes premières consultations grandir et devenir de jeunes enfants.
Existe-t-il des consultations similaires ailleurs qu’à l’hôpital de la Croix-Rousse ?
Il existe plus souvent des sages-femmes spécialisées en addictologie dans des maternités. Le CSAPA est de plus en plus sollicité par d’autres professionnels de l’addictologie, de la périnatalité et d’autres domaines pour les informer et enseigner. Cette évolution lui donne une dimension de pôle de compétence et de référence.
Propos recueillis par Nelly Morel
Retrouvez la liste de tous les spécialistes de la grossesse et des addictions sur www.conseil-national.medecin.fr
A SAVOIR
La consultation « addiction et grossesse » a été créée en mai 2012 au sein du Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA) de l’hôpital de la Croix-Rousse (Hospices Civils de Lyon). La consultation a accueilli 46 nouvelles patientes sur l’année 2017. Sur les 223 patientes accueillies entre mai 2012 et décembre 2017, 70% était enceintes, 15% désiraient un enfant et 15% venaient d’accoucher.