
De la haute finance au tour de France… à pied. Léa Vigier, diagnostiquée bipolaire à 30 ans, a tout lâché pour reconstruire sa vie et, surtout, transmettre un message d’espoir à tous ceux, nombreux, qui souffrent de cette maladie méconnue, caractérisée par de lourdes altérations de l’humeur terriblement handicapantes. “J’suis bipolaire, tu m’invites ?” La jeune femme sillonne jusqu’au 7 juillet les grandes villes du pays et multiplie les rencontres impromptues, avec un objectif : briser les tabous et contribuer à faciliter le diagnostic, clé de voûte du rétablissement.
Léa est bipolaire. Ni folle, ni schizophrène, ni lunatique, mais bipolaire. Une maladie méconnue, propice aux préjugés, mais qui touche pourtant 1 à 2,5% de la population française, soit au moins 1,6 million de Français, selon la Haute Autorité de Santé.

C’est ce paradoxe qui a conduit Léa Vigier à prendre la route, du 27 juin au 7 juillet, avec un objectif : balayer les idées reçues. « Venir parler de la maladie est ma mission de vie. Je veux casser les tabous, délier les paroles. Dans 9 cas sur 10, on me répond que les bipolaires sont des gens lunatiques, des personnes parfois méchantes, parfois gentilles, des schizophrènes… »
La jeune femme, directrice financière dans une autre vie, a parcouru les villes de France avec une pancarte, sur laquelle est inscrit “j’suis bipolaire, tu m’invites ?”, sans annoncer son tracé : « rien n’est organisé. Je ne rencontre que des inconnus au hasard, pas des gens qui connaissent ma démarche, car cela biaise l’expérience. Si les gens sont déjà sensibilisés, cela fonctionne moins ».
« J’inspire ceux qui souhaitent transformer leurs défis en forces »
Ce tour de France, sorte de Pékin Express de la bipolarité, fera l’objet d’un documentaire, mêlant la propre histoire de Léa, ses aventures sur la route et, surtout, ses rencontres. Pour faire vivre, au-delà du road-trip, la sensibilisation. Autre objectif, collecter 100 000€ pour l’association HopeStage, qui œuvre pour aider les bipolaires à maîtriser leur maladie à travers un programme de psychoéducation dédié.
« J’allie quelque chose que j’adore, qui est la rencontre d’inconnus et me débrouiller sans argent, à une cause qui m’est chère, pour la faire avancer », explique celle qui a traversé l’Europe l’an dernier avec un seul euro en poche.

Diagnostiquée à 30 ans, Léa a tiré un trait sur sa vie d’avant, et notamment une carrière brillante que la maladie est venue ruiner. Elle se consacre aujourd’hui, entre conférences et défis, à la prévention de la bipolarité, en espérant que son exemple permettra à d’autres malades de sortir du brouillard qui englue leur quotidien.
« Face au diagnostic, les médecins m’ont conseillé une vie stable et routinière. Pourtant, j’ai choisi une autre voie : celle de l’exploration et des extrêmes. Aujourd’hui, j’inspire ceux qui souhaitent transformer leurs défis en forces ». Un crédo qui l’a menée au sommet du Pic Lénine, un 7000 situé à la frontière du Tadjikistan et du Kirghizstan, et sur les routes caniculaires de France, en ce début du mois de juillet… Rencontre.
Témoignage : « la bipolarité, on l’a dans les gènes »
Comment devient-on bipolaire ?
Cette maladie, on l’a dans les gènes, et on est susceptible de la déclarer un jour. Cela n’a pas été le cas de mes parents, ni de mon frère ou de ma sœur. Mais mon grand-père maternel et ma grand-mère paternelle, sans lien entre eux, ont régulièrement fait des séjours en hôpital psychiatrique. À l’époque, le mot bipolarité n’existait pas. Mais il y avait clairement un terrain héréditaire favorable.
Existe-t-il des éléments déclencheurs de la bipolarité ?
Quand j’étais ado, je buvais de l’alcool en excès. C’est l’un des facteurs connus de la maladie, avec la prise de marijuana, que je ne consommais pas, en revanche.
Et puis il s’est produit quelque chose de grave, lorsque j’avais 23 ans. J’étais partie dans la jungle en Équateur sur les traces d’un explorateur, en autosuffisance. Une énorme tempête m’a bloquée sans boire ni manger durant des jours. J’ai fait des hallucinations et j’ai cru que j’allais mourir. C’est à partir de ce traumatisme que j’ai déclenché la maladie et que je suis entrée dans cette phase de très gros hauts et de très gros bas.
Quels ont été les signaux qui vous ont alerté ?
Lors des périodes de haut, je ressentais une forte exaltation, une hyperactivité cérébrale, une impossibilité de voir les risques, une forte estime de moi. À contrario, durant les périodes de bas, je n’avais plus aucune énergie, mon cerveau ne fonctionnait plus, je me détestais, je n’avais plus goût à la vie et j’avais envie de mourir.
Ces signaux sont très difficiles à percevoir, d’autant que je n’avais eu aucun signe avant-coureur dans l’enfance ou à l’adolescence.
Durant les hauts, je ne réalisais pas que cet état n’était pas normal. Je pensais que c’était la vraie moi, la super moi, qu’il n’y avait donc pas de problème et que je pouvais annuler mes rendez-vous chez le psy. C’est clairement ce qui explique pourquoi, en moyenne, le délai de diagnostic de la bipolarité est de 9 ans.
Pour ma part, c’est une de mes meilleures amies, qui est médecin, qui m’a indiqué au bout de 5 ans qu’elle trouvait ces écarts excessifs. J’en ai parlé à mon psychiatre et j’ai finalement eu un diagnostic et un bon traitement il y a un an.
« Je me suis fortement abimée pendant toutes ces années »
Cette errance de diagnostic, ces hauts et ces bas, vous ont-ils freiné dans la vie ?
Plus que cela. La bipolarité est considérée comme le sixième handicap mondial. Être en surtension dans les hauts et dégommé dans les bas détruit le corps et le cerveau. Cela m’a mise dans des positions compliquées au niveau de mes relations, de mon travail : cela a clairement nuit à mon estime de moi, à ma confiance en moi. Je me suis fortement abimée pendant toutes ces années : il était impossible de construire quoi que ce soit durant cette période.
Quand tu es dans les hauts, tu te lances dans mille projets, dans des nouvelles relations…. Et progressivement tu détruis tout et tu finis dans le noir à te battre pour ne pas te suicider. Du coup tu ne construis rien dans ta vie. C’est très impactant, pour le malade comme pour son entourage. La plupart des malades que je rencontre, d’ailleurs, témoignent d’une grande solitude.
Quel a été l’impact sur votre carrière professionnelle ?
J’ai toujours été première de classe, j’ai fait de grosses études : six ans dans la finance, major de promo à Dauphine, avant d’enchaîner avec un master grande école à l’Essec… J’étais capable de tenir sur la longueur, de manière intense.
En revanche, après le déclenchement de ma bipolarité, le boulot a subi ces hauts et ces bas : je me lançais dans des projets ultra ambitieux, en montant des boîtes ou en occupant des postes de direction. Je bossais comme une acharnée, je faisais des choses énormes, jusqu’à ce que j’aille trop loin, que je sois trop ambitieuse, que je dépense tout l’argent de la boîte et que cela soit la catastrophe, qu’on me remette tout sur moi, que je tombe en dépression et que je doive partir. J’ai enchaîné ce cercle vicieux plusieurs fois.
Et sur votre vie sentimentale ?
Je suis plutôt bien arrivée à gérer sur le plan de la famille et des amis. Je suis parvenue à garder tout le monde, malgré les hauts et les bas. En revanche, impossible de construire quoi que ce soit au niveau sentimental : je tombais follement amoureuse, je voulais me marier, et les bas arrivaient, et c’était la ‘’cata’’.
« Il est impossible d’être guéri : on parle plutôt de rétablissement »
Votre traitement vous aide-t-il aujourd’hui à vivre mieux ?
Tout ce que j’ai mis en place depuis mon diagnostic a littéralement changé ma vie. Je suis passée d’un mode survie, à une vie tout à fait normale. C’est tout à fait incroyable. Je prends un thymorégulateur, un médicament qui permet de réguler les humeurs et de ne pas partir dans les hauts ou dans les bas.
Ce traitement diffère des antidépresseurs, trop fréquemment prescrits aux bipolaires mal diagnostiqués en dépression, ce qui correspond à 60% des bipolaires ! Car les antidépresseurs, en nous entraînant vers les hauts, accentuent nos cycles, et donc la maladie, au lieu de la guérir. Le thymorégulateur, lui, empêche d’aller vers les hauts, qui souvent sont les déclencheurs des bas. C’est bien parce tu es épuisé, que tu t’es mis dans situations compliquées, que tu surstimules ton cerveau avec mille projets en même temps, que ton corps finit par te lâcher et que tu tombes très bas.
C’est un mécanisme qu’il faut apprendre à maîtriser, donc ?
Tout à fait. J’ai des rendez-vous toutes les semaines avec ma psychiatre, qui est aussi thérapeute en thérapie cognitivo-comportementale. Cette TCC a été essentielle pour moi, elle m’a aidée à comprendre mes comportements et dans quelles conditions j’allais vers les hauts et les bas.
Pour y parvenir, j’ai aussi suivi la formation de l’association HopeStage, pour laquelle j’effectue une collecte lors de mon tour de France. Cette association a développé avec des psychiatres une formation en psychoéducation sur la bipolarité, pour permettre aux malades de devenir experts de leur maladie, de réussir à mieux la comprendre, de détecter les premiers signes, les plans d’action à mettre en place. Cette psychoéducation permet de diminuer de 80% le risque d’hospitalisation et de 50% le risque de rechute lors d’une crise. Permettre aux gens d’être formés change leur vie.
Est-il possible de ne plus être bipolaire ?
Selon les médecins, non. Il est impossible d’être guéri. On parle plutôt de rétablissement, lorsque l’on est stable et que l’on n’a plus de crise depuis un an. On ne peut en guérir, et c’est la raison pour laquelle cette maladie est classée comme l’une des maladies les plus handicapantes au monde, et aussi l’une des plus mortelles, avec 50% de tentatives de suicide. C’est une bataille de tous les jours, et si tu lâches, cela ne pardonne pas.
Personnellement, j’ai décidé de penser que c’était guérissable. Cela me donne dix fois plus de force pour me sentir mieux. Je conserve cet espoir, plutôt que de me dire que je suis coincée avec toute ma vie.
Bipolaire : « si tu comprends la maladie, tu n’en as plus peur »
Malgré cela, vous êtes parvenue à entamer une nouvelle vie ?
Oui. Je la ressens tout le temps, ma maladie. Elle n’est pas partie. Je dois adapter mes journées, mes réactions, mes rencontres pour me sentir stable. La différence, aujourd’hui, c’est que je sais comment vivre avec : je peux donc construire des projets, établir des relations saines et stables. La construction est possible.
Ce qui est fort, c’est de pouvoir voir à long terme. Avant, je n’avais qu’une vision à deux jours, très ‘’court-termiste’’. Cela change la vie : elle est plus sereine, apaisée et épanouie.
Quel message colportez-vous lors de vos rencontres durant ce tour de France ?
Les gens ne connaissent pas la bipolarité, qui touche pourtant tout le monde. Ils ne savent pas qu’il s’agit d’une variation de l’énergie et de l’humeur, avec des haut où tu vois tout en rose, où tu as une énergie de dingue, et des bas où tu vois tout en noir, avec pour seule envie celle de mourir. Ce qui est très paradoxal, c’est que la plupart des gens avec qui je discute me disent, après coup, qu’il y a quelqu’un autour d’eux qui est touché.
Ce message, je le transmets aussi avec mon propre visage, car je n’ai pas l’air folle. Et effectivement, non, je ne suis pas folle ! Il faut effacer cette image de « malade mental = fou ». Je ne pense pas répondre à l’image que l’on se fait d’un malade mental. C’est souvent l’ignorance qui mène à la peur. Si tu comprends la maladie, tu n’en as plus peur.
À SAVOIR
La bipolarité, autrefois appelée psychose maniaco-dépressive, est un trouble psychiatrique connu depuis l’Antiquité. Hippocrate évoquait déjà des troubles de l’humeur oscillant entre mélancolie et manie. Au XIXe siècle, les psychiatres français Jean-Pierre Falret et Jules Baillarger ont chacun décrit des formes de troubles cycliques de l’humeur, posant les bases de la définition moderne. Le terme de trouble bipolaire n’a été adopté qu’à partir des années 1980, avec l’évolution des classifications psychiatriques internationales, pour mieux refléter l’alternance entre épisodes maniaques (ou hypomaniaques) et dépressifs.








Et le tabou déclencheur? Un toxiique, un poison, un soi disant oinj?