Une pharmacie qui montre l'ampleur de la pénurie de médicaments dans leur pharmacie.
En 2023, 95 % des pharmaciens hospitaliers européens ont signalé des pénuries de médicaments selon l'EAHP. © Adobe Stock

Un rapport de la Cour des comptes européenne alerte : jamais l’Europe n’avait connu autant de ruptures d’approvisionnement en médicaments essentiels. Entre dépendance aux importations, manque de coordination entre États et pouvoirs limités de Bruxelles, le problème prend une ampleur inédite.

Antibiotiques, anticancéreux, traitements cardiaques, vaccins… Depuis plusieurs années, les pénuries de médicaments ne cessent de s’aggraver dans l’Union européenne. Mais selon le rapport spécial publié le 17 septembre 2025 par la Cour des comptes européenne (CCE), la situation a atteint un niveau record.

Entre janvier 2022 et octobre 2024, pas moins de 136 médicaments critiques ont été signalés en rupture par les États membres à l’Agence européenne des médicaments (EMA).

Cette réalité touche directement les patients, les soignants et les systèmes de santé déjà sous tension.

Pourquoi une telle flambée des pénuries ?

Les experts identifient plusieurs facteurs qui se conjuguent :

  • Chaînes d’approvisionnement fragiles et dépendance extérieure : plus de 70 % des ingrédients pharmaceutiques actifs utilisés dans l’UE proviennent de Chine et d’Inde, selon l’EMA. Dès qu’un maillon de cette chaîne mondiale se grippe (retards logistiques, problèmes de qualité, restrictions d’exportation), l’Europe se retrouve vulnérable.
  • Pressions économiques et choix industriels : certains laboratoires retirent volontairement des produits jugés « peu rentables » du marché européen. La concentration de la production sur quelques sites rend également le système plus exposé.
  • Fluctuations de la demande : l’hiver 2022-2023, une épidémie précoce de bronchiolite et de grippe avait déjà provoqué une rupture massive d’antibiotiques pédiatriques et de paracétamol en sirop. Ces pics de consommation déstabilisent encore les stocks.
  • Manque de stocks stratégiques coordonnés : plusieurs pays imposent aux industriels de constituer des réserves, mais sans coordination européenne, ce qui peut accentuer les déséquilibres entre voisins.

Les États membres inégalement touchés

Selon une enquête de La Libre Belgique publiée le 19 septembre 2025, la Belgique figure parmi les pays les plus sévèrement touchés par les pénuries. La France, de son côté, connaît régulièrement des tensions sur plusieurs centaines de références. L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a recensé 4 925 signalements en 2023 (dont 988 ruptures effectives et 3 892 risques de rupture), soit 31 % de plus qu’en 2022 (3 761 signalements).

En pharmacie de ville, ce sont surtout les médicaments du quotidien qui manquent : 

Dans les hôpitaux, les oncologues et anesthésistes témoignent de difficultés croissantes à obtenir certains produits vitaux.

Pour les malades, la rupture d’un traitement peut signifier un retard de prise en charge, un remplacement par un médicament moins efficace ou aux effets secondaires plus lourds. Dans certains cas, cela peut même mettre la vie en danger.

Pour les médecins et pharmaciens, la gestion de ces ruptures est devenue un casse-tête quotidien : rechercher des alternatives, adapter les prescriptions, rassurer les patients, parfois en urgence.

Pour les systèmes de santé, les coûts explosent. Les alternatives sont souvent plus chères, et la désorganisation génère une perte de temps médical considérable.

Une Europe en retard dans sa réponse

La Cour des comptes européenne ne mâche pas ses mots : la gestion des pénuries reste largement improvisée et fragmentée.

  • L’EMA ne dispose que de pouvoirs limités en dehors des crises sanitaires majeures.
  • Les procédures de notification varient d’un pays à l’autre : certains imposent des délais stricts aux industriels, d’autres beaucoup moins.
  • Les mesures nationales, comme l’obligation de stocks de sécurité, risquent d’aggraver les pénuries ailleurs si elles ne sont pas coordonnées.

Pénurie de médicament : quelles solutions sur la table ?

Face à cette crise, plusieurs pistes émergent :

  1. Un « Critical Medicines Act » européen : la Commission européenne prépare une législation pour renforcer les obligations des industriels, améliorer la transparence et soutenir la relocalisation de la production.
  2. Une plateforme européenne de surveillance : l’European Shortages Monitoring Platform, en cours de déploiement, doit centraliser en temps réel les signalements de pénurie et permettre une réaction plus rapide.
  3. Relocaliser et diversifier la production : plusieurs États, dont la France, plaident pour relancer la production d’ingrédients pharmaceutiques actifs en Europe, avec des financements publics à l’appui.
  4. Mieux informer les soignants et les patients : les autorités sanitaires insistent sur la nécessité de communiquer plus vite et plus clairement sur les alternatives disponibles.

Au-delà des chiffres, cette crise met en lumière une question fondamentale : la dépendance de l’Europe pour ses médicaments essentiels. Après la pandémie de Covid-19 et ses tensions sur les vaccins, les pénuries actuelles rappellent à quel point la santé publique reste liée à des choix industriels et géopolitiques.

Comme le souligne la Cour des comptes européenne, « les patients européens paient aujourd’hui le prix d’un manque d’anticipation collective ». La balle est désormais dans le camp des institutions et des gouvernements pour transformer ces constats en réformes concrètes.

À SAVOIR

En France, les laboratoires doivent constituer des stocks de sécurité d’au moins deux mois pour les médicaments essentiels, obligation portée à quatre mois pour certaines molécules critiques depuis 2021 selon l’ANSM.

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Marie Briel
Journaliste Ma Santé. Après un début de carrière en communication, Marie s’est tournée vers sa véritable voie, le journalisme. Au sein du groupe Ma Santé, elle se spécialise dans le domaine de l'information médicale pour rendre le jargon de la santé (parfois complexe) accessible à tous.

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