Le 17 mars 2020, les habitants d’Auvergne-Rhône-Alpes découvraient les affres du confinement. Membre du conseil scientifique à l’époque, aujourd’hui associé au CoVARS (Comité de Veille et d’Anticipation des Risques Sanitaires) et président du Biocluster sur l’innovation en maladies infectieuses, le Pr Bruno Lina revient sur cette période sombre et évoque le spectre de nouvelles pandémies, notamment d’origine animales.
Cinq ans. Cinq ans déjà que la France s’avançait en terre inconnue, pénétrant brutalement dans un long tunnel à l’issue incertaine. Cinq ans que l’on découvrait les vicissitudes du confinement, les restrictions de circulation, les attestations de déplacement, le port du masque obligatoire, les gestes barrières, les centres de vaccination, les concerts de casseroles et autres mesures arbitraires destinées à ralentir l’avancée d’une pandémie inédite.

17 mars 2020. Cinq ans après le premier confinement, la vie a repris son cours et les souvenirs de cette sombre période se sont progressivement dissipés. Même si certaines séquelles demeurent bien vivaces, tant sur le plan psychologique qu’au niveau économique, au point de percevoir aujourd’hui cet épisode épidémique comme un marqueur temporel. Car dans l’imagerie populaire, il y a bien un avant et un après Covid.
Le Pr Bruno Lina, infectiologue aux Hospices Civils de Lyon, était en première ligne de l’épidémie. Personnage incontournable de la crise Covid, il a tout vécu, jusqu’à intégrer dès sa fondation par le ministre de la Santé de l’époque, Olivier Véran, le conseil scientifique de 11 membres chargé d’apporter son expertise aux décisions publiques pour contrer la pandémie de Covid-19.
Il revient aujourd’hui sur cette période aussi trouble qu’intense, et sur la nécessité d’anticiper les nouvelles épidémies qui, selon lui, ne manqueront pas de toucher la planète.
Les leçons d’une crise sanitaire mondiale
Cinq ans après le premier confinement, quels sont les enseignements à tirer de la première grande pandémie du XXIe siècle ?
Les enseignements sont nombreux. D’une part, on s’est aperçu que le scénario du pire, en l’occurrence une émergence virale provenant du réservoir animal, pouvait se produire… et risque même de se reproduire. On a vu aussi que dans un contexte de mondialisation et de multiplication des transports aériens, des épidémies auparavant limitées à une région du globe pouvaient prendre rapidement une dimension planétaire et, en quelques mois, devenir un enjeu de santé mondial.
Avec du recul, avez-vous des regrets ?
Des regrets, non. Je n’ai pas non plus le sentiment qu’il y a eu d’erreurs manifestes, plutôt de l’approximation dans cette période inédite car on a appris au fur et à mesure de l’avancée de la pandémie. Notre système n’était pas suffisamment préparé pour y faire face. D’autres pays l’ont mieux géré que nous. Je pense notamment à la Corée qui disposait de capacités de dépistage et de prise en charge des patients bien supérieures au début de l’épidémie.
Pourquoi ?
Parce que les Coréens ont une culture du port du masque depuis longtemps et ils avaient l’expérience de l’émergence du SARS, en 2003. Ils avaient retenu les leçons de leurs erreurs. Nous, nous avions un système organisationnel cohérent mais sous-dimensionné par rapport aux moyens diagnostics et de prise en charge de cas sévères. Résultat, en moins d’un mois, le système sanitaire s’est trouvé dépassé par les événements. Il a fallu aussi inculquer les gestes barrières, apprendre l’utilisation des masques, assurer la protection des personnels soignants, les sensibiliser aux risques du virus respiratoire.
Aujourd’hui, quelle est votre intime conviction sur l’origine de la pandémie ?
Il y a toujours deux hypothèses. Mais, selon moi, l’hypothèse de l’émergence du virus à partir d’un réservoir animal et d’une transmission à l’homme sur le marché d’animaux vivants de Wuhan, sans doute via des chiens vivants infectés, est la plus plausible. Ce scénario illustre la menace de zoonose à partir de la faune animale. On le voir actuellement avec le H5N1, un virus qui n’a pas été fabriqué en laboratoire mais dont l’agent pathogène circule dans la faune animale avec un risque de contamination à l’homme. Pour autant, il faut aussi rester vigilant face aux activités des laboratoires de haut confinement qui travaillent sur des virus à fort potentiel pandémique.
Nouvelles menaces : entre vigilance et incertitudes
Vous avez évoqué le H5N1, nom scientifique de la grippe aviaire. Est-ce la prochaine pandémie ?
Je ne sais pas… A ce jour, on constate une très forte contamination des oiseaux sauvages aux Etats-Unis, avec un virus capable de contaminer rapidement les animaux d’élevage et autres mammifères terrestres, notamment les vaches laitières, mais aussi des chiens, des chats, des renards, des rats… Face à cette menace, les Américains ont déjà abattu plus de deux cents millions oiseaux d’élevage. Malgré tout, on a déjà répertorié près de 70 cas humains sans que l’on ne constate, à ce jour, de chaîne de transmission interhumaine. Cela limite les risques de pandémie, au moins à très court terme, car il faudrait plusieurs mutations sur plusieurs gènes. Mais ce risque existe, d’où l’importance de maîtriser l’épidémie de grippe aviaire avant que le virus ne s’adapte à l’homme.
Aujourd’hui, comment se traduit la contamination du H5N1 à l’homme ?
Il y a deux lignages de virus. Le premier, appelé B3.13, transmis par les vaches laitières, est responsable de conjonctivites virales banales et quelques signes d’infection modérée des voies respiratoires supérieures. Le deuxième lignage, le D1.1, plus préoccupant, est hébergé par les oiseaux sauvages. Dans plusieurs cas, il s’est traduit par des infections sévères des voies respiratoires basses, avec même un décès aux Etats-Unis.
Autre menace qui nous guette, une résurgence de l’épidémie de coronavirus. Est-ce un scénario plausible, voire probable ?
Non, il est peu vraisemblable. Tous les virus SARS-COV 2 qui circulent depuis deux ans sont issus d’Omicron, avec une forte transmissibilité mais avec un taux de mortalité très inférieur. Omicron a déjà subi seize mutations et une nouvelle mutation « reverse » qui rendrait le virus plus agressif est peu probable.
Vaccination et adaptation des politiques de santé publique
Vous êtes aussi à la tête du Centre national de référence des virus et des infections respiratoires aux HCL. Pourquoi l’épidémie de grippe a-t-elle été aussi virulente cette année ? Y a-t-il un lien avec la fin de l’épidémie de Covid ?
A priori, non, il n’y a pas de lien direct. Mais j’avoue ne pas avoir compris pourquoi cette épidémie avait eu un impact aussi important, d’autant que les virus étaient proches de ceux présents dans le vaccin. Une chose est sûre, les enfants scolarisés ont été le moteur de cette épidémie. Autre certitude, les trois virus (Ndlr : HN1, H3N2 et B) ont circulé simultanément, alors qu’habituellement, un virus est majoritaire, un autre minoritaire et un troisième de circule pas. Conséquence, l’épidémie a couvert tout le spectre des formes graves et dans toutes les tranches d’âges. Cela s’est traduit par un très haut recours à l’urgence hospitalière et un taux de mortalité assez élevé.
Cette mortalité est-elle de nature à relancer le débat sur l’obligation vaccinale, notamment pour les personnes âgées et fragiles ?
C’est aux politiques de répondre à cette question ! Une chose est sûre, les pays mieux vaccinés ont moins de cas de grippe, moins de formes sévères et donc moins de recours aux urgences. Le niveau de couverture vaccinale en France est faible, de 42 à 43% pour l’ensemble des personnes à risques, et autour de 50-55% pour les plus de 65 ans. C’est insuffisant et dommage car, pour ces populations, le fait de ne pas se faire vacciner, c’est une perte de chances et cela décuple le risque de tomber dans la dépendance, de manière au moins aussi importante qu’une fracture de hanche. Par ailleurs, selon une récente étude danoise, pour les sujets plus jeunes mais présentant une pathologie cardiaque et un risque d’infarctus du myocarde, la protection obtenue grâce à la vaccination contre la grippe est équivalente à l’arrêt du tabac.
Êtes-vous le même homme qu’il y a cinq ans ?
Non, j’ai cinq ans de plus ! Plus sérieusement, bien sûr que non. Pendant 28 mois, au sein du conseil scientifique Covid, j’ai été au cœur du réacteur par rapport aux réponses à apporter à la crise. Il a fallu apprendre, comprendre et réagir au fil de l’eau pour éclairer les politiques, les aider dans leurs prises de décisions et dans leur capacité à activer certains leviers, mais aussi lutter contre la multiplication des fake news. Cette période a été très particulière mais d’une richesse incroyable.
À SAVOIR
Vous souvenez-vous ? Si le premier cluster de Covid-19 a été détecté en Auvergne-Rhône-Alpes le 7 février 2020 aux Contamines-Monjoie, station de Haute-Savoie, il a fallu attendre le 16 mars pour que le président de la République, Emmanuel Macron, décrète le confinement national. En vigueur le lendemain à 12 heures, cette mesure de prévention inédite sera prolongée deux fois et perdurera jusqu’au 11 mai. Un second confinement, moins strict, interviendra du 30 octobre au 15 décembre 2020.