
À mi-chemin entre burn-out et bore-out, le brown-out gagne du terrain dans les entreprises françaises. Perte de sens, désengagement, souffrance silencieuse… Derrière ce terme encore méconnu, un enjeu majeur pour la santé des salariés et la performance des organisations.
Des tâches mécaniques, sans plus savoir à quoi elles servent… Voilà ce que les spécialistes appellent le brown-out. Une perte de sens dans le travail, parfois vécue comme une absurdité.
Le concept, popularisé en France à partir des travaux de l’anthropologue David Graeber, décrit cette fatigue psychologique qui n’est ni l’épuisement du burn-out, ni l’ennui du bore-out, mais une forme d’« extinction progressive de la lumière intérieure » face à des missions perçues comme vides de sens.
Brown out : un malaise contemporain
Un sentiment qui s’étend à vue d’oeil
Le phénomène, bien qu’encore peu reconnu officiellement, touche un nombre croissant de salariés. Selon une étude Deloitte publiée en 2017, 55 % des Français déclaraient déjà ne pas trouver de sens dans leur travail. Un chiffre confirmé par l’Observatoire de la Qualité de Vie au Travail (Malakoff Humanis, 2023), qui indique qu’un salarié sur deux évoque un désalignement entre ses valeurs et celles de son entreprise.
La DARES (Direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques) soulignait en 2022 que le désengagement professionnel concernait près de 37 % des actifs, un indicateur souvent corrélé à cette perte de sens.
Pourquoi en parle-t-on maintenant ?
Plusieurs facteurs expliquent cette montée en puissance :
- La bureaucratisation des tâches : reporting, process internes et réunions répétitives diluent parfois la finalité du travail.
- Le décalage entre valeurs personnelles et missions confiées : les jeunes générations notamment expriment un besoin accru de cohérence éthique.
- La digitalisation : si elle simplifie certains process, elle fragmente aussi les missions, rendant leur impact final moins visible.
- Le travail hybride : bénéfique pour l’équilibre vie pro/vie perso, il peut aussi accentuer le sentiment d’isolement et de déconnexion.
« Nous sommes dans une époque où la quête de sens est centrale, surtout depuis la crise sanitaire », analyse Marie Pezé, psychologue du travail et fondatrice du réseau Souffrance et travail.
Des conséquences lourdes
Le brown-out n’est pas anodin, il fragilise la santé mentale.
- Perte de motivation,
- anxiété,
- troubles du sommeil,
- sentiment de vide.
Tous ces symptômes peuvent s’installer et déboucher sur une véritable détresse psychologique. Pour l’entreprise, le coût est aussi réel : baisse de productivité, démotivation collective, turnover accru. Selon l’INRS, les risques psychosociaux coûtent plus de 3 milliards d’euros par an à la collectivité en France, en arrêts maladie et perte de productivité.
Peut-on prévenir le brown-out ?
Les solutions existent, à condition de reconnaître le problème.
- Clarifier le sens des missions : reconnecter chaque tâche à un objectif global.
- Favoriser l’autonomie et la reconnaissance : un salarié qui comprend son rôle et peut agir a moins de risque de sombrer.
- Former les managers : à détecter les signaux faibles et ouvrir le dialogue.
- Encourager la mobilité et la formation : permettre aux salariés en perte de sens d’évoluer vers d’autres fonctions.
À titre individuel, les experts conseillent de verbaliser le malaise auprès des supérieurs, de chercher du soutien (psychologue du travail, médecine du travail), voire de repenser son projet professionnel.
Le brown, un enjeu sociétal
Au-delà des entreprises, c’est la société entière qui est concernée. Une population active désabusée nourrit la défiance, le repli et le désengagement citoyen. « Le travail reste un pilier identitaire majeur en France. Quand il perd son sens, c’est le lien social qui se fragilise », rappelle l’ANACT (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail) dans un rapport de 2023.
Encore peu reconnu officiellement, le brown-out s’impose pourtant comme l’un des grands défis du monde professionnel. Il oblige entreprises et institutions à repenser la place du travail, à redonner du sens, à simplifier et à reconnecter. Car si l’énergie des salariés s’éteint, ce n’est pas seulement une affaire individuelle : c’est la vitalité économique et sociale du pays qui vacille.
À SAVOIR
En France, selon le Baromètre Qualité de Vie et Conditions de Travail (QVCT) 2024, mené par Qualisocial en partenariat avec Ipsos auprès de 3 000 salariés, 53 % des employés se disent désengagés et 67 % vont au travail “mécaniquement ou à reculons”.







