Face à l’épidémie de grippe qui sévit actuellement en France, 87 hôpitaux, dont une vingtaine en Auvergne-Rhône-Alpes, ont déclenché le “plan blanc”, une mesure d’urgence exceptionnelle. Cette mesure, souvent réservée aux crises majeures, suscite aujourd’hui des interrogations. En effet, bien que les services hospitaliers enregistrent une forte augmentation des admissions liées à la grippe, les données épidémiologiques montrent que cette vague reste globalement dans les normes saisonnières. Alors, cette décision était-elle réellement nécessaire ? On fait le point.
Depuis décembre 2024, la France fait face à une vague de grippe intense. Selon l’Agence Régionale de Santé (ARS) Auvergne-Alpes-Alpes, les cas ont augmenté de manière significative ces dernières semaines dans cette région, l’une des plus touchées du pays.
Les services d’urgences enregistrent un afflux massif, avec une hausse de 30 % des consultations pour des symptômes grippaux par rapport à l’année précédente. Les tranches d’âge les plus touchées sont les enfants et les personnes âgées, ces dernières représentant près de 60 % des hospitalisations liées à la grippe dans la région. Face à cette recrudescence, 87 hôpitaux ont activé le plan blanc à travers tout le pays.
Mais, bien que cette augmentation soit notable, les épidémies saisonnières de grippe sont fréquentes et reviennent chaque hiver. En comparaison, l’épisode actuel n’a pas encore atteint les niveaux de gravité de 2017, où près de 14 000 décès avaient été attribués à la grippe en France.
En Auvergne-Rhône-Alpes, les Hospices Civils de Lyon (HCL), le groupement hospitalier le plus important de la région, n’ont pas activé le plan blanc, tout en adoptant des mesures préventives dès la fin du mois de décembre. Un choix qui pose la question de la pertinence, si tôt dans l’épidémie, de l’activation de tels dispositifs consommateurs de personnels qui pourraient faire défaut dans les prochaines semaines.
Qu’est-ce que le plan blanc ?
Le plan blanc est un dispositif de crise conçu pour mobiliser rapidement des ressources hospitalières face à des situations d’urgence majeures : attentats, catastrophes naturelles, ou pandémies. Il permet notamment :
- Le rappel des personnels soignants, souvent sur leur temps de repos.
- L’ouverture de lits supplémentaires, même au-delà des capacités habituelles.
- Une réorganisation des soins, en suspendant parfois les activités non urgentes.
Dans le cas actuel de la grippe saisonnière, cette mesure a été mise en œuvre dans plusieurs régions pour gérer un afflux de patients. Cependant, la grippe est une épidémie récurrente et prévisible. Alors, pourquoi activer une mesure conçue pour des situations exceptionnelles ?
Une épidémie dans la norme
Les données publiées par Santé Publique France montrent que si l’épidémie de grippe est marquée, elle reste dans des niveaux classiques pour cette période de l’année. Les seuils épidémiques régionaux sont franchis, mais sans pic exceptionnel. Les admissions en réanimation et les taux de mortalité demeurent comparables aux années précédentes.
Jérémy Beurel, secrétaire adjoint FO du CHU de Nantes, critique cette décision qu’il considère comme une réponse à un manque chronique de moyens. Il explique au micro de BFM : “On peut parler de l’épidémie de grippe, mais on peut surtout évoquer le fait que, depuis des années, on a de moins en moins de lits dans les hôpitaux, de moins en moins de personnel, et que, du coup, dès qu’on va avoir un pic d’affluence, on n’est plus en mesure de l’absorber convenablement, contrairement à il y a quelques années”.
Une mesure prématurée
Des risques immédiats pour le personnel soignant
Le déclenchement du plan blanc met une pression importante sur les équipes déjà fragilisées. Après des années marquées par le COVID-19, les soignants continuent de subir une charge de travail accrue, aggravée par des recrutements insuffisants.
- Le rappel des équipes sur leur temps de repos augmente le risque d’épuisement professionnel.
- Une mobilisation prématurée des ressources pourrait compromettre leur disponibilité face à une crise réellement majeure dans les semaines à venir.
Une banalisation d’un outil stratégique
Le recours régulier au plan blanc, pour des situations prévisibles comme la grippe, risque également de banaliser une mesure exceptionnelle.
À terme, cela pourrait réduire sa réactivité en cas de crises réellement graves, telles qu’une pandémie ou une catastrophe imprévue.
Une décision révélatrice de défaillances structurelles
Une pénurie de moyens
Les critiques émanant des syndicats et de certains experts ne portent pas seulement sur la légitimité du plan blanc. Elles dénoncent une crise plus profonde.
Depuis 2013, la France a perdu près de 80 000 lits hospitaliers selon la DREES, malgré une augmentation des besoins liée au vieillissement de la population. Le manque chronique de personnel accentue encore ces difficultés. Sud Santé dénonce une gestion hospitalière “au bord du gouffre”, où chaque pic épidémique suffit à paralyser le système.
Un “pansement” sur des problèmes structurels
L’activation du plan blanc apparaît comme une solution temporaire, masquant l’incapacité structurelle du système à répondre aux besoins de santé publique de manière pérenne.
Selon les experts, il serait plus judicieux de renforcer les capacités hospitalières et de prévenir les crises, plutôt que d’y réagir systématiquement.
Alors, le plan blanc, un choix justifié ?
La pertinence du déclenchement du plan blanc pour l’épidémie actuelle de grippe dépend largement des priorités et des objectifs à court et long termes. Face à un afflux de patients saturant les urgences et les services hospitaliers, le plan blanc s’avère un outil efficace pour éviter des drames immédiats. Il permet :
- d’augmenter la capacité d’accueil grâce à l’ouverture de lits supplémentaires, même dans des services non dédiés.
- de mobiliser rapidement du personnel soignant, en rappelant les professionnels sur leur temps de repos.
- de prioriser les soins urgents en réorganisant les activités non essentielles.
Dans ce contexte, le plan blanc agit comme une bouée de sauvetage, empêchant un effondrement temporaire du système face à une crise localisée.
À SAVOIR
Quand consulter un médecin ? Face à la saturation des hôpitaux, il faut réserver les urgences aux cas graves. Ainsi, ne vous rendez au urgences qu’en cas de fièvres persistantes, de difficultés respiratoires ou de somnolence ou confusion anormale. Pour les symptômes plus légers (toux, maux de gorge, fatigue), une consultation auprès de votre médecin traitant ou d’une pharmacie peut suffire.