Il y a ceux qui trouvent le silence apaisant, et ceux pour qui il est anxiogène. Pour ces derniers, un bruit blanc, une musique, une vidéo, un film devient une condition sine qua non pour s’endormir. Loin d’être une “mauvaise habitude”, ce recours au bruit de fond révèle souvent un besoin psychique profond de sécurité.
Aujourd’hui, le silence est devenu un luxe rare. Dans nos villes, les bruits du quotidien ne s’arrêtent jamais : circulation, voisins, notifications, électroménager. Selon Bruitparif, plus de 3 millions de Français souffrent d’un sommeil perturbé par les nuisances sonores. Pourtant, un autre phénomène se développe en parallèle. De plus en plus de personnes choisissent volontairement de s’endormir avec du bruit.
Sur YouTube, les vidéos de “bruits de pluie”, de “vent doux” ou de “feu de cheminée” cumulent des millions de vues. Les applications de “bruit blanc” ou de “sons relaxants” sont téléchargées par millions. Et sur les plateformes de streaming, certains avouent ne pas pouvoir s’endormir sans un épisode de série en fond. Mais que cherche-t-on, exactement, en laissant tourner ces sons quand la nuit tombe ?
Le bruit de fond : un outil psychique bien plus qu’un simple confort
Dans la nuit, le silence est rarement mutisme. Il expose. Lorsqu’il n’y a plus de bruit autour, le cerveau devient plus conscient de lui-même. Les pensées se bousculent, les souvenirs affluent, les angoisses se réveillent. Le silence agit comme un miroir et renvoie à tout ce qu’on tente souvent d’éviter pendant la journée.
Loin d’être une lubie, ce besoin peut être compris comme une stratégie, une forme de régulateur émotionnel qui, nuit après nuit, protège l’esprit du vide ou de la suractivité interne. Il remplace le silence angoissant par une présence continue, rassurante. C’est un peu comme si le cerveau se disait : “Tout va bien, le monde ne s’est pas arrêté, tu peux dormir.”
Ce que la science nous apprend sur le besoin de bruit
Le bruit blanc aide-t-il vraiment à mieux dormir ?
Plusieurs travaux tentent de mesurer l’impact du bruit constant (bruit blanc, rose, sons de nature) sur le sommeil. L’idée centrale est que le bruit stable “masquerait” les perturbations imprévues (voiture, voisin, craquement), réduisant les micro-réveils et facilitant la continuité du sommeil.
Pourtant, les résultats restent prudents. Une revue de 38 études portant sur le bruit blanc montre que, sur 17 d’entre elles mesurant la durée totale de sommeil, seules 4 observent une amélioration significative sous bruit blanc. En clair, l’effet n’est pas garanti pour tous.
Fond sonore : tous les bruits ne se valent pas
D’un côté, certaines études montrent qu’une exposition modérée à un “fond sonore neutre” favorise la détente. L’université de Chicago rapporte que le bruit blanc, à un volume modéré, bloque les signaux sonores parasites et invite le cerveau à relâcher sa vigilance. D’un autre côté, d’autres travaux soulignent que les méthodologies varient énormément selon les types de sons, la durée, l’intensité et les populations étudiées, ce qui rend difficile une prescription universelle.
Enfin, certains sons “colorés” (rose, marron) paraissent plus agréables au cerveau que le bruit blanc pur : des fréquences plus basses, moins linéaires, moins “agressives”, pourraient favoriser un sommeil profond plus stable.
Mais pourquoi certains ont besoin de son ?
Au cœur de la dépendance sonore : besoin de repos, peur du vide
La frontière entre confort et dépendance est fine. Pour certaines personnes, l’absence du bruit déclenche un malaise :
- difficulté à dormir,
- agitation,
- pensées intrusives.
Le cerveau finit par “exiger” cette présence comme un signal d’endormissement, une condition psychique et non plus seulement acoustique. Cette dynamique est particulièrement présente dans les profils sensibles ou anxieux, où le silence est perçu comme un espace d’exposition mentale. Un afflux de stimuli invisibles (pensées, bruits internes) qui dérangent. Le bruit stabilise, efface, rassure.
À l’autre extrémité, certaines conditions auditives comme l’hyperacousie, un trouble qui rend intolérables des sons normalement tolérables, peuvent rompre la relation simple au son. Pour une personne hyperacousique, le bruit est douloureux, mais le silence peut être oppressant ; c’est un entre-deux que le bruit “supportable” tente de négocier. On estime que l’hyperacousie touche environ 10 % de la population française, soit près de 4 millions de personnes. Dans ces cas, l’approche du bruit comme “allié nécessaire” devient encore plus subtile.
Les profils les plus concernés par ce besoin
Le besoin de bruit pour dormir ne touche pas tout le monde de la même façon. Il est particulièrement fréquent chez les personnes qui :
- souffrent de stress chronique ou d’anxiété ;
- ont une sensibilité sensorielle élevée (hypersensibles, hypervigilants) ;
- ont grandi dans un environnement sonore constant (télé allumée, bruits de famille, agitation) ;
- vivent seules et ressentent un besoin de présence ;
- ou traversent une période émotionnelle difficile.
Pour ces personnes, le bruit devient un repère. Il crée une impression de compagnie, de sécurité, d’habitude. Quand on dort seul, une voix en fond ou une musique douce peut remplacer la présence d’un autre, c’est un substitut émotionnel. C’est davantage un besoin de lien que de bruit.
Et le bruit de fond pour endormir les plus petits ?
Il n’est pas rare que les parents relaient cette pratique aux enfants et nourrissons. Une enquête attribue à 37 % des parents le fait que leur enfant ne s’endort que grâce à un bruit de fond. Certaines études montrent qu’un bruit blanc amène 80 % des bébés à s’endormir en quelques minutes dans un contexte clinique.
Mais le revers de la médaille est tangible. Une exposition prolongée à plus de 75 décibels pendant plusieurs heures nuit au système auditif des plus jeunes. En d’autres termes, ce qui endort peut aussi fragiliser. Les parents doivent donc choisir des volumes doux, limiter la durée, couper le bruit progressivement, et surveiller toute plainte auditive.
Comment réapprendre à dormir sans bruit ?
Si le bruit de fond est devenu indispensable, il est possible d’en sortir progressivement, sans brutalité. On peut commencer par baisser le volume chaque soir, puis par programmer une minuterie pour que le son s’arrête après 30 minutes. L’idée est de laisser le cerveau “oublier” peu à peu le réflexe sonore. On peut aussi remplacer le bruit constant par des sons plus naturels, plus doux : brise, feu de cheminée, mer calme. Ces bruits “organiques” sont perçus comme plus agréables et moins intrusifs que le bruit blanc pur.
Enfin, il est essentiel de préparer le corps au sommeil autrement :
- lire quelques pages,
- respirer profondément,
- éviter les écrans,
- se coucher à heure régulière.
Néanmoins, si l’angoisse est forte, une thérapie cognitivo-comportementale (TCC) peut aider à déconstruire l’obligation psychologique du bruit.
À SAVOIR
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), une exposition nocturne au bruit supérieure à 40 décibels peut déjà perturber le sommeil et augmenter le niveau de stress. Autrement dit, même un fond sonore trop fort, qu’il soit choisi ou subi, peut altérer la qualité du repos sur le long terme.








