Une jeune femme qui est tombée dans liège du culte de la maigreur relayé sur les réseaux sociaux comme TikTok.
62 % des jeunes ayant un TCA estiment que les réseaux sociaux ont contribué à aggraver leur trouble. © Freepik

Sur TikTok, le hashtag #SkinnyTok, désormais interdit, a propulsé des milliers de contenus glorifiant la maigreur extrême auprès d’un public souvent adolescent. Malgré les alertes des professionnels de santé et les mesures prises par la plateforme, ce phénomène continue d’inquiéter. Décryptage d’un retour inquiétant du culte de la miagreur.

Non, ce n’est pas un remake des années 2000, ni une réédition des forums « pro-ana » cachés dans les tréfonds du web. En 2025, le culte de la maigreur s’affiche au grand jour, en pleine lumière, sur TikTok. Avec une viralité fulgurante. Son nom ? #SkinnyTok. Un mot-clé comme une porte d’entrée vers un monde de vidéos qui banalisent les restrictions alimentaires extrêmes, glorifient les corps squelettiques et encouragent le jeûne à outrance.

Des slogans glaçants se répètent de vidéo en vidéo : « couche-toi en ayant faim », « tu n’es pas moche, tu es juste grosse », ou encore « la douleur est temporaire, la maigreur est éternelle ». Oui, ces phrases existent. Et elles sont vues des millions de fois par des jeunes en quête de repères.

Des chiffres qui font froid dans le dos

En avril 2025, on comptait plus de 500 000 contenus associés au hashtag #SkinnyTok. Et qui les regarde ? Principalement des adolescentes, entre 13 et 18 ans. Petit rappel utile, l’anorexie mentale est la pathologie psychiatrique la plus mortelle, avec une mortalité de 15 à 20 % sur 20 ans selon Inserm.

TikTok a bien tenté de réagir. Le hashtag a été interdit. Les recherches sont désormais redirigées vers des ressources de prévention, des messages de soutien ou des lignes d’écoute.

Mais le mal est fait. Et surtout, il circule toujours. Car les créateurs de contenus ont trouvé la parade : ils utilisent des hashtags codés, modifient les orthographes ou glissent leurs messages dans des vidéos de recettes “healthy”, de “vlogs de perte de poids” ou de “journaux de jeûne intermittent”.

SkinnyTok, héritier toxique des forums pro-ana

Si vous avez connu Internet avant 2010, cela vous rappellera peut-être quelque chose. À l’époque, les forums « pro-ana » faisaient déjà circuler des conseils dangereux pour perdre du poids à tout prix. Aujourd’hui, ces contenus sont visibles par tous, sans filtre, dans un format divertissant et addictif.

La tendance SkinnyTok, c’est donc le rebranding insidieux de l’anorexie. Avec une touche d’esthétique minimaliste, des vidéos bien montées, des musiques douces, et des jeunes femmes qui transforment leur trouble alimentaire en « lifestyle inspirationnel ». Résultat : l’algorithme de TikTok, friand d’interactions et de contenus similaires, nourrit la spirale. Plus vous regardez une vidéo de régime extrême, plus il vous en propose d’autres.

Une influenceuse, des milliers de suiveurs

L’une des figures emblématiques de ce mouvement s’appelle Liv Schmidt. Cette Américaine de 23 ans, récemment bannie de TikTok, avait réuni des milliers de jeunes filles dans sa communauté privée, la Skinni Society, où elle vendait des conseils alimentaires extrêmes, parfois payants.

Son éviction du réseau a été saluée… mais elle a tout simplement déplacé son audience sur d’autres plateformes. Le problème ne disparaît pas. Il se transforme.

Les pouvoirs publics entrent (enfin) en scène

Face à l’ampleur du phénomène, les autorités françaises ont décidé d’agir. En avril dernier, Clara Chappaz, ministre chargée du numérique, a saisi l’Arcom (ex-CSA) et la Commission européenne, demandant des comptes à TikTok et appelant à une vigilance renforcée sur les contenus toxiques pour les mineurs.

Ce dossier pourrait bien devenir un cas d’école dans l’application du Digital Services Act (DSA), cette nouvelle législation européenne qui impose aux plateformes de protéger leurs utilisateurs, notamment les plus jeunes, contre les contenus illégaux, haineux ou dangereux pour la santé.

Mais soyons lucides, même avec les meilleures lois du monde, la modération à 100 % n’existe pas. L’algorithme reste une boîte noire. Et les contenus toxiques s’adaptent plus vite que les régulateurs ne réagissent.

Des jeunes à accompagner, pas à blâmer

Il serait tentant de pointer du doigt les influenceurs, les réseaux, ou la génération TikTok. Mais le sujet est plus complexe. Les troubles du comportement alimentaire (TCA) sont des maladies psychiques, souvent liées à des douleurs profondes : manque de confiance en soi, pressions sociales, violences, harcèlement scolaire, perfectionnisme…

Depuis la pandémie de Covid-19, les TCA explosent. Le nombre d’hospitalisations pour anorexie a quadruplé chez les jeunes filles de 10 à 14 ans, selon les dernières données de la HAS.

Les professionnels de santé insistent : l’exposition aux contenus dangereux sur TikTok n’est pas la cause unique, mais un facteur aggravant puissant, surtout chez les adolescents en pleine construction identitaire.

  • Informer sans dramatiser : pour éviter que les contenus toxiques n’aient un effet de curiosité, il faut parler de la tendance, sans la glamoriser.
  • Éduquer aux réseaux sociaux : comprendre les mécaniques des algorithmes, apprendre à repérer les signaux d’alerte, développer un esprit critique.
  • Accompagner les jeunes et les parents : en cas de doute, consulter un professionnel de santé. Ne pas attendre que la situation empire. Des associations comme ANEB France ou le Fil Santé Jeunes (0800 235 236) offrent un premier soutien gratuit et anonyme.

Aussi, continuez de réguler, mais mieux. Au-delà des interdictions de hashtags, il faut renforcer la modération humaine, valoriser les contenus positifs, sanctionner les récidivistes, et obliger les plateformes à rendre leur algorithme plus transparent.

À SAVOIR

Le Digital Services Act (DSA) est entré en vigueur pour les grandes plateformes numériques depuis août 2023. Il impose des obligations claires de modération, sous peine d’amendes allant jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires mondial.

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Marie Briel
Journaliste Ma Santé. Après un début de carrière en communication, Marie s’est tournée vers sa véritable voie, le journalisme. Au sein du groupe Ma Santé, elle se spécialise dans le domaine de l'information médicale pour rendre le jargon de la santé (parfois complexe) accessible à tous.

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