L’air que respire un nouveau-né dès ses premiers instants pourrait influencer sa santé bien au-delà des premiers jours de vie. Une étude française menée par l’Inserm et l’Université Paris Cité révèle qu’une exposition à la pollution atmosphérique au moment de la naissance serait associée à un risque accru de leucémie chez l’enfant.
Quand un bébé vient au monde, on pense d’abord à son poids, à ses premiers cris, à la douceur du peau à peau. On oublie souvent l’air qu’il respire. Pourtant, c’est peut-être là que tout commence. Une équipe de chercheurs français s’est penchée sur cette question avec une approche inédite : mesurer la pollution de l’air autour du lieu de naissance et voir si cela influence, à long terme, le risque de développer une leucémie aiguë pendant l’enfance.
L’étude, baptisée GEOCAP-Birth, a analysé les données de 581 enfants atteints de leucémie aiguë lymphoblastique (LAL) et 136 atteints de leucémie aiguë myéloïde (LAM), nés et diagnostiqués entre 2010 et 2015. Ces cas ont été comparés à près de 12 000 enfants “témoins”, nés aux mêmes périodes mais sans cancer.
Pour chaque enfant, les chercheurs ont estimé l’exposition à différents polluants au domicile de naissance : dioxyde d’azote (NO₂), particules fines (PM₂,₅) et carbone suie (un marqueur du trafic routier et des chauffages à combustion).
Pollution de l’air : que risque-t-on vraiment ?
La pollution de l’air influence-t-elle le risque de leucémie infantile ?
Les chercheurs ont observé que plus l’air était chargé en particules fines (minuscules poussières appelées PM₂,₅, issues notamment du trafic routier ou du chauffage) plus le risque de leucémie augmentait légèrement chez les enfants nés dans ces zones.
Concrètement, lorsque la quantité de particules fines augmentait de seulement 2 microgrammes par mètre cube d’air, le risque de leucémie aiguë lymphoblastique (forme la plus fréquente chez l’enfant) progressait d’environ 14 %. Pour la leucémie myéloïde, plus rare, l’augmentation restait plus modeste, autour de 12 %. Autrement dit, il ne s’agit pas d’un risque massif, mais bien d’un signal significatif à l’échelle d’une population.
Le carbone suie, un composant des particules fines directement lié aux gaz d’échappement ou à certains chauffages, semblait jouer un rôle plus marqué dans les petites et moyennes villes. Dans ces zones, les enfants exposés à des concentrations élevées avaient un risque presque multiplié par deux de développer une leucémie.
À l’inverse, le fait d’habiter simplement près d’une grande route ne suffisait pas à expliquer le risque. Ce qui compte vraiment, selon les chercheurs, ce n’est pas la proximité d’une source de pollution, mais la qualité globale de l’air que l’on respire au quotidien.
Faut-il en déduire que la pollution “rend” malade ?
Les chercheurs, eux, restent prudents. Ils parlent d’association, pas de causalité directe. En clair, respirer un air pollué à la naissance n’entraîne pas automatiquement une maladie, mais augmente légèrement la probabilité qu’elle se développe, notamment chez les enfants déjà fragiles pour des raisons génétiques ou immunitaires.
La leucémie infantile est rare. En France, on recense environ 500 nouveaux cas chaque année, toutes formes confondues selon l’Inserm.
Même si la pollution augmente légèrement le risque, le risque absolu reste faible : la grande majorité des enfants exposés à un air pollué ne développeront jamais de leucémie. Mais à l’échelle d’une population entière, cette hausse relative peut représenter un signal de santé publique important.
Pollution : comment peut-elle nous rendre malade ?
Pourquoi la période de la naissance est-elle si critique ?
Le moment de la naissance correspond à une phase de grande vulnérabilité biologique. Le système immunitaire du nourrisson est encore immature ; sa moelle osseuse (là où naissent les cellules sanguines) se met à fonctionner à plein régime. Une exposition à certains polluants à ce stade pourrait, selon les chercheurs, favoriser des altérations cellulaires précoces, que l’organisme ne parvient pas toujours à corriger plus tard.
Cette hypothèse rejoint des observations faites dans d’autres domaines. Une étude canadienne publiée en 2024 dans JAMA Network Open montrait qu’une exposition prénatale aux particules fines riches en sulfates et ammonium pendant le deuxième et le troisième trimestre de grossesse était associée à un risque légèrement plus élevé de troubles du spectre autistique (TSA) chez l’enfant.
Autrement dit, certaines fenêtres de développement (grossesse, naissance, premiers mois) sont particulièrement sensibles aux agressions chimiques et atmosphériques.
Comment ces polluants agissent-ils sur l’organisme ?
Les mécanismes exacts sont encore étudiés, mais plusieurs pistes émergent. Les particules fines (PM₂,₅) et le carbone suie transportent à leur surface des composés toxiques : hydrocarbures aromatiques polycycliques, métaux lourds, oxydes d’azote. Une fois inhalées, ces particules pénètrent profondément dans les poumons, passent dans la circulation sanguine et peuvent induire des phénomènes d’inflammation et de stress oxydatif.
Chez un nouveau-né, ces processus pourraient altérer l’ADN des cellules souches de la moelle osseuse ou perturber leur différenciation, ouvrant la voie, des années plus tard, à des anomalies de croissance cellulaire typiques des leucémies.
C’est un scénario biologique plausible, mais qui demande encore à être démontré précisément, notamment sur la chronologie et les seuils d’exposition.
Entre prudence et action
Les auteurs du projet GEOCAP-Birth rappellent qu’il ne s’agit pas de pointer du doigt les parents, ni d’entretenir la peur. L’enjeu, c’est la prévention collective.
Les niveaux de pollution ont globalement baissé en France depuis une quinzaine d’années, mais certaines zones restent au-delà des recommandations de l’OMS (5 µg/m³ de PM₂,₅ en moyenne annuelle).
Améliorer la qualité de l’air profite aux bébés, aux enfants, mais aussi aux femmes enceintes et aux personnes âgées. L’Inserm plaide pour des politiques plus ambitieuses autour des zones résidentielles, écoles et maternités, afin de réduire l’exposition des plus jeunes.
À SAVOIR
La pollution de l’air est à l’origine d’environ 40 000 décès prématurés par an en France et contribue à l’apparition d’asthme, bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), cancers du poumon, maladies cardiovasculaires et diabète de type 2.








