En France, jamais il n’a été si facile de se faire dépister, se protéger, s’informer. Pourtant, les jeunes restent la tranche d’âge où les infections sexuellement transmissibles (IST) progressent le plus. Entre hausse des diagnostics de chlamydia, recrudescence de la gonorrhée, un VIH encore trop souvent découvert tardivement… Pourquoi les infections, alors que la prévention est partout, continuent-elles de grimper chez les moins de 25 ans ?
En France, tout semble en place pour protéger les jeunes des infections sexuellement transmissibles : dépistages rapides, préservatifs gratuits, campagnes dédiées, influenceurs mobilisés, accès facilité aux centres de santé sexuelle… Jamais la prévention n’a été aussi visible, aussi accessible, aussi simple.
Et pourtant, ce sont bien les moins de 25 ans qui voient aujourd’hui les IST progresser le plus. Chlamydia qui se diffuse largement, gonorrhée en recrudescence, VIH encore trop souvent repéré tardivement…
IST : quel bilan pour les jeunes en 2024 ?
Selon le dernier bilan de Santé publique France (2024), la dynamique est claire :
- Chlamydia : environ 61 100 diagnostics en 2024, avec une hausse marquée chez les 15–25 ans, particulièrement chez les femmes.
- Gonorrhée : environ 25 800 cas en 2024, en progression continue ces dernières années.
- Syphilis : près de 6 500 cas en 2024.
En parallèle, côté VIH :
- 8,5 millions de sérologies ont été réalisées en 2024.
- 5 100 nouvelles découvertes de séropositivité ont été enregistrées.
- Et un chiffre inquiète durablement les spécialistes : environ 43 % des diagnostics sont toujours faits à un stade tardif, un signe que beaucoup ignorent longtemps leur infection.
Rien à faire, la photographie sanitaire montre des jeunes fortement exposés. Et si l’on voit davantage d’infections grâce à la hausse du dépistage, l’ampleur des diagnostics traduit malgré tout une progression bien réelle.
Prévention : disponible, oui. Adoptée, pas toujours.
Sur le papier, tout est là :
- des préservatifs gratuits,
- des tests accessibles sans ordonnance,
- des centres de dépistage anonymes,
- des campagnes dans les universités,
- et même des influenceurs qui parlent sexualité de façon décomplexée.
Alors, où ça bloque ? Pour commencer, l’accès ne garantit pas l’usage. Une étude publiée en 2025 par Sida Info Service montre que 79 % des jeunes de moins de 25 ans ayant contacté la plateforme au sujet d’une IST n’avaient pas utilisé de préservatif lors du rapport en cause.
Ensuite, la prévention institutionnelle a parfois du mal à toucher une jeunesse aux codes mouvants. Les messages paraissent trop scolaires, l’information arrive trop tard, ou elle n’est pas intégrée aux pratiques du quotidien (applications de rencontres, sexualité numérique, contexte festif…).
La prévention existe. Mais elle n’est pas encore vécue comme un automatisme.
Le rapport au risque : une génération qui navigue différemment
Un VIH désamorcé dans l’imaginaire collectif
Pour beaucoup de jeunes, le VIH n’est plus ce spectre noir qui planait dans les années 80 et 90. Les images traumatiques ont disparu, remplacées par des traitements efficaces, des vies tout à fait normales, et des messages rassurants comme le désormais célèbre “Indétectable = Intransmissible”.
Tout cela, c’est évidemment un immense progrès. Mais cela a aussi transformé la perception du risque. Beaucoup de jeunes n’ont pas connu d’amis, de parents ou de proches touchés de près par la maladie. Ils n’ont pas en tête ces visages frappés par la souffrance, et tant mieux.
Le problème, c’est qu’une menace qui ne se voit plus a tendance à s’éroder dans les consciences. Le VIH devient un chapitre d’histoire, presque théorique, alors que la réalité demeure. L’infection existe toujours, les contaminations aussi, et les diagnostics tardifs restent un vrai problème sanitaire.
Une sexualité ultra-connectée, spontanée, et parfois improvisée
La manière d’entrer dans la sexualité a, elle aussi, changé. Les rencontres ne se font plus seulement au lycée, en soirée, ou par hasard, elles passent désormais par des applications, des DM, des stories, des algorithmes qui rapprochent les corps avant même qu’ils ne se voient.
Cette fluidité s’accompagne parfois d’une forme d’urgence du moment, d’un « on verra bien », d’une impulsion qui laisse le préservatif au fond du sac ou dans un tiroir trop loin.
La sexualité des jeunes est aussi plus précoce, plus variée, plus multi-située : en colocation, en soirée, chez quelqu’un rencontré il y a une heure… Autant de contextes où l’organisation cède la place à l’improvisation. Et dans l’improvisation, le préservatif perd souvent son statut de réflexe.
Le post-Covid : un retour brutal à la réalité
La crise sanitaire a également laissé son empreinte. Pendant deux ans, les consultations ont été annulées, les Cegidd ont tourné au ralenti, les priorités médicales étaient ailleurs. Les jeunes ont vécu une sexualité suspendue, rétrécie, parfois vécue en huis clos. Lorsque la vie sociale et sexuelle a repris, elle l’a fait sans transition. Fort, vite, parfois trop vite.
Des spécialistes parlent d’un effet rebond :
- des dépistages tardifs,
- des infections accumulées pendant la parenthèse Covid,
- et une reprise des rencontres plus rapide que la remise en place des réflexes de prévention.
Résultat, les diagnostics ont bondi, révélant à la fois ce qui se passait déjà avant, et ce qui a explosé après.
Quand la prévention ne s’intègre pas au quotidien
Les dispositifs de santé sexuelle restent pensés pour un jeune… que les jeunes ne reconnaissent pas toujours. Des centres fermés le week-end, des messages trop techniques, un système de soins qui intimide encore beaucoup d’adolescents et jeunes adultes.
Et puis la gêne. Aller se faire dépister implique de reconnaître un risque, un acte, une crainte… Ce qui n’est pas simple à 17 ou 21 ans.
La prévention fonctionne quand elle devient aussi naturelle que mettre sa ceinture ou se laver les mains. Pour l’instant, elle est encore vécue comme un « acte en plus ».
IST chez les jeunes : comment inverser la tendance ?
Sortir du discours technique : réinjecter de l’humain dans la prévention
Parler de sexualité à un jeune adulte avec des schémas, des slogans ou des injonctions, c’est comme tenter de raccrocher un fil téléphonique sur une prise USB, ça ne se connecte pas.
Ce qui fonctionne, ce qui touche, ce qui convainc, ce sont les récits humains. Les témoignages d’un pair, d’un ami, d’un influenceur qui raconte sans fard sa première IST, sa peur, son dépistage, son traitement. Ce sont des voix familières, des mots simples, un ton direct.
Les campagnes institutionnelles ne peuvent pas tout faire. Elles doivent s’appuyer sur ceux qui vivent la sexualité aujourd’hui : étudiants, apprentis, jeunes travailleurs, associations de campus, profils très suivis sur TikTok ou Instagram.
Aller vers les jeunes avant de leur demander de venir
Un dépistage à l’hôpital ou dans un centre spécialisé, c’est bien. Mais pour beaucoup de jeunes, c’est intimidant, trop loin, trop officiel. Les initiatives les plus efficaces de ces dernières années sont celles qui déplacent la prévention dans les lieux où les jeunes vivent réellement :
- stands de dépistage anonymes sur les campus,
- bus ou tentes lors de festivals,
- soirées associatives avec un créneau “check-up IST”,
- permanences dans les résidences étudiantes,
- actions dans les bars étudiants ou cafés culturels.
Revaloriser le préservatif
Ces dernières années, la multiplication des stratégies de santé sexuelle (tests réguliers, PrEP, traitement post-exposition) a fait naître un sentiment de “filet de sécurité”.
Très positif pour le VIH, beaucoup moins pour les IST bactériennes. Chlamydia, gonorrhée, syphilis continuent de circuler à un rythme soutenu, et pour elles, le préservatif reste le seul vrai rempart direct.
Mais le préservatif souffre d’une image qui ne colle plus à la réalité. On l’imagine gênant, intrusif, peu “spontané”. Il faut donc réinventer son récit, le sortir de la logique de contrainte, le revaloriser comme un geste de respect de soi et de l’autre.
Construire une culture de la santé sexuelle
L’éducation sexuelle, en France, ressemble souvent à un rendez-vous annuel, parfois mal assuré, parfois survolé, parfois absent., Pourtant, une véritable prévention nécessite une culture continue :
- connaître les risques,
- savoir comment, où et quand se faire dépister,
- et savoir demander un test.
La santé sexuelle devrait être vécue comme une compétence sociale et non comme un devoir ponctuel. Les jeunes ont besoin d’outils, de mots et d’espaces sûrs pour poser leurs questions, de repères dans un univers où tout va très vite.
À SAVOIR
En France, les IST ne touchent pas les femmes et les hommes de la même façon. Les jeunes femmes sont les plus concernées par la chlamydia (prévalence de 0,93 % contre 0,58 % chez les hommes, enquête PrévIST 2023). À l’inverse, les hommes, notamment les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH), concentrent la majorité des cas de syphilis, de gonorrhée et des nouvelles infections VIH.









Je ne comprends pas pourquoi la prévention ne se situera pas pendant les cours de science et de la vie ?ne serait ce pas l’endroit idéal pour sensibiliser les jeunes, ne croyez vous pas ?