Prétendu remède miracle contre le virus durant l’épidémie de Covid-19, l’hydroxychloroquine est soupçonnée d’avoir été pire que le mal. Une étude lyonnaise, publiée le 2 janvier 2024, établit que ce médicament aurait causé plus de 16 990 décès lors de la première vague de la pandémie, au printemps 2020. Qu’est-ce que l’hydroxychloroquine ? Pourquoi ce médicament a-t-il été autant prescrit ? Quelles en ont été les conséquences ? Les explications du Pr Jean-Christophe Lega, pilote de l’étude, sur le plateau de l’émission Votre Santé du 16 janvier 2024, sur BFM TV Lyon.
L’hydroxychloroquine est un médicament traditionnellement utilisé dans le traitement du paludisme, et de manière plus importante dans la prévention et le traitement des formes graves des maladies autos immunes.
En 2020, dans les premières semaines de l’épidémie de Covid-19, certains professionnels de santé, dont le célèbre Pr Didier Raoult, ont plaidé pour les vertus des effets in vitro de ce médicament sur le virus SARS-CoV-2, à l’origine du Covid-19. L’hydroxychloroquine a donc été largement prescrite, jusqu’à la fin de l’année 2021. Et ce malgré les nombreuses voix qui s’élevaient pour tempérer ces affirmations et mettre en garde contre son usage.
Les inquiétants résultats d’une étude menée par une équipe de chercheurs des Hospices Civils de Lyon semblent confirmer ces craintes. L’étude, publiée début janvier, révèle que ce médicament serait responsable de plus de 17 000 morts durant la période Covid, dans au moins six pays. Un chiffre qui, selon les auteurs de l’étude, serait même loin des réalités.
Le Pr Jean-Christophe Lega, professeur de thérapeutique aux HCL est revenu sur les résultats de cette étude sur le plateau de l’émission Votre Santé du mardi 16 janvier 2024 sur BFM TV Lyon.
Une étude aux résultats “effarants“
Comment avez-vous mené votre étude ?
Cette étude a été réalisée en collaboration avec mes collègues de l’équipe de recherche des HCL. Au départ, nous voulions savoir si les médicaments qui avaient été utilisés à très large échelle avaient produit un effet globalement positif. Ces médicaments ont été donnés sans connaître leurs propriétés, à des patients qui étaient touchés par le Covid-19.
Ce travail est toujours en cours, il n’est pas finalisé, mais nous avons des données qui montrent une toxicité de l’hydroxychloroquine. De ce constat, nous voulions estimer le nombre de morts sur des données publiées en rapport avec l’utilisation de ce médicament.
Quels ont été les résultats de l’étude ?
À l’issue de cette étude, nous avons malheureusement estimé en moyenne 17 000 morts, sur seulement 6 pays. Nous avons aussi généré des incertitudes, et même les hypothèses les plus basses suggèrent ce chiffre de plusieurs milliers de morts.
Il est possible que les résultats de cette étude soient en réalité une sous estimation. En effet, la molécule a été très largement délivrée, à l’hôpital mais pas que. Des patients commandaient ces médicaments sur internet, on pourrait donc penser que ce chiffre est encore supérieur à 17 000 morts.
Quelles sont les limites de l’étude ?
Les limites sont importantes car ces estimations ont été produites à partir de données publiées dans la littérature, et nous avons estimé trois paramètres : le nombre de patients hospitalisés, le taux de décès des patients hospitalisés pour le Covid-19, et le taux de prescriptions de l’hydroxychloroquine.
Le but de l’étude était d’essayer de produire des estimations. En science, à chaque fois qu’une estimation est produite, il y a toujours une incertitude à prendre en compte.
L’hydroxychloroquine a profité d’un “sur-emballement sociétal et médiatique”
À quoi a été due la surpréconisation de l’hydroxychloroquine ?
Même si des études étaient en cours pour montrer les vrais effets de cette molécule, il y a eu un sur-emballement sociétal et médiatique autour de son utilisation. Pour rappel, les propriétés de cette molécule sont qu’elle n’a pas d’effet bénéfique et qu’elle a une toxicité cardiaque.
Je tiens à préciser que les agences de régulation, notamment françaises, et les sociétés savantes, ont toujours appelé à la plus grande prudence concernant ce médicament.
Comment sommes-nous arrivés à injecter massivement un traitement aussi dangereux ?
C’est parce que nous avons anticipé un effet bénéfique qui n’existait pas et nous avons sous-estimé la toxicité de ce médicament qui était quasiment nulle dans les autres indications.
Pourtant, notamment chez les patients atteints du Covid-19 avec une hyper inflammation sur le cœur, nous avons observé une toxicité cardiaque avérée que l’on avait complètement sous-estimé lors de la délivrance du médicament.
En tant que professionnel de la sphère médicale, quels enseignements tirez-vous de cette étude ?
Le premier enseignement qu’il faut tirer est la prudence. Avant de proposer des médicaments à très large échelle, il faut en limiter très fortement l’accès, voire l’interdire. Par exemple, les Britanniques interdisaient la délivrance de ces médicaments “compassionnels“, pour éviter ce type de situation.
Ensuite, encore sur le modèle britannique, il faut accélérer les plans de développement des médicaments lorsqu’on est dans un contexte de crise sanitaire.
Autrement dit, il ne faut pas faire de délivrance en situation d’incertitude pour nos patients. Au contraire, il faut tous les inclure, s’ils sont d’accord, dans des protocoles institutionnels de très haut niveau de preuve pour qu’en quelques mois, on connaisse les propriétés de ces médicaments.
Retrouvez l’intégralité de l’émission Votre Santé du 16 janvier 2024.
À SAVOIR
Selon le Pr Jean-Christophe Lega, les effets de hydroxychloroquine ne peuvent pas ressurgir à long terme : « Les patients qui ont reçu ce médicament dans le contexte de Covid-19 et qui n’ont pas eu d’effets indésirables, ne peuvent plus en avoir. »